26 septembre, 2011

Interview/ SEM Ilboudo, (Ambassadeur du Burkina Faso en Côte d’Ivoire) : “Si les élections n’avaient pas eu lieu, le pire serait inimaginable”

Le Patriote





Après seize ans de bons et loyaux services, l’Ambassadeur du Burkina Faso, Son Excellence Emile Ilboudo est en fin de mission en Côte d’Ivoire. Avant son départ, il s’est confié en exclusivité au Patriote. Entretien.

Le Patriote: Excellence, après seize ans passés en Côte d’Ivoire en qualité d’ambassadeur plénipotentiaire du Burkina-Faso, vous cédez votre poste à Justin Koutaba qui doit incessamment prendre fonction. Comment expliquez-vous ce long séjour là où la plupart ne font pas plus de quatre ans?
Emile Ilboudo: Je suis en fin de mission après un séjour relativement long, comme vous le dites. Comme dans de nombreux pays, la constitution burkinabé confère à son Excellence Monsieur le Président du Faso, le pouvoir de nommer et de mettre fin à certaines hautes fonctions; l’Ambassadeur ne décide pas donc de la durée de sa mission.

LP: Cela n’est pas toujours bien perçu par l’opinion qui déduit que vous êtes un homme clé du Président Compaoré. Pensez-vous que la vraie raison des seize années que vous avez passées à votre poste tenait plus à votre relation privilégiée avec le président Compaoré?
EI: Je respecte cette opinion, mais dans un Etat moderne et performant comme le nôtre, il me paraît injuste de considérer le degré de relation avec le Président du Faso comme un critère rigide dans la nomination à une fonction ou de la durée dans cette fonction. Je peux constater tout simplement avec vous que le Chef de l’Etat procède très souvent à un savant dosage au sein des nombreuses compétences, pour aboutir à des choix qui peuvent surprendre. Par exemple, je ne suis pas de la classe d’âge de son Excellence Monsieur Blaise Compaoré.

LP: Au moment où vous rentrez, quelles sont les actions majeures que vous avez pu réaliser au niveau de la chancellerie et que vous laisser en «héritage» à votre successeur?
EI: Lorsque je prenais fonction en Côte d’Ivoire au dernier trimestre de l’année 1995, ce pays frère subissait déjà l’exacerbation des rivalités politiques ; se succédèrent entre autres le boycott actif, le coup d’Etat du 24 septembre 1999 avec la transition militaro-civile, l’adoption d’une nouvelle Constitution, l’invalidation des candidatures à la présidentielle de 2000, l’avènement de la deuxième république, le forum de la réconciliation nationale, le 19 septembre 2002 et enfin les premier et deuxième tours de l’élection présidentielle 2010. Avec toutefois, une constante, les accusations récurrentes portées contre notre pays sur le soutien à la rébellion armée et au Docteur Alassane Ouattara. Toute cette succession d’évènements, dans le contexte économique difficile, ont aggravé la situation de nos ressortissants les plus nombreux, disséminés sur tout le territoire ivoirien et nécessité de la Représentation Diplomatique des démarches de proximité. Mon frère cadet Justin Koutaba va poursuivre de nombreux dossiers dans un contexte nouveau, notamment avec la mise en œuvre attendue du Traité d’Amitié et de Coopération entre la République de Côte d’Ivoire et le Burkina Faso signé à Ouagadougou le 29 juillet 2008.

LP: Quelle fonction allez-vous occuper en rentrant au pays?
EI: Je retourne au pays pour me mettre à la disposition de Son Excellence Monsieur le Président de la République du Faso et de mon pays, auxquels je reste redevable à vie, pour tous les sacrifices consentis à ma faveur. Dans le principe, je suis admis à faire valoir mes droits à la retraite ; à cette date, je totalise trente huit ans de service, et soixante quatre ans d’âge.

LP: Excellence, vous avez vécu toutes les péripéties de la crise ivoirienne de la décennie dernière. Comment avez-vous diplomatiquement géré ces crises quand on sait les relations exécrables entre l’ex-régime ivoirien et votre pays ?
EI : C’est exact, j’ai vécu avec les ressortissants burkinabè les péripéties de la crise. Il convient de souligner que c’est Son Excellence Monsieur le Président du Faso qui détermine et impulse la politique en matière diplomatique. A ce titre, je reçois ses instructions, je soumets ou propose des avis; dans certains cas, je suis appelé en consultation comme c’était le cas avant la réunion programmée à Abidjan du panel des Chefs d’Etat. Les relations étaient ostensiblement exécrables entre nos deux pays et c’est en cela qu’il faut rendre hommage à tous ceux qui ont été inspirés par la sagesse, la clairvoyance, afin que l’Accord Politique de Ouagadougou survienne.

LP: Vous avez-vous vous- même été physiquement l’objet d’un «enlèvement» en 2001 à Abidjan au moment où votre pays était voué aux gémonies en Côte d’Ivoire. S’agissait-il, selon vous d’un simple braquage ou d’un acte politique?
EI : C’était plus précisément le mercredi 11 juillet 2001, vers 18 heures, dans la cour de la Résidence du Consul Général à Attoban. A la réflexion, il pourrait s’agir des deux hypothèses. Je me souviens que deux de mes ravisseurs se préoccupaient de scruter l’intérieur du véhicule pendant que le troisième, le chef, tenait son pistolet sur ma tempe ; l’un deux a commencé à parler de leurs conditions de vie dans l’armée et il a été immédiatement sommé de se taire.

LP: Nous disposions d’informations faisant état d’une recherche de documents compromettants pour les autorités ivoiriennes d’alors que vous transportiez sur vous ce jour là. Vous confirmez ou démentez cette version des faits?
EI : Cette version peut-être créditée par le fait que quelques jours auparavant, une marche sur notre chancellerie avait été annoncée par des jeunes dans le but de m’inviter à situer définitivement l’opinion sur la nationalité de Monsieur Alassane Ouattara.

LP: Vos compatriotes ont été ces dix dernières années traqués par les ex-Fds, spoliés de leurs biens notamment les plantations et accusés de tous les maux. Mais vous ne vous êtes jamais prononcé sur ces sujets de façon publique et officielle. Stratégie diplomatique ou démission?
EI : C’est avec beaucoup de peine que les consuls et moi constatons et enregistrons ces faits dommageables à notre communauté.
LP : Votre silence a souvent suscité des critiques de la part de vos compatriotes qui se sont souvent sentis abandonnés par la chancellerie. Comment vous défendez-vous face à ces critiques ?
EI : Renseignez-vous, les règles en la matière ne nous autorisent pas à tenir des meetings ou bien à nous répandre dans la presse pour décrier ou dénoncer les maux. Nous sommes tenus par l’obligation de réserve; par contre le Ministère des Affaires Etrangères de la République de Côte d’Ivoire vous confirmera que notre chancellerie bat le record en nombre de Notes de protestations; vous avez constaté qu’à une période donnée j’étais régulièrement convoqué pour m’expliquer sur des sujets désagréables. Le silence n’est pas donc synonyme de démission ou d’abandon, loin de là ! Je vous demande donc de me donner raison à ne pas trop parler.

LP: La Côte d’Ivoire a pu aller à des élections en 2010, grâce à l’Accord politique de Ouagadougou même si le dénouement de la crise s’est fait dans les circonstances qu’on sait tous. Un mot sur ce modus vivendi?
EI : Les élections ont pu se tenir enfin, malgré les circonstances; si elles n’avaient pas eu lieu, le pire à ce jour serait inimaginable. Incontestablement l’Accord Politique de Ouagadougou (APO) aura permis d’en faire l’économie.

LP: Combien de Burkinabé ont-ils perdu la vie dans les évènements postélectoraux en Côte d’Ivoire?
EI: A cette date, deux cent quatre vingt trois (283) Burkinabé ont perdu la vie, mais ce chiffre est appelé à croître.

LP: La Côte d’Ivoire redevient un Etat de droit avec l’avènement du Président Ouattara. Pensez-vous que les Burkinabè spoliés de leurs plantations et les parents des victimes d’exactions diverses peuvent espérer justice et réparation?
EI: J’espère tout naturellement qu’à la faveur de la réinstauration de l’Etat de droit, des Burkinabè pourront prétendre obtenir réparation des préjudices.

LP: Comment cela pourrait-il s’opérer?
EI: Je pense notamment à des actions individuelles, collectives devant les juridictions, ou bien dans le cadre des négociations bilatérales entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Du reste, les nouvelles autorités ivoiriennes en sont conscientes.

LP: La communauté burkinabé reste de loin la plus forte en Côte d’Ivoire mais s’en trouve être la plus désorganisée. Comment expliquez-vous ce paradoxe?
EI: Je vous demande de tempérer votre appréciation car il faut préciser qu’il y a un cadre organisationnel à travers l’existence de nombreuses représentations associatives des Burkinabè sur toute l’étendue du territoire ivoirien. Dans la quasi-totalité des cas, elles se sont assignées comme objectif commun, la défense des intérêts des burkinabè. Vous constatez comme moi et vous l’avez personnellement stigmatisé, que des guerres intestines de leaderships et d’intérêt minent la communauté et sapent par conséquent les efforts des responsables de la Représentation Diplomatique à coordonner, fédérer les actions des uns et des autres. Par exemple, des Associations se créent dans le but de faire ombrage à d’autres pour des motifs qui n’ont aucun rapport avec les intérêts des Burkinabè ; des considérations liées à des « chefferies » résistent au changement et s’accommodent mal avec des nouvelles structures, etc. La persistance de ces clivages s’expliquent par les agissements d’individus qui trouvent leur subsistance quotidienne à travers les intrigues diverses.

LP : Y a-t-il un espoir d’un changement de mentalité ?
L’espoir est fondé sur les mouvements de jeunesse, mais là encore, le projet de création de fédérations nous situera sur leurs capacités à opérer les changements de mentalité.
LP: On note également, Excellence, que contrairement au Mali, au Niger, la diaspora Burkinabé de Côte d’Ivoire ne vote pas encore alors que son apport au développement du pays est considérable. Qu’est ce qui peut bien expliquer cela ?
EI: La loi relative au vote des Burkinabè de l’Etranger a été déjà adoptée.

LP: La presse a rapporté récemment que vous aviez déclaré que ceux qui sont à l’origine des mutineries au Burkina sont issus de vos compatriotes en Côte d’Ivoire. Une telle déclaration ne met-elle pas à mal la cohésion du peuple Burkinabé?
EI: Je suis surpris que vous affirmiez, au lieu de me poser la toute simple question de savoir si j’ai fait une telle déclaration. Je ne vois rien qui puisse mettre à mal la cohésion d’un peuple à partir d’un fait inexistant.

LP: Pourtant, le Tocsin depuis le Burkina vous a également répondu sur cette affaire?
EI: Par soucis du respect des formes, je me dispense de commentaires, mais vous, vous savez que j’ai beaucoup de retenue, et de respect pour le Tocsin.

LP: Depuis quinze ans votre communauté lève des cotisations en vue de la construction de la «Maison du Burkina». Combien ont-ils pu mobiliser à ce jour et à quand la sortie de l’immeuble annoncé de terre?
EI: Je dois avouer que les explications et informations portant sur le projet de la « Maison du Burkina » ont été insuffisantes, à en juger par des questions récurrentes qui nous sont posées. Succinctement, l’idée du projet est partie de l’engagement de Burkinabè auprès de Son Excellence Monsieur le Président du Faso lors d’une visite en 1993 à Abidjan, de fiancer la réalisation ; et les principes suivants avaient été retenus initialement : premièrement, une souscription volontaire de nos compatriotes résidant en Côte d’Ivoire ; deuxièmement, la composition des souscriptions en obligations, suite aux contacts pris avec les opérateurs économiques Burkinabè de Côte d’Ivoire. Suite à l’impasse au niveau de la mobilisation des ressources financières- peu d’engouement pour les souscripteurs volontaires, défection des opérateurs économiques- le Gouvernement a entrepris la recherche d’un financement extérieur lorsque survint la crise. Lors de sa visite officielle à Abidjan en septembre 2009, Son Excellence Monsieur le Président du Faso a donné une réponse à votre question, à savoir la reprise du projet en période apaisée. D’un coût d’environ onze milliards de franc CFA, et environ un milliard globalement de francs Cfa ont été mobilisés.

LP: Vous rentrez au moment où la Côte d’Ivoire amorce sa réconciliation et sa reconstruction, quel message avez-vous à lancer au peuple ivoirien ?
EI: Le peuple frère de Côte d’Ivoire a vécu depuis un peu plus d’une dizaine d’année des crises qui ont causé de nombreuses victimes, disloqué les cellules familiales, meurtri les cœurs, attisé des rancœurs, fragilisé le tissu socio-économique, etc., je lance un appel à mes sœurs et frères ivoiriens à un sursaut national pour faire de la réconciliation et de la paix un passage incontournable, et c’est avec satisfaction que le visiteur remarque, sans difficulté, les changements nouveaux à travers la ville d’Abidjan par exemple, tout comme pour dire qu’il urge d’effacer les stigmates d’un passé douloureux.
Entretien réalisé par
Alexandre Lebel Ilboudo

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