13 octobre, 2010

Présidentielle : À Korhogo, espoirs et frustrations


Près du kiosque à journaux, on parle beaucoup de politique à Korhogo. Près du kiosque à journaux, on parle beaucoup de politique à Korhogo.

Réputée très favorable au candidat du Rassemblement des républicains, Alassane Dramane Ouattara, la grande ville du Nord a payé un lourd tribut aux années de guerre. L’administration y est maintenant redéployée, et les habitants attendent beaucoup de l’élection à venir.

« Nos souvenirs pèsent plus lourds que nos rêves. » Aboubakar Sidik Ben Diarrassouba est magistrat à Korhogo. « C’est la raison pour laquelle nous sommes impatients d’exercer notre droit de vote. On veut en finir une fois pour toutes avec cette crise et nous projeter vers l’avenir. » La nuit est tombée depuis un bon moment sur la grande cité du Nord, mais les conversations sont toujours animées devant le kiosque à cigarettes du centre-ville. Une poignée de fonctionnaires, de commerçants et d’humanitaires partagent autour d’une boisson chaude leurs espoirs et leurs frustrations. C’est le « grin de thé » (grin désignant un groupe d’amis, en malinké). Petits ragots ou grands débats… Après la journée de travail, les habitués discutent de tout, mais ces derniers mois il est surtout question de politique. Les leaders des partis s’invitent régulièrement pour tâter le pouls de l’opinion et tester leurs idées. Le maire de la ville, Amadou Gon Coulibaly, le ministre de l’Agriculture, Mamadou Sangafowa Coulibaly, et Amadou Koné, anciennement chargé de l’Intégration africaine, y ont été aperçus.

Génération perdue

Ce soir, la « causerie » tourne autour du redéploiement de l’administration. « Certains d’entre nous vivent très mal leur affectation à Korhogo, explique un habitué. Le régime se cache derrière la présence des Forces nouvelles [FN] pour ne pas nous donner les moyens d’accomplir nos missions. » Et de citer, pêle-mêle, les enseignants qui n’ont plus de craies, les tribunaux qui reçoivent les plaintes mais ne peuvent pas les traiter, l’hôpital de la ville dont le budget a été divisé par trois, l’insécurité grandissante pendant les fêtes (ramadan, Noël, Tabaski)… Commentaire lucide d’un journaliste de la région : « C’est une époque de transition où chacun se cherche. Les FN rendent progressivement les clés de la ville aux agents de l’État, qui prennent péniblement leurs marques. Tout est lent et compliqué. »

En attendant, les habitants de Korhogo payent un lourd tribut à la crise. Selon les statistiques officielles, le taux de pauvreté (personnes qui vivent avec moins de 600 F CFA, soit 0,91 euro, par jour) dépasse 77 %. L’absence de l’État, depuis septembre 2002, a entraîné le délabrement des infrastructures et, en cette fin de saison des pluies, les routes sont sérieusement endommagées. Certains quartiers sont devenus insalubres depuis que ce n’est plus l’ONG Care International mais la mairie qui s’occupe de l’enlèvement des ordures. Les classes des écoles primaires et secondaires sont surchargées – jusqu’à quatre-­vingt-dix élèves par classe – et les enfants largement livrés à la bonne volonté d’enseignants, fonctionnaires et bénévoles. En matière de santé, moins de 10 % de la population a accès au système public. Au centre hospitalier régional (CHR) de Korhogo, médecins et infirmières sont revenus, mais tous les soins sont payants. Comptez 1 000 F CFA pour une consultation chez un généraliste. « Faute d’argent, de plus en plus de gens se tournent vers les guérisseurs traditionnels ou vers la médecine chinoise, bon marché mais loin d’atteindre les résultats escomptés », confie un cadre du CHR. « Les familles ne nous amènent plus que des patients dans des états très graves si bien que le taux de décès aux urgences bat tous les records. »

Pour les uns, les responsables sont à chercher du côté du Front populaire ivoirien (FPI) et du régime de Laurent Gbagbo. Pour les autres, les Forces nouvelles « ont montré leurs limites dans la gestion de la chose publique ». « En fait, nous avons vécu une longue descente aux enfers depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, tranche Youssouf. Les trois grands leaders politiques [le président Laurent Gbagbo, l’ancien chef de l’État Henri Konan Bédié et l’ex-Premier ministre Alassane Dramane Ouattara, NDLR] règlent leurs comptes sur le dos des populations depuis maintenant dix-sept ans, le temps d’une génération perdue. »

Tolérance et pardon

« Au début de la crise, je voulais m’enfuir à l’étranger car je ne voyais plus de débouchés, explique Sapero, artiste peintre. Mais progressivement, avec le soutien des Nations unies, des ONG et des chefs religieux, on reparle aujourd’hui de tolérance et de pardon, et on réapprend à vivre avec des valeurs que l’on avait oubliées. »

Le retour des touristes est attendu pour relancer l’artisanat, qui fait vivre une kyrielle de sculpteurs, potiers, bijoutiers et confectionneurs de pagnes. Siaka Koné ne regrette pas d’être resté. Ce mécanicien s’est reconverti dans le commerce des motos chinoises. Sept ans plus tard, ses deux magasins du quartier Soba regorgent de deux-roues asiatiques. Embellie aussi pour l’agriculture. « Nous avons relancé la dynamique », se félicite Raphaël Manan Ouattara, responsable du comité de suivi agricole des FN. « De 110 000 tonnes il y a trois ans, nous allons passer à 250 000 tonnes de coton lors de la prochaine campagne. Et cette année, la récolte d’anacarde a crevé le plafond des 360 000 tonnes. » D’autres tournent leur regard sur la mine aurifère de Tongon, située à 60 km de la ville et dont la mise en activité, courant octobre, donnera du travail à 700 personnes. Et puis, au « grin de thé », on ne manque pas de louer le dynamisme des femmes sénoufos, qui n’ont jamais baissé les bras. « Au plus fort du conflit, elles ont cherché des lopins de terre pour faire du maraîchage et se sont lancées dans le commerce pour nourrir leur famille », explique Salimata Coulibaly, présidente de l’association Grenier international. Restera à remettre au travail les jeunes qui, pendant des années, se sont adonnés au banditisme, au commerce de drogue ou à divers trafics. La tâche s’annonce difficile.

Campagne vertueuse

L’espoir repose désormais sur la bonne tenue du scrutin. « Quel que soit le vainqueur, on veut que les perdants respectent le verdict des urnes », martèle Aboubakar. Et d’appeler les responsables des partis politiques à mener une campagne vertueuse afin de ne pas retomber dans les flambées de violence survenues au mois de février après la dissolution du gouvernement et de la Commission électorale indépendante (CEI). Fin septembre, les leaders des organisations de la jeunesse ont été conviés à un séminaire de formation sur la prévention des conflits en période électorale. L’idée ? Les sensibiliser aux dangers de la manipulation ethnique ou religieuse à des fins politiques. « Je compte sur vous pour répandre la bonne parole, leur a lancé le secrétaire général de la préfecture, René Famy. Cette élection n’est pas la fin du monde. Les candidats passeront, et la Côte d’Ivoire subsistera. »

Sur le terrain, la bataille politique n’en est pas moins lancée. Le directeur de campagne de Laurent Gbagbo, Issa Malick Coulibaly, tente – non sans mal – de gagner des voix sur une terre réputée très favorable au Rassemblement des républicains (RDR). Le président Gbagbo est lui-même attendu à Korhogo le 7 octobre pour un grand meeting. Deux jours plus tard, Alassane Ouattara, en tournée dans la région des Savanes, lui succédera à la tribune. La distribution des cartes d’identité et d’électeur est programmée pour la première quinzaine du mois d’octobre. Quant aux FN, elles promettent de rester dans ce rôle d’arbitre que leur a assigné le Premier ministre, Guillaume Soro. « C’est l’aboutissement de notre lutte », se réjouit Kanigui Mamadou Soro, 34 ans, représentant politique des ex-rebelles à Korhogo. « Pour la première fois de ma vie, je vais aller voter. »

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