13 octobre, 2010

Faut-il croire au dégel


Nicolas Sarkozy et Abdelaziz Bouteflika en 2007. Nicolas Sarkozy et Abdelaziz Bouteflika

Malgré l’activisme de groupes de pression hostiles des deux côtés de la Méditerranée, le dialogue entre l'Algérie et la France n’a jamais été rompu au plus haut niveau.

Les relations entre Alger et Paris seraient-elles en voie de réchauffement ? L’optimisme qui règne des deux côtés de la Méditerranée a été conforté, le 31 août, par la décision de la cour d’appel de Paris de blanchir le diplomate Mohamed Ziane Hasseni, soupçonné par la justice française d’avoir commandité l’assassinat de l’opposant Ali André Mecili, en 1987, à Paris. Pour Alger, les soucis judiciaires du directeur des affaires protocolaires auprès du chef de la diplomatie, Mourad Medelci, avaient des allures de cabale. L’accusation ne reposant que sur le témoignage d’un ex-officier du Département recherche et sécurité (DRS), un déserteur réfugié en Allemagne, le gouvernement algérien avait la certitude que les malheurs de son diplomate étaient le produit de la détérioration du climat politique entre Alger et Paris après l’adoption par le Palais-Bourbon, en février 2005, d’une loi controversée sur le passé colonial de la France.

Le lourd contentieux entre les deux pays ne se limite pas à la seule affaire Hasseni. Alignement de Paris sur la position marocaine dans l’affaire du Sahara occidental, réserves gouvernementales françaises quant aux choix économiques d’Abdelaziz Bouteflika, apparition de l’Algérie sur la liste établie par le Quai d’Orsay des pays dont les ressortissants doivent faire l’objet d’une surveillance accrue pour menace terroriste – une mesure perçue comme une atteinte à la liberté de circulation des Algériens –, désaccord majeur sur des dossiers chauds, à l’instar de la question palestinienne, du dossier nucléaire iranien, du projet de réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, ou de la gestion de la menace terroriste dans l’espace sahélo-saharien… les divergences entre les deux capitales ne manquent pas.

« Désaccords structurels »

Selon Alger, ces « désaccords structurels » sont le produit d’un lobbying actif de groupes de pression français : nostalgiques de l’Algérie française considérant que les « fellaghas » sont toujours au pouvoir, ou membres du barreau ayant pour fonds de commerce le « qui tue qui ? », en référence aux soupçons pesant sur l’armée algérienne dans les massacres de villageois (voire dans l’assassinat des moines de Tibéhirine) dans les années 1990. Sur l’autre rive, l’activisme des groupes de pression anti-Français n’a pas non plus faibli. La guerre de libération contre le colonialisme constitue, cinquante ans après l’indépendance, la principale source de légitimité du pouvoir et une garantie de perpétuation de la rente pour les vétérans (authentiques ou non) de la guerre de libération. Mais la sacralisation de la Révolution a eu des effets pervers. Afficher son hostilité à la France est devenu le meilleur raccourci pour tous les opportunistes pressés de pénétrer dans l’antichambre du pouvoir, quitte à verser dans le ridicule. Ainsi a-t-on banni du fronton de certaines institutions officielles l’usage de la langue de Molière au profit de l’arabe et de l’anglais. L’entrée de la base militaire navale de Mers el-Kébir est barrée d’un panneau écrit en arabe… et en russe.

Autre effet pervers de l’obsession antifrançaise : le projet de loi visant à criminaliser le colonialisme a durablement escamoté le débat autour de l’écriture de l’histoire de la guerre de libération côté FLN. Un débat autrement plus urgent. Dans leur gestion quotidienne des relations algéro-françaises, les présidents Abdelaziz Bouteflika et Nicolas Sarkozy font face, chacun à sa manière, à ces groupes de pression. Avec plus ou moins de bonheur. Au plus fort de la crise, les canaux de dialogue n’ont jamais été interrompus. Si les échanges de visites d’importance entre les deux capitales se comptent sur les doigts d’une main, la coopération économique n’a pas été réellement menacée. Mieux : la France a consolidé sa position de fournisseur numéro un de l’Algérie et la langue de Voltaire est enseignée dès la deuxième année du primaire dans les écoles publiques algériennes. Quant à la coopération militaire, elle enregistre des avancées significatives. La collaboration entre les services de renseignements des deux pays est plutôt intense en matière de lutte antiterroriste. « Quand la crise était à son apogée, et conscient des contraintes que subissait son homologue français, assure un conseiller d’Abdelaziz Bouteflika, le président a toujours affiché sa disponibilité pour aider Nicolas Sarkozy. N’a-t-il pas répondu favorablement à ce dernier, au grand dam de la quasi-totalité de la classe politique et d’une grande partie de l’opinion, quand il lui a téléphoné pour lui demander d’assister au sommet Afrique-France, le 31 mai 2010, à Nice ? »

Les maladresses de Kouchner

Cela dit, Abdelaziz Bouteflika sait également faire montre de fermeté. Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, émissaire de Nicolas Sarkozy, a dû se rendre à deux reprises à Alger pour être reçu à El-Mouradia. Et le voyage du Premier ministre français, François Fillon, à Alger, le 21 juin 2008, n’a toujours pas provoqué la réciproque : aucun Premier ministre algérien n’a effectué de visite officielle en France depuis le retour aux affaires de Bouteflika, en 1999. Pourtant, la visite d’État du président algérien en France est désormais d’actualité, même si Bernard Kouchner est toujours considéré par Alger comme un pestiféré. « Ce n’est pas l’interlocuteur idéal », dit poliment notre conseiller, qui reproche au chef de la diplomatie française ses déclarations maladroites à propos de la génération de la guerre de l’indépendance.

Si Alger ne porte pas le locataire du Quai d’Orsay dans son cœur, celui-ci le lui rend bien. Kouchner s’abstient ainsi de citer l’Algérie parmi les partenaires fiables dans la lutte contre les djihadistes au Sahel. Cela ne l’empêche pas de rencontrer régulièrement son homologue algérien, Mourad Medelci, lors de joutes internationales, à l’instar de leur tête-à-tête, le 21 septembre, à New York, en marge de l’assemblée générale de l’ONU. « Ces rencontres sont informelles et moins importantes qu’on ne le prétend, tempère un diplomate algérien ; les canaux de dialogue sont ailleurs. » Le fonctionnement du couple Alger-Paris est décidément bien complexe.

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