Même dans l’hypothèse la plus favorable, on ne parviendra pas à éviter des politiques de rigueur. Quant au pire, il n’est pas exclu.
Scénario 1 : Plus de peur que de mal
Chaque tempête financière apporte son lot d’informations contradictoires, qui rendent la situation encore plus surréaliste. Le lundi 8?août, alors même que les Bourses dévissaient après la dégradation de la note américaine par l’agence Standard & Poor’s, son concurrent Moody’s expliquait pourquoi il comptait maintenir le triple A américain !
"Même si les perspectives économiques à court terme montrent des faiblesses, nous pensons qu’à long terme elles restent favorables par rapport à de nombreuses économies, écrit Moody’s dans sa note hebdomadaire. Les Etats-Unis ont un accès inégalé au financement, ce qui signifie que le gouvernement américain peut supporter un endettement beaucoup plus élevé que d’autres gouvernements."
"Nous ne sommes pas dans un scénario 2008"
Moody’s voit le verre à moitié plein. Pas de panique : même si l’or est de plus en plus la valeur refuge, le dollar n’est pas prêt de se crasher, le prix du pétrole a baissé sous les 80?dollars le baril, les pays émergents restent dynamiques… Tout n’est pas si noir en ce mois d’août pluvieux.
"Nous ne sommes pas dans un scénario 2008, estime Jean-Pierre Jouyet, président de l’AMF (Autorité des Marchés financiers). Il n’y a pas eu de faillite comme celle de Lehman et les marchés semblent se stabiliser."
Ainsi, contrairement à 2008, le marché interbancaire, qui permet aux banques de s’échanger des actifs financiers et assure la fluidité des liquidités, fonctionne normalement.
"Plus salutaire que la crise grecque"
"Même si ce n’est pas encore parfait, les Européens ont pris les mesures qui s’imposaient, poursuit le président de l’AMF. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se sont téléphoné et se sont mis d’accord, c’est ce qui compte."
L’essayiste Alain Minc, le plus optimiste des conseillers de Nicolas Sarkozy, pousse le raisonnement encore plus loin : "Cette crise est finalement plus salutaire que la crise grecque, assène-t-il. Cela va contraindre les Allemands à franchir un grand pas. Pour Angela Merkel, sauver la Grèce était un choix politique, tandis que sauver l’Italie c’est un choix de survie collectif. La Grèce, l’Allemagne pouvait s’en passer. Mais l’Italie est son second partenaire en Europe. Si l’Italie saute, l’Allemagne saute aussi !"
Minc est persuadé que la crise peut déboucher "au forceps" sur un système de gouvernance économique prôné par l’Elysée. Mais avec des critères de bonne gestion à l’allemande…
Scénario 2 : L’Europe sur le fil du rasoir
Si le krach n’a pas encore eu lieu, cela ne signifie pas que les dangers soient totalement écartés. Directeur adjoint du département des études de l’OFCE, Jérôme Creel en appelle, lui aussi, à une "union sacrée".
"Il faut, explique-t-il, que les dirigeants des grandes banques centrales se réunissent et décident collectivement, pour montrer l’exemple, de racheter des titres étrangers. La Chine doit acheter des obligations américaines pour bien montrer que la valeur refuge reste le dollar, et la BCE doit racheter des émissions italiennes pour protéger l’euro. Bref, il faut montrer qu’il y a une véritable concertation, pour que les marchés reprennent confiance."
Mais, pour lui, le risque de contagion est réel. Les échéances électorales de 2012, aux Etats-Unis comme en France, pousseront-elles les gouvernants à amorcer les véritables réformes réglementaires pour limiter le caractère spéculatif des marchés ? C’est l’espoir de Jérôme Creel : "Pour Sarkozy comme pour Obama, il ne s’agira pas de sauver leur pays, mais bien de sauver le monde…"
"Le risque de contagion ne peut pas être totalement écarté"
Avant de sauver le monde, il faudrait déjà sauver l’Europe… "La situation américaine n’est pas si dramatique que cela ! Les Américains impriment leur propre monnaie, il n’y aura pas de défaut de paiement demain", s’exclame Jean Peyrelevade, patron de la banque d’affaires Leonardo à Paris, qui avait déjà lancé une mise en garde sur l’endettement de la France en 2008.
Pour l’ancien patron du Crédit lyonnais, "le problème principal est toujours le même : c’est l’incapacité des dirigeants européens à choisir entre une vraie solidarité et la disparition de l’euro". Or tant que les marchés ne sont pas persuadés que l’Europe a fait son choix, "le risque de contagion ne peut pas être totalement écarté".
Jean Peyrelevade ne croit pas à "l’explosion immédiate, à condition que les Européens prennent de vraies décisions, comme l’émission d’eurobonds", c’est-à-dire des obligations européennes. "Si l’Allemagne acceptait dès aujourd’hui de mutualiser les dettes des pays de la zone euro, le calme reviendrait immédiatement sur les marchés."
Mais à force de "mégoter pour chaque décision", la chancelière Angela Merkel fait perdre beaucoup de temps à l’Europe. Que peut faire Nicolas Sarkozy ? Pas grand-chose, à part convaincre Angela Merkel : "La France ne peut pas instaurer de solidarité européenne sans l’aval et la participation de l’Allemagne."
Scénario 3 : Récession et embrasement social
Surnommé "la Pythie" pour ses analyses aussi pessimistes que prémonitoires, l’économiste américain Nouriel Roubini estime dans une tribune publiée dans le "Financial Times" que stopper une nouvelle récession sera "mission impossible?".
Bien avant la panique de la semaine dernière, les données étaient très négatives. Aux Etats-Unis, il y a eu peu de créations d’emploi, une croissance faible, une consommation atone, une confiance des ménages et des entreprises en berne.
En Europe, la situation n’est pas plus florissante et le risque que l’Italie et l’Espagne – voire les deux – perdent l’accès au marché de la dette est énorme.
"Nous courons vers l’explosion"
Jusqu’à présent, les "Etats ont toujours réussi à sortir un lapin de leur chapeau", écrit Nouriel Roubini. Stimulus fiscal, facilité d’accès au crédit, liquidités pour les institutions financières… Tout a été essayé. Mais ils sont à court de munitions.
Pour limiter les effets d’une rechute, qu’il juge inévitable, l’économiste américain ne voit qu’une solution : mettre les taux d’intérêt à zéro et démarrer un plan de restructuration des dettes, puisque nous ne sommes pas seulement dans une crise de liquidités mais aussi de solvabilité, dit-il
Olivier Delamarche, associé chez Platinum Gestion, appartient lui aussi au clan des pessimistes. "Depuis la crise de 2008, nous courons vers l’explosion, annonce-t-il. En théorie, le marché est là pour donner une valeur à des actifs et permettre de se les échanger. Après 2008, on a faussé la machine en mettant sur le plateau des liasses de dollars !"
Olivier Delamarche accuse les politiciens de fuite en avant. "Le seul moyen d’assainir ces dettes, dit-il, consisterait à avoir un budget ultra-récessif. Mais évidemment aucun Etat n’osera." Il voit tout cela déboucher sur un krach obligataire. Et au final, récession et hausse d’impôts…
"Le mouvement de mécontentement pourrait se généraliser en Europe"
Mais jusqu’où les citoyens occidentaux accepteront-ils de se serrer la ceinture pour sauver le système ? La réaction des Grecs aux plans de redressement a de quoi rendre nerveux toute la classe politique européenne.
"C’est un vrai sujet, admet le dirigeant d’une grande institution financière, qui préfère garder l’anonymat. Comment les populations européennes vont-elles réagir aux politiques d’assainissement budgétaire, inéluctables des cinq ans à venir. Le mouvement de mécontentement pourrait se généraliser en Europe et alors là, on ne sait pas comment cela peut évoluer."
De nombreux économistes redoutent l’explosion sociale : "Si les sacrifices ne sont pas équitablement partagés, ces risques sont évidents", commente Philippe Aghion, professeur à Harvard. Tandis que Nicolas Bouzou, économiste chez Asteres, estime que "dans les pays où le chômage est élevé, le pouvoir d’achat faible, il est évident que des mesures de rigueur vont inquiéter encore plus les opinions?".
A contrario, Jean Peyrelevade ne croit pas à un embrasement social : "Jusqu’à présent, les effets de la crise financière sont restés relativement limités, même dans les pays sévèrement touchés comme la Grèce et l’Islande?", estime-t-il. Il y a certes des manifestations, mais la majorité de la population a accepté les mesures votées par leur Parlement. "La récession que nous subissons en Europe est sévère, mais elle reste relativement douce par rapport à la crise de 1929." Il y a noir… et noir foncé.
Odile Benyahya-Kouyder avec Clara Bamberger et Martine Gilson - Le Nouvel Observateur
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