BAMAKO (© 2013 AFP) - Le capitaine Amadou Sanogo et
les co-auteurs du putsch de mars 2012 ayant déstabilisé le Mali ont tout
à craindre d'une victoire à la présidentielle de Soumaïla Cissé, qu'ils
avaient arrêté, et devraient lui préférer son rival Ibrahim Boubacar
Keïta (IBK), selon des analystes.
Soumaïla Cissé, qui affrontera dimanche au second tour de la
présidentielle Ibrahim Boubacar Keïta, a été un des plus farouches
opposants au coup d'Etat militaire du 22 mars 2012 ayant renversé le
président Amadou Toumani Touré (ATT), appelant les Maliens "à se tenir
debout" face aux putschistes.
Economiste chevronné de 63 ans, ancien ministre des Finances, il a
participé à la création d'une large coalition anti-putsch, le Front pour
la défense de la démocratie et la République (FDR), et a été
brutalement arrêté parmi d'autres par les hommes armés du capitaine
Sanogo dont il réclame aujourd'hui qu'il soit mis à l'écart de la scène
politique.
Selon Gilles Yabi, analyste à International Crisis Group (ICG), Ibrahim
Boubacar Keïta, cacique de la vie politique malienne de 68 ans, "est
sans doute celui qui peut apparaître comme capable d'offrir certaines
garanties au capitaine Sanogo et à l'ancienne junte".
"Contrairement à Soumaïla Cissé, Modibo Sidibé (ex-Premier ministre qui
a aussi été arrêté par la junte en 2012 et a appelé à voter Cissé au
second tour, ndlr) et à d'autres, IBK était celui qui avait pris ses
distances avec le régime ATT depuis quelques années, et le putsch ne l'a
donc pas menacé", ajoute-t-il.
"Sanogo pense certainement que ceux des candidats qui ont été
personnellement agressés et maltraités aux premières heures du coup ne
sont pas près d'oublier cet épisode et pourraient être tentés de prendre
leur revanche s'ils arrivaient au pouvoir", note Gilles Yabi,
poursuivant: "Les meneurs de la junte ont beaucoup à craindre
d'éventuelles poursuites judiciaires et sont, sans doute, d'abord
soucieux de leur protection, donc de leur impunité, au lendemain des
élections".
Ibrahim Boubacar Keïta avait rejoint le FDR mais l'avait rapidement
quitté, restant très discret sur un putsch qu'il a "condamné par
principe", selon Souleymane Drabo, directeur de publication de L'Essor,
un des plus grands quotidiens maliens, mais dont il pensait qu'il
"n'était pas totalement injustifié" et avait "des côtés positifs".
"Sanogo n'est pas un épouvantail"
Bien qu'issu du sérail, IBK, ancien Premier ministre dans les années
1990 et ex-président de l'Assemblée nationale pendant le premier mandat
d'Amadou Toumani Touré de 2002 à 2007, a récemment déclaré à des
journalistes à Paris que "l'Etat malien est devenu une source
d'enrichissement pour une élite, sans souci d'efficacité de l'action
publique, sur le dos des populations".
Un discours ne pouvant que plaire au capitaine Sanogo qui avait
justifié son coup d'Etat par l'incapacité d'un Etat corrompu à lutter
contre la montée des périls en tous genres dans le nord du Mali, groupes
jihadistes et criminels, rébellion touareg.
D'ailleurs, IBK dit ne pas craindre l'influence de Sanogo, promu en
2012 par le régime malien de transition à la tête d'une structure
chargée de réformer une armée alors totalement démoralisée par sa
débâcle dans le Nord face aux rebelles touareg et aux groupes islamistes
armés liés à Al-Qaïda qui ont occupé cette région pendant près d'un an
avant d'en être chassés par une intervention armée internationale
initiée par la France.
"Sanogo n'est pas un épouvantail. Dans mon bateau, il n'y aura pas deux
capitaines" après la présidentielle, affirme l'ancien Premier ministre.
Même si les putschistes de mars 2012 "sont inquiets pour l'avenir", ne
sachant pas "ce que le nouveau pouvoir va leur réserver, ils ont
l'impression qu'avec IBK, ils ont des chances d'être ménagés ou bien
d'être recasés", estime Souleymane Drabo.
Selon Gilles Yabi, il ne faut cependant "pas réduire l'analyse des
rapports entre IBK et les militaires à une éventuelle préférence de
Sanogo pour lui".
Homme à poigne qui n'a pas hésité à réprimer des étudiants et des
grévistes pendant qu'il était Premier ministre, IBK "semble bénéficier
aussi, par rapport à ses rivaux, de l'estime ou du respect de militaires
qui n'étaient pas associés à la junte et qui en ont même été victimes",
estime l'analyste d'ICG.