10 août, 2011

Un émeutier de Londres : « On cible les richesses »

QUARTIER DE HACKNEY, LONDRES (ROYAUME-UNI), HIER. S’il reconnaît que, parmi les émeutiers, certains ne sont là que pour piller, Yemoko Baboss se sent engagé dans une guerre contre « le système ».

QUARTIER DE HACKNEY, LONDRES (ROYAUME-UNI), HIER. S’il reconnaît que, parmi les émeutiers, certains ne sont là que pour piller, Yemoko Baboss se sent engagé dans une guerre contre « le système ». | (LP/YANN FOREIX.)

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Il y a un temps pour tout. Il est environ 13 heures et Yemoko Baboss — l’identité sous laquelle ce membre autoproclamé d’un gang préfère se présenter — promène tranquillement sa fille dans une poussette. L’heure n’est pas encore à l’affrontement. De toute façon, son téléphone BlackBerry n’a plus de batterie. Et sans ce précieux outil de communication, pas de rassemblement possible. Lundi après-midi, c’est par le biais d’un message transmis sur sa boîte Messenger que Yemoko a reçu le signal qu’il attendait, voire qu’il espérait. « Il y avait eu , Wood Green, Enfield (NDLR : les premiers quartiers de Londres touchés par les émeutes)… C’était évident que ça allait arriver chez nous », raconte cette figure de Hackney, un quartier populaire de l’est de Londres. Le mot d’ordre est simple : rendez-vous à 16 heures sur Mare Street. « Je pense que la police était au courant car elle a fait fermer la plupart des magasins, observe-t-il. En revanche, ils ne savaient pas à quoi s’attendre. Ils ont clairement été dépassés. »

«Il faut se révolter»

Quand Hackney s’est embrasé lundi après-midi, Yemoko était donc aux premières loges à l’heure dite. Une évidence pour ce garçon de 29 ans dont deux ans et demi passés en prison pour « des affaires de drogue ». La mort dans des circonstances troubles d’un habitant de Tottenham jeudi a servi, selon lui, de détonateur à l’expression d’une colère enfouie. « Il faut se révolter. Les taxes sont trop élevées, on n’a pas de travail et il y a eu trop de coupes dans le budget. Pour le gouvernement aujourd’hui, les jeunes sont d’abord un problème. Il ne faut pas s’étonner de ce retour de bâton », plaide ce père de quatre enfants de trois mères différentes en développant des arguments économiques qui font mouche dans l’opinion. « Je comprends parfaitement ce mouvement. Les gosses n’ont rien, leur frustration est énorme », analyse Robin, un vieil habitant du quartier, tandis que, derrière lui, des agents municipaux déblaient les restes d’une voiture calcinée.

Yemoko, issu d’une famille originaire de la République démocratique du Congo (RDC), réfute toute base ethnique à cette contestation. « Il y a des Noirs, mais pas seulement. J’ai vu des gens de toutes les origines », insiste-t-il. Dans les rues bigarrées de son quartier, comme dans celles de Tottenham la veille, personne d’ailleurs ne met en avant le moindre argument racial.

Yemoko se sent davantage engagé dans une guerre contre « le système » qui ne lui procure guère d’états d’âme. Et quand il raconte cette scène d’un policier qui s’effondre après avoir reçu une pierre, c’est d’abord pour se plaindre de l’arrestation du jeune lanceur. Le pillage des boutiques de marques, pourtant peu populaire chez ses compatriotes, ne l’émeut pas plus. « On n’est pas violents contre les gens, et puis, ici, on n’a pas incendié de bâtiments. En revanche, on cible les richesses. On ne fait que reprendre l’argent qu’on a donné. Si on met l’économie à terre, ça va peut-être faire bouger les choses », argumente-t-il.

«ça va se propager à toute l'Angleterre»

Mais Yemoko n’est pas dupe : il sait bien que, dans la masse des jeunes cagoulés, tous ne sont pas mus, loin de là, par des visées politiques. « Il y en a qui profitent de l’opportunité, admet-il. En même temps, quand tu es jeune et qu’il y a des affaires sympas à prendre, c’est sûr que tu te sers. » Bien qu’il se décrive volontiers comme un aîné dans le mouvement, lui-même n’est pas à l’abri d’une contradiction. Lundi, il est rentré chez lui après les émeutes avec « des lunettes de soleil, des chaussures et des tee-shirts ». Pas vraiment effrayé par des policiers largement inoffensifs, le jeune homme au visage tatoué n’a qu’une seule crainte : « Retrouver [sa] tête à la télévision ou sur une caméra de vidéosurveillance. »

Après une matinée passée à pouponner et à faire le bilan de la nuit avec ses potes, Yemoko attend la suite avec gourmandise : « Je pense que ça va se propager à toute l’Angleterre. Parce qu’il y a une compétition un peu stupide entre les quartiers, mais pas seulement. Les jeunes sont vraiment en colère. Je ne sais pas comment ça va tourner… »

Le Parisien

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