18 janvier, 2011

Pauvreté : en finir avec le « tout pour moi »

marianne2.fr Aliocha a assisté à la projection d'un documentaire sur les «artisans du changement»। Elle évoque un film, bientôt diffusé su Ushuaia TV, qui raconte la vie de populations pauvres au Burkina Faso, au Sénégal et au Pérou। Trois histoires et trois miracles d'intelligence, estime Aliocha।



Jeudi 13 janvier, 18 heures. Je quitte mon bureau dans le quartier de l’Opéra pour aller assister à la projection d’un film des artisans du changement. C’est une série documentaire sur les acteurs du développement durable dans le monde. J’ai encore la tête farcie des informations financières que j’ai traitées toute la journée, des mensonges, des imprécisions des services de communication et même des dirigeants des entreprises concernées, de la lecture de documents insupportables d’ennui, de toute cette ingénierie remarquablement intelligente, mais sèche, contestable, et d’une utilité incertaine. Le cerveau essoré, je peste intérieurement à l’idée de devoir me rendre à l’Unesco. Station St François Xavier. Me voici arpentant dans le noir ce quartier à la solennité triste de cimetière, les fleurs en moins. On dit que les habitants s’y sentent bien. C’est qu’ils ne doivent pas être loin de la mort alors. J’erre dans ces avenues sinistres qui se ressemblent toutes, à la recherche du bâtiment de l’Unesco où je n’ai jamais mis les pieds. Sur le plan, c’était simple. Sur le terrain, c’est juste introuvable. J’interviewe les rares passants, un joggeur pressé isolé sous un casque à musique et un retraité sympathique qui sort son chien. Grâce leur soit rendue, me voici au pied du bâtiment.

Un cocktail était organisé par l’un des sponsors, mais j’arrive trop tard. Au moins me suis-je épargnée les mondanités. Mais je meurs de soif après ma balade au pas de gymnastique. Celui qui m’a invitée est un avocat d’affaires, comme on dit. C’est surtout un ami. Et comme tous mes amis, un poisson volant. Un juriste du business qui s’intéresse vraiment à la planète, aux autres, à l’avenir, le sien et celui de ses enfants. Un garçon qui lit Le Petit prince entre deux analyses de la réglementation de l’Autorité des marchés financiers. C’est ça, qui le rend intelligent. Il a su conserver la grâce de l’enfance.


L’optimisme, cette capitulation...

Nous voici dans la salle. Mais la projection tarde. Car il faut bien que les organisateurs s’astiquent le nombril. Et allons-y pour les discours fleuve, les remerciements à rallonge, tout ce cirage d’ego volubile et pesant qui est à mille lieux de l’objet de la rencontre : les artisans du changement. Des hommes et des femmes qui agissent plus qu’ils ne parlent, qui s’intéressent aux autres au moins autant qu’à eux-même, qui mettent les mains dans la boue et la changent en or. Au sens alchimiste du terme, bien entendu. Incorrigible Occident, névrosé, étouffé d’orgueil et de culpabilité. Les mots de Christian Clavier dans Le Père Noël est une ordure me montent aux lèvres : « Vous êtes myope des yeux, myopes du cœur et myopes du cul ! » Je suis sur le point de partir.

Heureusement Nicolas Hulot prend la parole. Il ramène tout ce cirque à quelque données simples : à chaque fois que le Sud emprunte un dollar au Nord, il en rend treize. Je vous balance l’information comme ça, je ne l’ai pas vérifiée, ni creusée, ça nous fera un sujet de discussion. S’il y a une erreur, elle est de mon fait. Et puis, il cite quelqu’un dont j’ai oublié le nom. A qui il se confiait un soir de déprime. « J’envie votre optimisme », lui disait-il. Et l’autre de répondre : « Le pessimiste pense que tout est foutu, l’optimiste que tout va bien. Les deux capitulent et s’en remettent au destin. Je ne suis ni l’un, ni l’autre.» Merci Monsieur Hulot. Me voici tout à coup ragaillardie. Lui au moins, il est dans le thème.

Nous avons enfin le droit de regarder le film. Vous pourrez le visionner sur Ushuaia TV mercredi prochain à 20h50. En attendant, voici la bande annonce. Je vous le recommande. En ces temps de grisaille morale, c’est une leçon non pas d’espoir, c’est chiant l’espoir, passif et niais, en tout cas tel qu’on l’entend aujourd’hui, mais d’intelligence, la vraie, pas celle des financiers dévoyés qui gagnent des milliards en baisant les autres et en bousillant le monde, celle des gens qui ont compris qu’on pouvait mettre en place des systèmes gagnants pour tous, planète comprise. Que c’était pas compliqué, qu’il suffisait de changer le point de départ du raisonnement, ce n’est plus « tout pour moi », mais « tout pour nous ».
Le reportage raconte trois histoires. Étincelantes. C’est fou ce que l’homme peut faire quand il veut.
D’abord celle de la voute nubienne. Nous sommes au Burkina Faso. Là-bas, les plus pauvres ne peuvent plus construire de maisons. Vous savez pourquoi ? Parce qu’on n’a pas les matériaux. La taule tôle est inadaptée et coûteuse, le bois est inaccessible, on n’a plus le droit de couper les arbres. Alors on fait comment pour construire une maison avec juste de la terre ? C’est un français, Thomas Granier, qui a trouvé la solution. En fait, il n’a rien inventé. Il s’est souvenu simplement que les égyptiens étaient capables de construire des maisons aux toits voutés sans système de soutien. Allez voir le site de l’ONG, c’est fascinant. Et depuis, sur place, Seri Youlou plaide sans relâche pour convaincre les habitants que cette maison au coût modeste, parfaitement adaptée au climat, est aussi solide bien que défiant les lois de la pesanteur, et qu’ils pourront la transmettre à leurs enfants. L’extrait est ici.

Ensuite, il y a l’histoire du lait au Sénégal. Les Peuls élèvent des troupeaux, mais jusqu’à très récemment, ils jetaient le lait, faute de pouvoir le vendre. Et le Sénégal importait son lait. Cette absurdité, un homme, Bagoré Bathily, a eu le courage de ne pas s’y résoudre. Il a créé une laiterie sous forme de coopérative et le lait a cessé de se perdre. C’est .

Enfin, nous allons au Pérou. Pendant des années, les plus pauvres des pauvres, 100 000 personnes, recueillaient et triaient les poubelles des riches, la nuit, en se cachant. Une femme, Albina Ruiz, a décidé qu’il fallait que ça cesse. Elle a mobilisé les politiques en leur montrant la somme d’électeurs potentiels que représentaient ces gens, sensibilisé les entreprises en pleine mode du développement durable, convaincu surtout les « recycleurs » qu’il pouvaient travailler de jour, être rémunérés, et fiers de leur travail.

Pauvreté : en finir avec le « tout pour moi »
Trois histoires, trois petits miracles d’intelligence. La vraie, celle qui profite à tout le monde.

Et je songeais à mes financiers asséchés, qui sans doute à cette heure avaient rejoint leurs appartements justement dans ce 7ème arrondissement protégé de tout, et même de la vie. Un jour ou l’autre, ils iront mettre leurs sales pattes dans tout ça, et ils pourriront tout, comme ils l’ont déjà fait avec le micro-crédit. A moins bien sûr que l’on finisse pas comprendre, nous tous et eux compris, que l’éthique est la forme souveraine de l’intelligence. La crise des subprimes nous a bien mis sur la voie, me semble-t-il.

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