La France, nous dit-on de droit, est un pays de tradition
judéo-chrétienne. Or, les catholiques subissent à l’heure qu’il est
l’agressivité d’un gouvernement prêt à soutenir, par souci de principe,
tout ce qui est autre, tout ce qui est altérité, quitte à se montrer
indulgent envers des mouvances islamiques radicales. Mme. Taubira qui
devrait donner l’exemple d’un ministre d’origine étrangère parfaitement
intégré au paysage français républicain et traditionnel parce qu’inspiré
d’une tradition essentiellement chrétienne, veut imposer sa vision à
elle d’une société remodelée, christianophobe mais ouverte. Est-ce en
vertu de cet engagement fantasque qu’elle recevait avec tant de
réticence ostentatoire le cardinal de Paris, Mgr Vingt-Trois ?
La
France, dit-on, est un pays d’égalité et de fraternité. Tous les
pauvres y sont logés à la même enseigne, tous sont pris en charge dans
l’esprit de l’Abbé Pierre. Or, nous constatons aujourd’hui une asymétrie
flagrante dans la prise en charge des pauvres franco-français et des
pauvres des banlieues dont les attitudes délinquantes sont toujours
erronément expliquées par leur niveau de vie. Je vous renvoie à
l’article de mon collègue, Alexandre Latsa (La pauvreté française sur le modèle anglo-saxon
?) où il est clairement démontré que c’est loin d’être la disette dans
ces cités où l’on crame les bagnoles et que, en revanche, les citoyens
franco-français les plus pauvres sont à chercher dans la région du
Cantal ainsi que dans la Creuse où la paix sociale s’exerce sans
l’intercession ô combien providentielle des forces de l’ordre. Mais nos
ministres s’obstineront à dire que c’est sans conteste la misère qui est
aux sources de la délinquance, inutile de polémiquer au-delà.
La
France, dit-on, est un état souverain accompli. Pourtant, ses
oligarchies subissent l’influence de Washington et les parlementaires
n’ont presque aucun pouvoir réel outre celui qui consiste à ratifier
formellement les projets de loi qui leur sont imposés.
L’OTAN,
structure sans partage asservie aux USA, s’interposera toujours pour la
France, pour les pays de la zone UE d’une manière plus large.
Washington nous enverra tous les renforts nécessaires, ses meilleurs
militaires, le débarquement en Normandie (qu’importe qu’il ait fait plus
de victimes qu’en a fait l’Allemagne nazie) nous l’a déjà bien prouvé.
On oublie pourtant que les intérêts de l’Outre-Atlantique n’ont rien à
voir avec les nôtres et que la politique coloniale qu’il mène avec tant
de succès depuis la fin de la II GM n’englobe pas seulement les pays
d’Afrique ou du Moyen-Orient. Leur zone d’intérêt se mesure à l’échelle
planétaire, une Europe faible avec une monnaie unique minée étant plus
souhaitable qu’une Europe tissée de nations souveraines où chaque nation
aurait sa monnaie à elle, des frontières bien définies et un contingent
militaire à la hauteur des enjeux.
Or, sur ce dernier point, il y en a qui font des nuits blanches. Pierre Haski, cofondateur de Rue 89, ancien journaliste de Libération, a très récemment publié un article bourré de chiffres dans lequel il insère une infographie représentative tirée du Monde.
On y voit deux courbes. L’une qui reflète le nombre de Français en
France entre le XVIIème siècle et maintenant, l’autre, les effectifs
militaires français sur une durée de 300ans. D’après les chiffres
avancés, il se fait que notre armée a retrouvé son niveau quantitatif de
1620 ( !), soit, un peu plus de 100.000 hommes. A titre de comparaison,
précisons que le nombre de places dans le Stade de France est estimé à
80.000. Une armée qui tiendrait dans un stade? On croit rêver.
Pense-t-on réduire le pays au triste statut de satellite des USA ? Quels
motifs animent nos dirigeants ?
Toute réalité, qu’on se
le dise, peut être interprétée d’au moins deux façons. Celle de la
suppression des effectifs militaires également. Pour en avoir le cœur
net, j’ai eu l’honneur d’accueillir sur nos ondes M. Richard Labévière,
rédacteur en chef du site espritcors@ire, observatoire en ligne consacré
à la défense et à la sécurité. Voici son point de vue.
LVdlR.
En 2015, le cœur projetable de l’armée de terre se situera à 70.000
personnes, c’est-à-dire moins que le nombre de places dans le Stade de
France. Comment expliquez-vous cette réduction des effectifs militaires ?
Richard Labévière.
La réduction se portera sur 23.500 emplois pour la période 2014-2019,
chiffre qui s’ajoute à la suppression de 10.175 postes en 2014 et 2015
qui était prévu au titre du projet de loi relatif à la programmation
militaire, un total d’effectif en réduction sur à peu près 33.675
emplois pour être très précis. Ce projet s’inscrit dans la logique d’une
diminution qui date du précédent Livre blanc de 2008 et qui est une
double conséquence de la professionnalisation des armées. On est passé,
en 97, en France, d’une armée de conscription à une armée
professionnelle avec un premier réajustement des formats. Le deuxième
aspect, c’est l’évolution technologique de ces armées qui, à variable
comparable en Europe avec la France quand on regarde ce que font les
Britanniques, nous amène, grosso modo, pour des puissances moyennes
comme la Grande-Bretagne et la France, à des formats d’armée de terre
variant entre 80 et 100.000 hommes. Il est clair que la France dans sa
vieille logique régimentaire qui indépendamment de la
professionnalisation n’a pas beaucoup évolué depuis Louis XIV et
Napoléon avec des effectifs de 135.000 hommes, avec un empilement de
couches d’états-majors, de vieilles casernes, de bases de défense – je
pense à celle de la zone est héritée de la Guerre de 14 et de la II GM –
ne souffrira pas vraiment de ces réductions de format qui ne sont pas
en soi une hérésie et ne traduisent pas, politiquement, un décrochage ou
la perte d’une volonté de défense, de souveraineté et de moyens
militaires. Cela dit, il y a – et la plupart des états-majors sont très
attentifs à cela en France - des points de rupture. Selon le Livre blanc
et la dernière programmation militaire, le point de rupture concernait
moins l’armée de terre que les deux autres armées, à savoir l’armée de
l’air et la marine. Cette dernière arrivait à un point critique avec
26.000 hommes, il fallait donc des équipages supplémentaires pour
équiper ses bateaux.
LVdlR.
Une question reste sans réponse. Celle de la création d’une Défense
européenne qui arracherait les pays de l’UE de leur dépendance des USA,
de l’OTAN. Pensez-vous que cette entreprise soit réalisable ?
Richard Labévière.
Première remarque à développer : l’OTAN devait logiquement disparaître
après la chute du Mur de Berlin et le démantèlement du Pacte de
Varsovie, il n’avait plus sa raison d’être historique dans la défense
des pays dits libres de l’Ouest dans le contexte de la guerre froide.
Simplement, par volonté politique américaine, les Américains ont décidé
de faire survivre cette alliance de défense militaire, entre guillemets,
pour la réorienter vers d’autres missions dans ses zones d’influence.
Je pense notamment à l’Afghanistan. Cette conservation de l’OTAN en
vertu de la volonté politique américaine a été vendue aux Européens et
notamment à la France en vue de favoriser l’émergence et la
consolidation d’un pilier européen de la défense, sinon d’une Europe de
la défense. Les stratèges américains ont vendu aux pays européens
l’Allemagne et la Grande-Bretagne qui étaient acquis à cette idée mais
aussi à la France qui se montrait plus rétive. De Gaulle a fait sortir
la France du commandement intégré de l’OTAN en 1969. Les Américains ont
donc vendu cette idée de perpétuation et de redéploiement de l’OTAN avec
une nouvelle stratégie de défense dans la perspective d’une Europe de
la défense. On a vu qu’il n’en a rien été pour des raisons à la fois
politiques qu’économiques dans la mesure où à travers le temps et les
commandes de matériel les Américains se sont scrupuleusement gardés le
monopole des fournitures d’armes et pas seulement d’avions, de
chasseurs, mais aussi de blindés et d’autres moyens. De surcroît, cette
Europe de la défense n’a jamais émergé pour la simple et bonne raison
que l’UE dans sa configuration économique et constitutionnelle n’a en
somme pas débouché, suite au traité de Maastricht puis de Lisbonne, sur
une véritable unité politique. Dans la mesure où la politique européenne
de sécurité et de défense communes n’a jamais débouché sur une
diplomatie cohérente, dans la mesure où cette unification n’était pas
possible, la politique de défense en est restée au stade d’une vague
coordination dans le soutien des moyens logistiques etc. Dans la mesure
où l’Europe politique est morte avec l’entrée des Britanniques qui n’ont
eu de cesse que de la tirer vers un grand marché libéral en tuant toute
velléité d’institutionnalisation d’une unité politique. Les
Britanniques, cheval de Troie des Américains, ont tué l’Europe politique
pour la maintenir dans une zone de libre-échange, de marché libéral et
néolibéral. Dans ces conditions-là, bien évidemment, l’Europe n’a jamais
pu se doter ni d’une diplomatie, ni d’un système accompli de défense
extérieure. C’est la raison pour laquelle tous les nouveaux pays, entre
guillemets, d’Europe centrale et d’Europe de l’Est (Pologne, Tchéquie,
etc.) se sont d’abord précipités dans les bras de l’OTAN pour leur
défense en adhérant ensuite à l’UE pour des raisons de subvention et de
soutien économique. On a donc, après la guerre froide, un développement
très déséquilibré (…).
La vision de
M. Labévière, nuancée, pesée, reflète bien une certaine désagrégation
des forces armées françaises malgré, il est vrai, un processus de
modernisation des hautes technologies. Elle reflète également
l’aliénation croissante des pays de l’UE dans le cadre de l’OTAN,
machine de contrôle des états asservis ou étouffés dans leur
souveraineté. Le problème est plus grave que cela ne puisse paraître
puisque, se bornant à l’exemple français, on constate une chute
immunitaire des plus frappante tant au niveau économique que social. Si
maintenant on s’en prend à l’armée, ne serait-ce qu’à la marine,
irons-nous bien loin ?
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