Une rencontre organisée par l’Association des amis de la
France a eu lieu hier dans l’une des salles de la Paix et de la Concorde
de la Fédération de Russie, en plein centre d’une capitale qui n’en
finit pas de moudre et de remoudre un passé aussi riche d’influences
occidentales que de courants admirablement authentiques dont seule
l’Eurasie a le secret.
Cette soirée a été consacrée à un
évènement en lequel nous avons l’habitude ancestrale de voir un
évènement de première importance. Vous l’aurez deviné, il s’agit du 14
juillet aussi communément appelé jour de la prise de la Bastille.
Alexandre Shoulgin, diplomate russe de renom et invité d’honneur de la
réunion, a très justement remarqué que, dans l’esprit de la plupart de
nos contemporains, ce jour-là renvoie aux acquis fondamentaux de la
liberté sous ses formes les plus variées, au triomphe de la triade
républicaine. L’ambassadeur de France, son Excellence M. Jean de
Gliniasty a lui aussi repris ce délicieux credo, insistant sur les
valeurs spirituelles que nos deux pays ont en commun.
Ce
constat de faits relève du ressort de la diplomatie, il n’a rien de
révélateur. Et néanmoins, j’aurais noté au passage la bienveillance à
toute épreuve de nos amis russes qui vouent un amour immuablement
passionnel à l’égard de la France, un amour avoisinant parfois la piété.
Les Russes sont des maniaques de la culture. C’est dans leur sang. Dans
leur code génétique. Aucune nation ne lisait autant que les Russes à
l’époque soviétique. Aucune autre nation n’a jamais été aussi sensible
au verbe pittoresque d’un Dumas ou aux ébats quasi-freudiens d’une
Sagan. Aucune. La Russie a apprivoisé la France comme un gardien de
musée apprivoiserait un meuble de Versailles ou un orfèvre, un joyau
inestimable. D’ailleurs, beaucoup de Français se sentent eux aussi, en
retour, apprivoisés par la Russie. Je pense à la déclaration qui avait
été faite par un restaurateur d’œuvres d’art, M. Jean-Claude Guillemot. La Russie m’a apprivoisé, nous a-t-il confié la veille après avoir parlé de son parcours professionnel dans le pays.
J’ai
toujours trouvé surprenant et émouvant cet attachement profond et
inaltérable que les Russes éprouvent à l’égard des Français.
Culturellement, il est vrai qu’à une époque donnée la France s’est
considérablement investie dans le paysage architectural et artistique
russe. Humainement, la Russie s’est quant à elle investie dans la France
comme aucun autre pays ne l’a jamais fait. Qui se souvient encore en
France du corps expéditionnaire russe à l’origine du « miracle de la
Marne » ? Qui se souvient de ces quelques dizaines de milliers de
résistants russes dont près de 7500 sont tombés sous les balles nazies ?
Je n’ai pas d’exemple de ce type du côté français, sauf, peut-être,
celui de l’escadrille Normandie-Niemen, magnifique exemple d’alliance en
lequel j’aurais voulu voir une généralité et non une exception.
Un vers du poète russe Nikolaï Goumilev résume bien cette pensée : Moi vivant, jamais l’ennemi ne prendra Paris.
Pourquoi donc, pourrait-on se demander avec raison ? Peut-on imaginer
un M. Péguy ou un M. Desnos disant quoi que ce soit de semblable à
l’égard de la Russie ? Que nenni et à juste titre ! Pourquoi le
feraient-ils ? Cette irrationalité s’inflige elle-même le principe du
deux poids deux mesures, aspect qui a resurgi lors de la soirée. Vous avez un 14 juillet que nous n’avons pas, nous vous envions,
dit l’un des intervenants. Curieuse révélation, sachant que, selon les
dires de Lénine lui-même, le 14 juillet enfanta le sinistre Octobre
1917, date que l’écrasante majorité des Russes ne fête pas estimant que
l’évènement est beaucoup trop tragique pour être célébré. Mais le 14
juillet, c’est particulier, ça a eu lieu à Paris ! Cette idéalisation
touchante que je ne saurais reprocher à nos amis découle de leur
intraitable sensibilité à l’égard du Beau, de la Culture, d’une France
qui n’a pas encore perdu ses traits d’antan. Et ce n’est pas le modèle
républicain qui forgea cette France mais bien celui qui s’est constitué
avant que ne vienne le règne des liberté-égalité-fraternité.
Ces
paradoxes symptomatiques évoqués, je soulignerai que l’Association des
amis de la France a réussi à organiser une fête véritablement magique où
on a pu rencontrer des gens très intéressants tels que Mme.
Commeau-Demidoff, Présidente du Centre de Langue et Culture Russe,
rédactrice en chef de la Gazette, tels que Messieurs Roubinsky et
Fedorov, politologues, grands spécialistes de la France, tels que M.
Dvinine, diplomate et doyen du journalisme russe. La soirée nous a
également donné l’occasion d’avoir une certaine idée de ce que seront
les journées de la France dans la région de Kirovsk (cinq journées
consécutives en septembre). Dans l’attente de cet évènement
minutieusement préparé, le public a pu admirer ce qu’on appelle les
poupées de Viatsk et profiter d’un défilé de mode inspiré par les
travaux recherchés du designer Tatiana Smirnova, grande promotrice du
style russe traditionnel dans toute la vivacité de ses couleurs et
l’éclectisme que celui-ci recèle étant parfois marié à des notes
africaines ou espagnoles.
Je joins en supplément la brève intervention de M. de Gliniasty dont la mission diplomatique s’achève dans quelques semaines.
La VdlR.
« Est-ce que la perception qu’ont les expatriés français de la Russie a
connu une certaine dynamique depuis le début de votre mission ?
M. de Gliniasty.
Au point de vue perception, je ne pense pas qu’elle ait beaucoup changé
parce qu’elle n’avait pas besoin de changer. En général, les expatriés
que j’ai rencontrés étaient heureux, leurs affaires marchaient bien …
Comme je l’ai dit dans mon petit discours, les entreprises françaises
sont parfaitement implantées en Russie … Il y a quelques cas
particuliers de personnes qui ne sont pas là pour longtemps, qui
n’investissent pas beaucoup et qui ne rentrent pas au fond dans le pays …
Il y a un élément qui va en plus, c’est que, effectivement, depuis 4-5
ans, les affaires se sont développées ce qui a influé sur l’augmentation
très nette du nombre d’hommes affaires dans le pays et sur le
développement de la Chambre de commerce.
La VdlR. Peut-on s’attendre à la longue à la suppression du régime des visas entre nos deux pays ?
M. de Gliniasty.
Il y a un processus qui a été mis en place par l’UE, qui a été approuvé
par les 27 Etats et par la Russie. Il y a donc quatre missions
techniques qui viennent, qui vérifient le déroulement des négociations
de part et d’autre. Alors les conditions d’octroi des documents, le mode
de vérification aux frontières, enfin, un certain nombre de données
techniques … Et puis toutes ces missions se sont déroulées positivement.
Quand les dernières étapes seront menées à bien, il y aura un débat au
Conseil pour lancer les négociations finales. La crainte des Russes est
que ce débat prenne une tournure politique et que, de ce fait, le
processus soit freiné. La France, elle, a toujours pris position pour la
suppression des visas de circulation le plus vite possible. Donc, il y
aura un débat entre les pays qui sont pour la suppression immédiate et
ceux qui veulent y aller plus lentement. Mais je crois que le principe
de la suppression est acquis. Raisonnablement, point de vue délais, je
pense qu’on peut considérer que d’ici 2015 ce sera fait ».
Les
amours, dit-on, finissent un jour. Les relations franco-russes
représentent un cas d’exception qui peut-être justement a vocation à
confirmer la règle. Je remercie l’Association des amis de la France de
m’avoir conviée à leur rencontre en espérant qu’il ne s’agit que d’un
début de collaboration.