25 octobre, 2010

Érythrée Le "cas spécial" Dawit Isaak : 9 ans de prison sans inculpation ni procès

Par Constance Desloir
Esayas Isaak devant le portrait de son frère Dawit, dont il se bat pour la libération. Esayas Isaak devant le portrait de son frère Dawit, dont il se bat pour la libération. © THOMAS JOHANSSON

Le 27 octobre, Dawit Isaak aura 46 ans. Pour la dixième année consécutive, c’est dans une geôle érythréenne qu’il passera son anniversaire. Arrêté avec d’autres intellectuels en septembre 2001 lors d’une campagne de répression, l’écrivain et journaliste est depuis détenu au secret.

« Les dernières nouvelles que j’ai de lui m’ont été données par un gardien de la prison d'Eiraeiro depuis Addis-Abeba, en Éthiopie, raconte Esayas, le frère de Dawit, qui se bat pour sa libération et a lui-même fui son pays. Il m’a dit que mon frère était dans un état de santé critique. En détention, il fait facilement 45°C, et il serait enfermé seul, menotté la journée, dans une cellule vide sans aucun contact avec d’autres prisonniers. Il serait très malade et délirant. »

Détenu sans chef d’inculpation, Dawit ignore de quoi il est accusé. « C’est un cas spécial à cause de la nature très grave de son crime, a répondu à un journaliste suédois Yemane Ghebreab, conseiller du président érythréen Issayas Afewerki, en août 2010. C’est en pleine conscience que le gouvernement a décidé de ne pas tenir de procès dans son cas. » Auparavant, il avait été accusé oralement de comploter pour une invasion de l’Éthiopie, le puissant voisin à qui l’Érythrée a arraché son indépendance en 1993, après des années de guerre. Accusation à l’appui de laquelle aucune preuve n’a jamais été avancée.

Diplomatie silencieuse et sans résultat

Au moment de son arrestation, Isaak travaillait au quotidien indépendant Setit fondé en 1997. Il était revenu à Asmara, la capitale, quelques mois plus tôt. À l’été 2001, il écrivait encore des articles sur le déficit démocratique de l’Érythrée. Il a été arrêté trois jours après la parution du tout dernier numéro de Setit, qui n’a plus jamais été imprimé. Certains de ses collègues, enrôlés de force, ont disparu.

Dawit avait rejoint la Suède durant la guerre contre l’Éthiopie, et en avait obtenu la nationalité en 1992. C’est pourquoi la bataille pour la libération de Dawit est aujourd’hui menée depuis Stockholm. « Le gouvernement suédois nous affirme mener une diplomatie silencieuse en faveur de Dawit, explique l’avocat d’Esayas, Björn Tunbäck. Mais depuis 9 ans, il n’a obtenu aucun résultat. Nous lui demandons à présent de faire appel à son imagination et de proposer d’autres solutions. »

Esayas et son avocat passent donc à une offensive légale et se tournent vers l’Union européenne (UE). « C’est un ressortissant de l’UE, donc nous avons déposé une note légale le 18 octobre au ministère des Affaires étrangères suédois, au Parlement européen et auprès du Commissaire européen au développement. Elle rappelle que les autorités ont l’obligation de soustraire un citoyen aux violations des droits de l’homme qu’il subit, même en dehors de l’UE, affirme Me Tunback. L’Europe doit prouver qu’elle fait tout pour obtenir un changement de la situation de Dawit. »

Déficit chronique de liberté de la presse

Conditionner l’aide européenne au sort de Dawit est une piste à explorer. La Commission européenne a alloué à l’Érythrée au moins 122 millions d’euros pour la période 2009 - 2013. Or Dawit Isaak serait le seul citoyen européen prisonnier d’opinion détenu à l’extérieur. Son cas pourrait créer un précédent. Mais les autorités érythréennes ne reconnaissent pas à Isaak la citoyenneté suédoise ; il n’y a donc aucune garantie que les démarches menées en Europe puissent représenter un levier.

Le même flou entoure le sort d’une vingtaine d’autres journalistes érythréens arrêtés au cours des années 2000, rapporte Reporters sans frontières (RSF), et plusieurs des personnes emprisonnées en septembre 2001 sont décédées en détention.

« Les rafles de septembre 2001, la suspension de la presse privée et l’arrestation des principaux directeurs de journaux ont fait basculer l’Érythrée dans une période sombre, écrit RSF. Il n’existe aujourd’hui aucun média indépendant, les correspondants de la presse étrangère sont persona non grata, et les employés des médias publics ont été transformés en fonctionnaires de la propagande gouvernementale. » Pour la quatrième année consécutive, le pays est donc le dernier au classement annuel sur la liberté de la presse, 178e sur 178.

jeuneafrique.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire