05 avril, 2011

Culture Éblouissante rétrospective de Shafic Abboud, un conteur en peinture

« Fenêtre sur le parc Montsouris ». (DR)
« Fenêtre sur le parc Montsouris ». (DR)
Événement Une file interminable s'aligne devant l'entrée de l'IMA, comme jamais, en 23 ans d'existence, l'institut n'en a vu pour l'art moderne. Claude Lemand, commissaire de l'exposition, a lancé l'invitation à grande échelle pour honorer Shafic Abboud, l'une des figures majeures de l'art contemporain libanais.


Pour cette occasion, Lemand a rassemblé des œuvres de collections privées en provenance de pays divers, arabes et européens, ainsi qu'un choix d'œuvres de l'atelier de l'artiste, de toutes ses périodes (1948-2003).
«Je suis heureux et fier d'avoir pu tenir la double promesse que je lui avais faite quelques semaines avant sa mort: publier sa première monographie (en 2006) et organiser sa première rétrospective», dit Lemand.
L'expo est répartie sur deux étages, avec près de 190 peintures de différents formats qui captent le regard dans un éblouissement de couleurs et de lumière. Une véritable jubilation anime les toiles de Shafic Abboud; elle traduit son amour de la peinture, «cette infinie jouissance à l'idée de peindre», comme il disait. «Je vais à mon atelier avec un grand désir. J'entre et regarde avec la délectation de l'amoureux ainsi que les frayeurs», écrit-il dans ses cahiers (1982-85). Cette infinie jouissance s'étale sur ses toiles, se partage, éclabousse les murs de la galerie dans un grand éclat de rire, que les tableaux soient grands, traduisant «la gesticulation, la danse, la participation du corps du peintre tout entier», ou petits, comme ces temperas sur bois ou sur carton qui racontent les inspirations du peintre, ses rêveries d'enfance ou sa nostalgie du Liban (Snaniyé, 1982).
Dans le catalogue accompagnant la rétrospective, Christine Abboud, la fille du peintre, retrace la riche biographie de son père que l'on voit, cigarette à la main, dans son atelier de Montsouris ou de Mhaidsé, en interrogation constante face à la toile encore nue ou inachevée, entre ses tubes de peinture et les boîtes à images de son enfance peuplant sa mémoire d'artiste. Ne disait-il pas lui-même (Carnets): «La couleur, je n'y échapperai pas, c'est une fatalité, c'est ma nature; mes yeux ont dû être à jamais éblouis.» Et d'ajouter: «Le choc de deux couleurs provoque la lumière. (C'est ce qui me) fait peindre.» Et Abboud ne s'arrête «que lorsque la couleur et la lumière coïncident»... jusqu'à son retour à la terre des origines, pour y être enterré selon son souhait, en avril 2004.
Né à Mhaïdsé, en 1926, imprégné dans son enfance par les récits de sa grand-mère, la conteuse du village, par les coutumes et la culture populaire du Mont-Liban, il va emporter avec lui, à Paris, les couleurs, les odeurs et la sensibilité de sa montagne. Son atelier de Montsouris est le laboratoire où se développe sa nouvelle inspiration parisienne. Il pose sur ses toiles des touches de lumière captées de son Mont-Liban natal, y accrochant les variations du jour et des saisons, telles qu'elles se reflétaient entre les feuillages des arbres, par la fenêtre de son atelier de Mhaidsé. Il y traduit aussi l'intimité d'une chambre, ou encore les tissus chatoyants de Simone, une amie disparue. Il tente de capter la nuit ou de réveiller, dans un grand coup de pinceau doré, le souvenir des cafés de Beyrouth engloutis par la mer. En 1953, à Paris, Shafic Abboud est le premier artiste arabe à réaliser des livres de peintre, en eaux-fortes pour Le Bouna et en sérigraphies pour La Souris. Il est aussi le premier et seul artiste arabe à participer, en 1959, à la Première biennale de Paris.
De la peinture figurative d'inspiration libanaise à la peinture abstraite liée à ses fréquentations parisiennes, il aura fallu cinq ans (1950-55). Puis de nombreuses années pour parvenir à une œuvre plus personnelle, mélange d'influences que Claude Lemand qualifie de «transfigurative», «à la fois ancienne et moderne, païenne et sacrée.» Harmonie de couleurs et déconstruction. Abboud dit avoir beaucoup appris de Roger Bissière, de Bonnard aussi. En 1979, dans un entretien sur France Culture, il se confiait: «Je me vois retourner petit à petit à ce que je faisais spontanément, sans aucune science. Peut-être qu'au cours des années, on retrouve l'enfance de plus en plus. On retourne à une expression plus spontanée, plus directe, tout en cachant une science certaine. Avant, elle était inconsciente. Actuellement, j'ai conscience, j'ai envie de devenir conteur. Un conteur avec le langage de la peinture.»

Pour ceux qui souhaitent voir et écouter les merveilleuses histoires en couleurs de Shafic Abboud, rendez-vous sur les sites suivants : http ://www.abboud-retrospectives.org/, www.artaujourdhui.info, www.imarabe.org

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