En reconduisant Angela Merkel, les électeurs allemands ont nié la
réalité actuelle de l'Europe. Ils ont choisi de poursuivre une politique
dénoncée ailleurs.
En reconduisant au pouvoir, avec la manière, Angela Merkel, les
Allemands ont mis à jour un fossé béant. Celui qui les sépare des
autres peuples du Vieux continent. Car il faut bien le reconnaître, ce
contentement dans la politique actuelle de son chef de gouvernement - et
singulièrement dans la politique européenne - apparaît comme une
singularité germanique.
Le mécontentement européen
Partout ailleurs, en effet, le mécontentement règne en maître. Les
gouvernements évoluent dans un contexte empoisonné d'impopularité
record, de paupérisation croissante et d'impuissance économique. Et le
président français n'est certes pas le seul - comme on le croit trop
souvent en France - à devoir faire face à une telle situation. Elle est
évidente en Grèce, au Portugal, en Italie ou Espagne. Elle n'épargne pas
même les « peuples nordiques et vertueux », alliés traditionnels de
l'Allemagne dans les jeux de pouvoir de la zone euro. Le Premier
ministre néerlandais Mark Rutte, un des rares à ne pas avoir été chassé
du pouvoir pendant la crise, doit désormais agir alors que les extrêmes
de droit et de gauche sont majoritaires dans l'opinion. Et dimanche
prochain, lors des élections législatives autrichiennes, le gouvernement
de grande coalition devrait subir un recul historique. Sa majorité
devrait être fortement réduite et, là encore, les extrêmes (seulement de
droite cette fois) devraient encore faire une percée.
Le contentement allemand
Partout en Europe, ces situations sont nées des mesures d'austérité
budgétaire prises dans l'urgence. L'application sévère et aveugle d'une
politique qui a fait de la consolidation budgétaire la seule priorité a
conduit à une destruction progressive et plus ou moins rapide des
structures économiques (l'Italie s'est rapidement désindustrialisée
pendant la crise) et à une fragilisation des équilibres sociaux. Angela
Merkel a évidemment une grande part de responsabilité dans cette
situation. C'est elle qui, dès mai 2010, a imposé cette stratégie « de
politiques d'ajustement » pour régler la crise. C'est elle qui, au
printemps dernier, a défendu becs et ongles cette politique en
martelant, avec son ministre des Finances Wolfgang Schäuble, qu'il n'y
avait pas de différence entre austérité et croissance. C'est elle enfin
qui a construit les bases d'une austérité durable et d'un modèle
économique européen uniquement fondée sur la dévaluation compétitive par
les salaires grâce aux nouveaux cadres européens que sont les « six
pack », « two pack » et surtout le pacte budgétaire, écrit quasiment de
sa main. Dans ce contexte, le vote des Allemands ce 22 septembre, est un
camouflet au reste de l'Europe.
« Faites comme nous »
En accordant 47 % des voix à la coalition sortante et seulement 33 %
des voix aux formations qui - très timidement - demandaient un peu plus
de solidarité et une politique moins strictes, les Allemands ont fait
savoir au reste du continent qu'ils trouvaient parfaitement
satisfaisante la situation actuelle. Ils ont déçu les espoirs d'une
Europe qui, si l'on en croit le pourtant très merkélien quotidien Les
Echos, « espérait une Allemagne plus généreuse et plus constructive. »
En plébiscitant Angela Merkel, les électeurs allemands ont envoyé ce
message au reste du continent que la seule issue pour les autres peuples
résidait dans l'acceptation des mesures « allemandes. » Ce qui a
triomphé dimanche, c'est ce leitmotiv que l'on entend en boucle depuis
trois ans outre-Rhin : « Mais pourquoi ne font-ils pas comme nous ? »
Même les développements inquiétants de la semaine passée n'ont pas eu
raison de cette certitude. Ni le chaos grec et l'assassinat d'un
musicien communiste par des néo-nazis, ni les inquiétants développements
au Portugal. Tout ceci ne serait donc décidément que mauvaise volonté
et refus de voir dans la « solution allemande », le remède universel.
« L'Europe parle allemand »
Peu importe que ce leitmotiv n'ait aucun sens si l'on prend en compte
la diversité des économies de la zone euro et la situation actuelle
(bien différente de celle de 2003 lorsque Gerhard Schröder a entamé ses
réformes qui n'ont du reste fonctionné qu'à partir du retour de la
croissance mondiale en 2005). Mais ce leitmotiv a cet avantage
remarquable de flatter les Allemands. C'est ce qui a tant profité à
Angela Merkel qui en a fait la pierre angulaire de sa politique
européenne. Plus que jamais, comme le signifiait voici deux ans un
dirigeant CDU, « l'Europe parle allemand. » De gré ou de force.
Politique européenne à bon compte
Pour bien comprendre la victoire d'Angela Merkel, il faut en
comprendre l'esprit. Ce n'est pas par grandeur d'âme que Berlin a
cherché à transmettre ses « bonnes recettes. » C'est bien plutôt parce
que c'est la méthode la moins coûteuse pour le contribuable. Pour sauver
l'euro, instrument de puissance économique et politique si nécessaire à
l'Allemagne, la République fédérale n'aura finalement versé que
quelques dizaines de milliards d'euros en cash pour le capital du MES
(Mécanisme européen de stabilité). C'est assez peu. Et c'est bien
pourquoi les électeurs allemands ont eu ce sentiment que la chancelière
défendait au mieux les intérêts allemands. Peu importe qu'il ne s'agisse
là que d'une illusion et que le poids des dettes en Grèce et au
Portugal rend inéluctable un défaut sur la dette garantie par
l'Allemagne.
AfD, gage de l'immobilisme allemand
Confirmée, la politique d'Angela Merkel, celle qui est tant contestée
partout ailleurs en Europe, devrait donc se poursuivre. Elle pourrait
même se durcir. Car la chancelière sait qu'elle a été réélue sur la
défense des contribuables. Il lui sera difficile de mettre en cause ses
intérêts. Surtout, la poussée du parti anti-euro, l'AfD, qui a été à
deux doigts d'entrer au parlement, place sur sa tête une épée de
Damoclès. L'AfD pense qu'Angela Merkel va trop loin dans la solidarité
européenne. Nul doute que la chancelière ne perdra pas de vue son
évolution future. Et qu'elle n'aura de cesse de ne pas froisser les
électeurs tentés par cette nouvelle formation. Dans les futures
négociations sur le système de résolution de l'union bancaire et sur
l'effacement des dettes des pays périphériques. C'est un gage certain de
la poursuite de la politique d'immobilisme allemande en Europe.
Défaite de François Hollande
Après un tel soufflet, l'Europe n'a plus qu'à courber l'échine et à
accepter la « solution allemande. » Ceux qui, comme François Hollande,
espérait un « tournant » n'ont plus qu'à se soumettre. Le rapide
communiqué de l'Elysée dimanche soir invitant Angela Merkel à « venir
discuter des dossiers », sonnait comme une demande d'armistice de la
part d'une armée défaite. Le président français est donc condamné à
poursuivre son « merkélisme de gauche » à coup de hausses d'impôts afin
de satisfaire aux critères fixés par le futur pacte budgétaire et au
regard de Berlin. Et peu importe que l'on prenne le risque de détruire
la croissance renaissante. Ainsi en ont décidé les électeurs allemands,
vrais maîtres d'une Europe dont, en vérité, ils ne se soucient guère.
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