26 octobre, 2011

L'Europe se déchire sur le rôle de la BCE dans la crise

LEMONDE

L'un sera là, l'autre pas. L'issue du sommet des chefs d'Etats et de gouvernements de l'Union monétaire, qui devait se tenir mercredi 26 octobre à Bruxelles, est, entre autres, entre les mains de deux Italiens : Silvio Berlusconi, le président du Conseil italien qui préside à la destinée d'un pays menacé par la contagion de la crise de la dette souveraine, et Mario Draghi, futur président de la Banque centrale européenne (BCE), appelée à la rescousse pour stabiliser la zone euro.

"Si le sommet était un échec, cela pourrait faire basculer le continent européen vers des terres inconnues", a prévenu mardi le premier ministre François Fillon, alors que les Européens peinent à surmonter leurs divergences, que ce soit au sujet de la restructuration de la dette grecque, de la recapitalisation des banques, ou encore du renforcement du Fonds Européen de stabilité financière (FESF).

Sermonné par la chancelière allemande Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, M. Berlusconi devait présenter à ses pairs le plan d'austérité qu'ils ont exigé de lui dimanche. L'objectif est clair aux yeux des Européens, mais difficile à atteindre en Italie en raison de la faiblesse du président du conseil : donner des gages au marché, au moment où la Péninsule est considérée comme le prochain maillon faible de la zone euro. Mme Merkel et M. Sarkozy conditionnent de surcroît tout soutien préventif du FESF à l'Italie à la mise en oeuvre d'un plan précis, daté et chiffré, d'économies et de réformes.

Depuis dimanche, M. Berlusconi a dû ferrailler avec son allié eurosceptique, la Ligue du Nord, avant d'établir, mardi soir, une liste de mesures, comprenant, entre autres, une réforme partielle des retraites. "A la fin, nous avons trouvé un chemin mais il faut voir maintenant ce que dira l'Europe", a commenté Umberto Bossi, le chef de la Ligue du Nord.

Bras de fer

Une chose est sûre : la situation de l'Italie va compliquer l'entrée en fonction de Mario Draghi à la tête de la BCE, le 1er novembre. Car le bras de fer sur le rôle de l'institut d'émission dans la crise n'a jamais été aussi intense : les dirigeants européens espèrent en privé que l'institut de Francfort poursuivra ses interventions sur le marché de la dette, pour stabiliser les coûts de financement de l'Italie.

"Ce que nous ferons ne sera crédible que si la BCE dit qu'elle est prête à agir", dit-on à l'Elysée, alors que les discussions pour renforcer la force de frappe du FESF laissent craindre à Paris une issue peu satisfaisante. Sur fond de passage de relais entre MM. Trichet et Draghi, la question est explosive en Allemagne. Mme Merkel a mis en garde mardi contre des pressions trop fortes : "Il ne faut pas laisser surgir la fausse impression que les politiques attendent quelque chose de la BCE", a dit la chancelière.

Voici une semaine, à Francfort, M. Sarkozy avait au contraire demandé à M. Trichet de poursuivre son programme de rachat : le président sortant de la BCE avait alors mis en avant l'indépendance de son institution pour refuser de s'engager.

De son côté, M. Draghi, qui connaît l'opposition de son homologue de la Bundesbank, Jens Weidmann, au rachat de dette, ne s'est pas non plus prononcé en public. "Mario Draghi pratique bien le slalom", observe un membre du Conseil des gouverneurs de la BCE.

Moins diplomates en privé, d'autres dirigeants de la BCE confient avoir eux-mêmes du mal à cerner la position de M. Draghi. Ils reprochent au banquier central italien d'avoir régulièrement séché les réunions de l'institution de Francfort, et envoyé à sa place Fabrizio Saccomanni, le numéro deux de la Banque d'Italie.

La BCE, qui a commencé à acheter de la dette d'Etat en 2010, espérait cesser ces opérations dès le mois d'octobre, pour laisser la place au FESF. Mais ce dernier ne sera pas opérationnel avant quelques semaines, et ses moyens sont jugés insuffisants.

M. Trichet pourrait accepter de prolonger un peu le programme, avant de passer la main. Mais son successeur, s'il poursuit dans cette voie, ne manquera pas d'être "accusé de favoritisme envers les Italiens", qui auront besoin de l'intervention de la banque centrale, dit-on au sein de l'institut d'émission.

Aujourd'hui, la BCE est à la tête d'un portefeuille de 169,5 milliards de dettes d'Etat grecque, espagnole, italienne, portugaise et irlandaise. Elle a acquis près de 4,5 milliards d'euros d'obligations publiques de ces pays la semaine dernière, soit plus du double de la précédente.

D'après une source interne, la BCE pourrait décider de maintenir l'outil des achats de dette d'Etat, sans l'utiliser au quotidien, de manière à pouvoir intervenir en cas de tensions exceptionnelles. Mais elle n'en a encore rien dit. D'où la fébrilité des chefs d'Etat et de gouvernement.

Cécile Prudhomme et Philippe Ricard (à Bruxelles)

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