20 octobre, 2010

Bamadou Traoré, sculpteur-fondeur de bronze Des œuvres qui transpirent le sens de la famille africaine



Bamadou Traoré, sculpteur burkinabè, est représentant d’une grande famille de sculpteurs-fondeurs depuis plusieurs générations. Sa notoriété désormais établie en Afrique de l’Ouest et en Europe, tient à l’originalité et à la puissance de son inspiration, nourrie de thèmes traditionnels : la femme africaine, la maternité, le couple sont agencés traditionnellement en une facture résolument contemporaine. Après avoir remporté à trois reprises (1992 – 1994 – 1996) le grand prix de la Semaine nationale de la culture de Bobo-Dioulasso, Bamadou Traoré a été distingué de l’Ordre du mérite des arts, des lettres et de la communication du Burkina Faso.

Bobo-Dioulasso, quartier Kôkô côté Est de la ville. Ce vieux quartier est réputé pour ses ateliers artisanaux de fondeurs-bronziers qui fabriquent à longueur de journée, d’innombrables sculptures selon la technique du bronze « à la cire perdue ». Au milieu de ses artisans, Bamadou Traoré, devenu grand par la force du travail. Né en 1958 au Burkina Faso, il est issu d’une famille de sculpteurs - fondeurs de bronze depuis plusieurs générations : « Ma famille est ancrée dans l’art du travail de la forge. Mes parents sont des forgerons. Ils fabriquaient des fusils traditionnels, des bracelets, des colliers et même s’adonnaient à la sculpture avec le fer », explique-t-il.

Avec l’évolution, la famille Traoré a découvert la technique de la cire perdue et confectionnait des bracelets en bronze au moyen de la cire d’abeilles. Chez les Traoré, le savoir se transmet de génération en génération : « Notre génération a hérité de ce travail de sculpture sur bronze avec la technique de la cire perdue ; nos enfants continueront ce travail après nous. La sculpture sur bronze est devenue un héritage familial chez les Traoré ». Un bref rappel nous révèle qu’avant que ce nom Bamadou soit propagé à travers le monde, les personnes averties des arts plastiques ont contemplé l’imagination créatrice d’un certain Abou Traoré, cousin de notre sculpteur du moment.

Il faut réellement faire un détour à l’atelier de la famille pour se rendre compte de cet amour pour la sculpture sur bronze. Par une matinée de dimanche de septembre 2010, nous y voilà. A l’entrée de la concession familiale, côté gauche, se dresse un hangar faisant office d’atelier. La boutique jouxte ce hangar. Juste devant, un grand arbre qui couvre de son ombre bienfaisante la fournée des sculpteurs. L’équipe de travail de Bamadou Traoré est composée de cousins, de neveux, de ses propres enfants. « Ma démarche consiste à leur donner la maîtrise de la sculpture sur bronze.

Une fois cela fait, j’oblige tout un chacun à créer, à me proposer quelque chose de différent d’avec son voisin. Ils n’ont nullement le droit de reproduire ce que moi-même en tant que chef d’atelier, confectionne. J’examine ensuite chacun des projets de création pour voir où apporter des corrections. » Pour susciter davantage l’inspiration, le chef d’atelier invite les membres de son équipe à mettre à profit les nuits de sommeil pour cogiter et trouver des idées neuves à mettre en évidence le jour venu.

De la démarche de création

Le travail de sculpture sur bronze avec la technique de la cire perdue débute avec la récupération de la cire d’abeilles : « Nous la récupérons la plupart du temps avec les paysans dans les villages. Nous filtrons la cire achetée, puis l’exposons au soleil pour qu’elle démode. Nous élaborons les différentes formes des œuvres à partir de la cire. Ensuite, le premier jet des œuvres à créer est moulé en argile. L’argile épouse la forme de la cire. Le tout est séché. » Pour Bamadou Traoré, il existe des œuvres qui ont besoin d’être moulées deux à trois fois en fonction de l’épaisseur de l’œuvre. La cire contenue dans le moule en argile est chauffée, fondue et est récupérée .Pendant qu’on chauffe le moule en argile, le bronze est aussi liquefié dans un autre four beaucoup plus moderne acheté en France. Ce métal se liquefie à 112°C. Le moule en argile une fois la température voulue obtenue, est enterrée dans un trou par lequel on introduit le bronze fondu.

Le tout est refroidi quatre heures plus tard. L’on obtient ainsi la forme brute de l’objet. Commence par la suite l’étape de la finition à la lime. L’artisan passe l’objet au papier de verre, la phase de la patine (pour changer ou renforcer la couleur). « La couleur du bronze est dorée ; mais avec la patine, l’on peut rendre l’objet marron pour montrer que la pièce vient de l’Afrique mais également pour atténuer les conditions d’entretien. Dans sa couleur normale (dorée), l’objet en bronze demande beaucoup d’entretien alors qu’avec le système de la patine, les soucis d’entretien sont quasiment levés », indique Bamadou Traoré.

La spéculation sur la matière, le bronze, n’est pas fortuite : « Le bronze est une matière séculaire mais aussi abondante. Bien que nous n’ayions pas de mines de bronze, nous savons que c’est un métal qui a beaucoup de valeur. Son travail n’est pas compliqué, ce qui n’est pas le cas avec le fer. Auparavant, nos grands-parents pouvaient travailler le fer, aujourd’hui, notre génération ne peut pas. »

Triple lauréat de la SNC et sacré « artiste du peuple »

Bamadou Traoré est un disciple de Alberto Giacometti, célèbre peintre impressionniste suisse des années 1920 et appartenant au groupe des surréalistes. « Pour forger ma marque de fabrique, je me suis beaucoup inspiré de Giacometti. J’ai mis beaucoup d’énergie à rechercher mon style personnel dans la sculpture sur bronze » explique-t-il. Son premier espace de révélation fut la Semaine nationale de la culture, SNC Bobo : « c’est en 1992 que j’ai compéti pour la première fois dans la catégorie « arts plastiques » (auparavant mon cousin Abou Traoré avait remporté le 1er Prix en 1990).

Trois éditions de suite (1992, 1994 et 1996) j’ai remporté le 1er Prix dans la catégorie. J’ai alors été déclaré « artiste du peuple ». Ce qui signifiait pour l’artiste le sommet de sa carrière sur le plan national mais qu’il était désormais interdit de compétition à la SNC. Sa notoriété désormais établie en Afrique de l’Ouest et en Europe, tient à l’originalité et à la puissance de son inspiration, nourrie de thèmes traditionnels : la femme africaine, la maternité, le couple sont agencés traditionnellement en une facture résolument contemporaine. Formes longilignes, courbes douces, attitudes modestes ou élancées, vêtements finement ciselés ou nudités lisses, patines brunes ou noires caractérisent un style très novateur et de plus en plus recherché.

« Dans ma tête, je dois mon existence à la femme. Avec la souffrance que ma mère a connu et a eu pour m’éduquer, je ne peux l’oublier. D’ailleurs, en Afrique, la femme souffre énormément au foyer plus que les hommes .C’est ce qui fait que je fais toujours référence aux femmes dans ma démarche de création. Mes œuvres vont dans le sens de lui rendre hommage » indique-t-il. Et d’ajouter : « Il y a aussi le fait qu’une œuvre a besoin d’être vendue. Lorsque je confectionne dix œuvres dont huit de forme féminine, les clients ont un penchant sur celles de forme féminine que j’arrive à écouler rapidement. »

Reconnu d’abord par l’originalité de son approche personnelle et sa geste esthétique, on ne peut passer sous silence ce qu’ici nous appelons « le sens de la famille ».Ce sens tout naturel prend toute sa signification : la solidarité au quotidien faisant fi des grands mots. C’est aujourd’hui un artiste consacré. Il représente régulièrement le Burkina Faso lors de diverses manifestations en France et dans d’autres pays. Bamadou Traoré figure dans le dictionnaire de cotation des Artistes Modernes et Contemporains de 1870 à nos jours (édition 2001). Ses œuvres sont côtées à l’Hôtel Drouot à Paris.

Aujourd’hui, l’artiste à la nostalgie de la SNC et est toujours avide de compétition. C’est cela qui l’a amené a inscrire son fils à la SNC, Bobo 2008. Celui-ci du nom de Ibrahim Traoré, a remporté le 1er Prix dans la catégorie des « arts plastiques ». Comme quoi, aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. Avec la permission du Secrétariat permanent de la SNC, Bamadou Traoré a retrouvé les chemins de la compétition. Pour la SNC BOBO 2010, son fils a été classé 1er et lui 5è lors des éliminatoires régionales de Bobo-Dioulasso.

Bamadou Traoré tout comme beaucoup d’artistes de la ville de Bobo-Dioulasso, est fier de l’organisation des festivités du cinquantenaire de l’accession de notre pays à l’indépendance. Pour lui, les autorités ont l’occasion de démontrer qu’ils sont facilement accessibles et soucieux de l’avenir : « A Ouagadougou, il y a toutes sortes d’infrastructures pour que les artistes et les artisans puissent travailler sereinement. Ici, un Palais de la Culture y est en construction. Mais notre grand souci, c’est d’avoir au moins un centre qui peut nous permettre de nous regrouper, un lieu facilement repérable par les touristes et les clients et qui regrouperait la plupart des artistes plasticiens. »

Ismaël Bicaba

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire