11 avril, 2011

Simon Compaoré : « Nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert »

C’est un bourgmestre de la capitale occupé à traiter son courrier qui nous a reçus entre deux rendez-vous, le vendredi 8 avril 2011, dans une salle de réunions de l’hôtel de Ville. D’entrée de jeu, Simon Compaoré nous fait un “prêche” : en substance, il a déjà tout pardonné et il ne tient pas à ce que l’interview qu’il nous accorde serve « à remuer le couteau dans la plaie ou à jeter de l’huile sur le feu ». De ce fait, il n’a souhaité répondre qu’aux questions portant sur les circonstances des évènements malheureux qu’il a vécus. « Je n’ai peur que de Dieu seul et ce qui s’est passé relève de l’histoire. Je n’en veux à personne », précisa-t-il. Pour qui connaît l’homme, ce mutisme peut étonner. Pendant près de 50 minutes chrono, l’édile va nous tenir un discours de paix et de tolérance truffé de citations et de passages de la Bible.

Malgré tout, Simon n’a pas perdu de sa superbe et de son sens de l’humour. Remuant comme à son habitude, il ponctuera ses propos de grands gestes ou de preuves, allant même jusqu’à soulever sa chemise pour nous montrer les marques laissées sur son flanc gauche ou à nous présenter, à la manière d’un mannequin, les vêtements que de bonnes volontés et des amis lui ont offerts.

Comment va monsieur le maire ?

• Par la grâce de Dieu et comme vous pouvez vous en rendre compte, je vais bien. J’ai eu des audiences ce soir même et je suis en train de traiter mon courrier. J’ai repris du service il y a 3 jours. Je me porte bien. Je ressens encore quelques contusions, mais sans plus. Je suis sain d’esprit et de corps.

Qu’est-ce que vous avez eu comme traumatisme selon le diagnostic des médecins ?

• Vous avez vu ma tête ! (NDLR : rires en nous montrant la cicatrice au milieu de son crâne) J’ai eu un coup à la tête et j’ai beaucoup saigné. Je pensais que j’avais une hémorragie interne mais, Dieu merci, le scanner n’a rien montré de cela. Sur le coup, j’étais sonné et, comme on le dit, j’étais dans les vapes. Je peux dire que j’ai frôlé la mort.

Du fait d’avoir marché sur des tessons, je me suis tailladé la plante des pieds. On m’a versé un liquide dessus, je ne sais pas quel liquide, avant de “crier mettez le feu !” Cette phrase résonne encore dans ma tête. Le mauvais traitement qu’a subi également ma pauvre épouse fait partie des traumatismes.

Ce sont des choses qui arrivent et j’essaie d’oublier. Je remercie surtout Dieu d’avoir permis à mon épouse et à moi de ne pas craquer. J’ai été très bien pris en charge à la clinique de la Présidence par les militaires, et tous les témoignages de soutien et les marques d’affection que j’ai reçus de toutes parts m’ont fait chaud au cœur. Ce courant fort de sympathie autour de ma modeste personne a presque effacé mes traumatismes.

On a entre-temps parlé de fractures de côtes. Qu’en est-il réellement ?

• Ce n’est pas le cas. Quand on vous donne des coups de crosse aux côtes (NDLR : il nous montre les marques qu’il a sur le flanc gauche), ça fait horriblement mal ! Je n’arrivais pas à respirer et j’étais même sûr que j’avais les côtes cassées.

On pensait même que ma vésicule biliaire avait éclaté, mais l’échographie, la radio et le scanner ont montré qu’il n’en était rien de tout cela. Il peut peut-être y avoir des fêlures, mais si c’était cassé, je n’allais pas pouvoir faire de mouvements (NDLR : il se lève et joint l’acte à la parole en faisant des mouvements pour nous le prouver). On sent que vous n’avez jamais eu de côte cassée (rires).

Pouvez-vous nous retracer la nuit mouvementée du 29 au 30 mars que vous avez vécue ?

• Je suis allé samedi soir à Paris où j’avais rendez-vous avec le directeur général de l’Agence française de développement (AFD) à qui je devais soumettre un Projet d’étude sur la construction d’un tramway à Ouagadougou (il nous présente une copie du projet).

Je devais lui expliquer que, d’ici 2025, on serait 3 millions et demi d’habitants dans la capitale et que si l’on ne pense pas déjà à d’autres moyens de transport comme un tramway, on serait bloqué. Les mobylettes ne seront plus d’actualité. Je l’ai effectivement rencontré le lundi matin. J’ai voulu revenir le jour même, mais j’ai raté mon avion.

C’est finalement le mardi 29 mars à 17 h que j’ai atterri à Ouaga. J’ai continué directement à l’hôtel de Ville, comme d’habitude quand je reviens de voyage, pour traiter mon courrier et gérer mes instances jusqu’à 21h. C’est pendant ce temps que quelqu’un m’a appelé pour me dire que ça tirait à Gaoua. J’ai immédiatement appelé le gouverneur du Sud-Ouest, que je connais très bien parce qu’il a été mon voisin de quartier, pour en savoir davantage et lui souhaiter bon courage.

J’ai fini de travailler vers 22h moins et je suis rentré chez moi au volant de mon véhicule personnel. Le temps de me laver, de discuter avec mon épouse et d’aller me coucher. 30-40 mn après, un autre coup de fil m’informe que ça tire au camp Lamizana, qui est dans mon quartier. Il était 23h passées. Depuis cette heure jusqu’aux environs de 2h du matin, je n’ai plus fermé l’œil. J’ai passé mon temps au téléphone et à ma fenêtre à observer les environs.

Vers 2h et demie, j’ai aperçu des gens qui se regroupaient devant la Direction générale des services techniques, communément appelé la voirie, qui est à 2 m de chez moi. Je me suis dit que ce n’était pas clair. 10 mn après, j’ai vu un porte-char arrivé à hauteur de ma maison et des gens en descendre et commencer à arroser le mur de balles (NDLR : il imite le bruit d’un fusil mitrailleur).

J’ai dit à mon épouse de se cacher dans une chambre et moi-même je me suis caché dans une autre. Ils ont enfoncé les portes jusqu’à nous avoir one by one. On m’a dit de sortir et on a braqué un fusil sur moi, mais Dieu est intervenu à travers deux autres militaires qui étaient à côté de moi. On m’a fait descendre, j’ai traversé des tessons qui me sont restés dans la plante des pieds.

J’ai été arrosé d’un liquide que je ne connaissais pas et j’entendais : mettez le feu ! Mettez le feu ! On m’a traîné dans la rue et j’ai failli recevoir un coup de couteau. Pendant ce temps, ma femme priait : « Jésus de Nazareth, venez nous sauver ! » On lui a intimé de se taire et l’a même menacée de la mettre dans la piscine pour qu’elle se taise. Je précise que tout s’est passé dans ma maison qui est sur la parcelle de mon père à Gounghin.

Il a coupé une partie de son terrain pour me la donner, car je n’avais pas l’âge d’avoir une parcelle lors du lotissement en 1967. Contrairement à ce qui est dit, je n’ai pas de maison à Ouaga 2000. C’est dans cette maison, à côté de la tombe de mon père, que tout s’est passé.

Comment se porte votre épouse à présent ?

• Elle va bien. Elle est forte, vous savez. Elle prie beaucoup et fait partie de groupes de prières et tout. Elle a même pu à la dernière minute saisir une personne qui a le don de prières pour lui dire de prier pour nous, car nous étions en danger. Et la dame lui a répondu que Dieu ne laisserait pas intenter à nos vies.

Elle l’a fait avant qu’on ne lui retire ses portables. Elle est très désolée qu’on ait détruit les copies de ses étudiants, puisqu’elle est enseignante à l’université, ainsi que les diplômes de nos enfants et tous nos documents administratifs qu’elle conservait. A part ça, elle est dans le même état d’esprit que moi, je crois, elle a beaucoup apprécié également le soutien de l’entourage et de tout le monde.

Quelles leçons tirez-vous de ce qui vous est arrivé ?

• Je ne suis pas du tout découragé. C’est vrai, il ne faut pas que ce genre d’épreuves revienne fréquemment, mais quand vous n’avez pas vécu ce genre d’épreuves, vous ne mesurez pas encore la portée de certaines choses. Comme l’avait dit un philosophe français : “Nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert”.

C’est quand on traverse des dangers tels que ceux que nous avons traversés que l’on peut, non seulement conforter sa foi en Dieu, mais surtout se dire qu’il faut relativiser. Même si on n’a pas les mêmes points de vue, on peut se chamailler, mais ça ne doit pas dépasser ça. Et je souhaite qu’au Burkina, les hommes politiques puissent avoir la même hauteur d’esprit que les conseillers UNIR/PS qui, malgré le fait que l’on soit opposé en conseil, sont venus dans un élan de citoyenneté s’enquérir de mes nouvelles.

Je suis plus que jamais fort mentalement parce que je sais qu’il y a une main qui me protège. Je souhaite seulement que Dieu nous garde pour que l’on soit toujours dans un pays où l’on peut marcher selon les règles, où les journalistes peuvent écrire sans être inquiétés, où les politiques peuvent s’exprimer sans crainte d’être inquiétés ou embastillés et surtout où la tolérance et l’esprit républicain sont attestés. Retenez cette phrase de la Bible : “A brebis tondue, Dieu mesure la tempête”.

Qu’est-ce qui a été emporté en termes de matériels de chez vous ?

• Mais tout ! Regardez, cette chemise m’a été offerte par une dame que je ne connais même pas. Elle a confectionné 4 chemises et deux pagnes pour mon épouse. Des camarades m’ont aussi amené des vêtements. Seuls les quelques rares habits et une paire de chaussures que j’avais laissés au bureau ont échappé.

Ils m’ont tout pris, le reste a été saccagé : nos effets personnels, nos portables, les ordinateurs, le contenu du congélateur, de la cuisine et de la chambre, tout a été emporté. Ce qu’on n’a pu prendre, on l’a canardé. On est en train de refaire la peinture pour cacher les impacts de balles. Quand on nettoyait les lieux, on a trouvé un fusil G3 et beaucoup de balles, qu’on a remis à la gendarmerie.

Votre reprise du service a coïncidé avec un mouvement d’humeur du côté de la Police municipale. Quelles sont les réponses que vous avez ou que vous comptez apporter à leurs revendications ?

• On m’a libéré de la clinique lundi soir et mardi matin à 7h, j’étais au headquarter de la Police municipale parce que je tenais à leur dire merci, car ils ont été nombreux à aller me voir. Je voulais également les féliciter pour la continuité qu’ils ont assurée en mon absence. Si les sautes d’humeur dont vous parlez avaient été aussi graves, ils ne m’auraient même pas écouté et je n’y serais pas parti.

De quoi s’agit-il ?

•De question de reclassement, de salaires, de conditions de travail, des points qui sont reconnus. On va en discuter. Ils on fait le point de leurs préoccupations, mardi (demain) à 16h, on va en discuter point par point et notre rencontre sera publique. Vous savez, chaque année, nous avons l’habitude de rencontrer les gens par catégorie pour discuter, et c’est dans ce cadre qu’on va également discuter avec les commerçants de Rood Woko.

D’une manière générale justement, la situation nationale est mouvementée ces derniers temps. Quelle en est votre appréciation ?

• Vous connaissez un pays où il n’y a pas de mouvement ? Partout il y a problème, mais il y a problème et problème et il ne faut pas perdre espoir. Quand on gère, il faut savoir garder la tête froide sinon vous perdez le nord. Il faut également savoir écouter et juger de l’opportunité des mesures à prendre. Il y a ce que les Anglais appellent le barguaining power (le pouvoir de négociation).

C’est toujours des compromis, le jusqu’-auboutisme n’a jamais abouti à quelque chose. A partir du moment où le président s’est saisi de la situation et a entamé les concertations, vous avez vu que les choses se dénouent. Auriez-vous pensé que très rapidement les gens seraient retournés d’eux-mêmes en prison ?

Je ne dis pas que tout est fini, mais vue la façon dont on aborde les questions et dont on donne la parole aux gens, je suis confiant. Contrairement à ceux qui disent qu’on est perdus, moi, je pense qu’on n’est pas perdus pour peu que chaque partie ne tire pas trop la ficelle. La paix n’est pas un vain mot. Maintenant, les gouvernants doivent travailler à réunir les conditions de cette paix, et les autres composantes doivent y avoir leur part contributive.

C’est ensemble que l’on peut bâtir une nation où, même s’il y a des secousses, l’on revient rapidement sur les rails. Ce que les gens veulent, c’est qu’on juge et condamne les vrais coupables, mais il faut donner un peu de temps à la justice pour terminer ses investigations.

Propos recueillis par Adama Ouédraogo Damiss & Hyacinthe Sanou

L’Observateur Paalga

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