10 novembre, 2010

Pourquoi signer la convention sur les sociétés militaires privées

Jean Guisnel

Défense ouverte

Le Point.fr



Pourquoi signer la convention sur les sociétés militaires privées

Les sociétés militaires privées peuvent signer une convention © Sipa


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Bruno Delamotte, 40 ans, est le président du directoire de la société Risk & Co, qui se définit comme "spécialiste français du conseil en sûreté et intelligence stratégique". L'entreprise compte 120 employés, travaille sur tous les continents et réalisera 16 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2010. Bruno Delamotte signera prochainement la convention sur les sociétés militaires privées, que la Suisse a mise au point. Il a accepté d'expliquer au Point.fr les raisons de ce choix, et revient sur le contexte politico-économique français autour des sociétés militaires privées.

Le Point.fr : Quelle attitude comptez-vous adopter vis-à-vis de la convention sur les sociétés militaires privées, que la Suisse propose à la signature des États et des entreprises ?

Bruno Delamotte : Nous avons demandé la communication des "instruments" nécessaires et mon entreprise va la signer. Nous adhérons aux principes fondateurs de cette convention qui cadre de manière cohérente les activités des entreprises de sécurité. Elles s'obligent ainsi à respecter les droits de l'homme en s'interdisant officiellement de recourir à la torture ou à l'emploi des armes à des fins offensives, etc. Il n'y aura aucune ambiguïté entre nos activités et celles de mercenaires, que nous ne voulons pas pratiquer. Nous sommes dans une situation de défenseurs, en aucun cas d'agresseurs.

Mais est-ce mal d'être un "mercenaire" ?

Tout dépend de ce que recouvre ce terme. En France, il est connoté de façon négative. C'est beaucoup moins vrai dans le monde anglo-saxon, sans doute parce que les références sont différentes. Personnellement, ce terme me pose un problème quand on l'associe à un rôle offensif. Mais je n'assimile pas le simple fait de porter une arme à du mercenariat.

Votre entreprise compte 120 personnes. Combien d'entre elles sont susceptibles de porter une arme ?

Aujourd'hui, aucun personnel de Risk & Co ne porte d'arme. Et pas plus de 15 de nos employés seraient susceptibles d'être concernés par des missions qui l'exigent. Mais actuellement, le contexte ne se prête pas à ce qu'une entreprise française propose ces prestations. Nos clients français ne sont d'ailleurs pas demandeurs, sauf concernant l'Irak et l'Afghanistan, mais ils s'adressent alors à des prestataires anglo-saxons que nous guidons. Dans les autres cas, les Français s'appuient sur des forces de sécurité locales assistées par un expatrié. Et très rarement sur des moyens privés. L'objectif étant de se prémunir des conséquences pénales d'une éventuelle fusillade. Hors d'Irak et d'Afghanistan, les Anglo-Saxons ne sont pas très éloignés de cette position.

Est-ce à cause des contraintes de la loi française que vos employés ne portent pas d'armes ?

Mais il n'y a aucune interdiction française à porter une arme à l'étranger ! Si nous ne proposons pas ce service, c'est, encore une fois, qu'il n'y a pas de demande. La loi sur le mercenariat de 2003 ne concerne pas notre situation. Fournir des gardes armés à l'étranger ne nous poserait aucun problème juridique, ni aucun souci vis-à-vis des autorités françaises. C'est l'usage qui pourrait être fait des armes qui pourrait être répréhensible, pas le fait d'en détenir. De plus, l'arme est l'arbre qui cache la forêt. Cela impose des autorisations, des voitures blindées, etc. Autant de moyens aussi complexes à réunir que coûteux au point d'être souvent hors de portée des sociétés françaises.

Dès lors que cette convention existe, des entreprises comme la vôtre peuvent-elles poursuivre leurs activités sans la signer ?

Chacun voit midi à sa porte. À mes yeux, tout ce qui va vers une régulation internationale de notre activité est souhaitable, car il s'agit d'une activité mondialisée. Il faut s'extraire du piège d'une réglementation française trop contraignante. Actuellement, le gouvernement réfléchit sur les bonnes mesures à prendre pour faire émerger de bons outils de régulation et inciter à l'apparition d'acteurs français dans ce domaine. J'espère qu'il ne réfléchit pas uniquement à une loi, car ce n'est pas ainsi que l'on créera un "champion national". Ce n'est pas un schéma franco-français qui permettrait de nous jauger face à nos concurrents. Il faut voir la situation lucidement : dans ce secteur, de nombreuses entreprises ont leur siège en France, tout en gérant leurs activités depuis des pays tiers. Nous sommes à Dubaï, d'autres sont à Londres, à Malte ou en Irlande.

Quelles sont les difficultés des entreprises françaises de votre secteur ?

Nous avons sans doute un problème de taille critique vis-à-vis de nos concurrents anglais et américains. Risk & Co va réaliser 16 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2010, ce qui équivaut à celui, cumulé, d'entreprises comme Épée, Amarante, Anticip Consultants, Gallice Security, et quelques autres encore. Or nos concurrents anglo-saxons ne nous regardent même pas si nous n'atteignons pas 20 millions de dollars de chiffre d'affaires. Un véhicule blindé pour transporter des hommes d'affaires sur le sol irakien coûte au bas mot 100.000 euros, et certains concurrents en possèdent 150 ! Nous devons grandir, très vite, et nous adapter, sous peine d'être définitivement exclus du marché, en prenant soin d'éviter les montages branlants et autres reconnaissances strictement hexagonales agitées comme un étendard pour mieux cacher une certaine vacuité des prestations.

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