18 septembre, 2010

Roukiata Ouédraogo, celle qui « ressuscite » la princesse Yennenga


On dit souvent que l’art et le talent, tout comme les grandes figures mythiques, ne connaissent pas de frontières. Les rêves non plus. Roukiata Ouedraogo, jeune comédienne burkinabè vivant en France depuis une dizaine d’années revient aujourd’hui à Ouagadougou pour y exhausser un vieux rêve : jouer sa pièce « Yennenga l’épopée des Mossis ».

Après avoir fait découvrir la Princesse Yennenga à des publics français et italiens enthousiastes, durant ces trois dernières années, Roukiata Ouedraogo, a décidé, de clore cette belle aventure par une ultime représentation au Burkina Faso, devant le public Ouagalais et sur la terre de ses ancêtres.

Roukiata Ouedraogo, pouvez-vous vous présenter en quelques mots au public burkinabé qui ne vous connait pas encore ?

Je suis née à Fada N’Gourma et j’ai fais mes études à Ouagadougou. Je suis partie en France en 2000 et je fais du théâtre depuis trois ans.

Qu’est-ce qui vous a amené au théâtre ?

J’étais partie en France avec l’idée de me former au stylisme, mais je me suis finalement orientée vers le maquillage à cause de sa dimension plus humaine, le rapport direct avec la cliente. Mais je n’y trouvais pas mon compte en termes d’expression. Le théâtre m’est apparu comme le moyen de m’engager pleinement, intellectuellement, esthétiquement mais aussi physiquement dans la création artistique. C’est pourquoi je me suis dirigée vers une des meilleures écoles d’art dramatique de Paris, le court Florent où je dois dire que j’ai été très soutenue et encouragée par mes professeurs.

Parlez-nous maintenant de la pièce que vous venez jouer à Ouagadougou. Pourquoi avoir voulu reprendre l’histoire de la princesse Yennenga ?

D’abord, il faut dire que j’étais seule à Paris, loin de ma famille et de mes racines. On peut dire que j’avais la nostalgie du pays. Chercher à faire le lien entre ma passion pour le théâtre et ma culture d’origine m’est apparue comme une sorte d’évidence. Il faut ajouter à cela que je suis une Ouedraogo, je porte l’histoire de la princesse Yennenga dans mon nom. D’un autre coté, il était important pour moi de faire découvrir à mes amis et, plus largement, au public français quelque chose de ma culture. Écrire et monter Yennenga m’a permis de m’exprimer sur mon pays. Quand je dis m’exprimer, je veux dire que j’ai voulu donner de moi, donner de la voix, offrir ma présence physique, sur scène tout en parlant de mon pays. Le théâtre est toujours un don de soi, mais je voulais, en plus, offrir quelque chose de mon pays. Et je crois que c’est ainsi que le public européen a reçu le spectacle. Ce n’était pas évident car je n’avais jamais écris une pièce et je ne connaissais rien à la mise en scène. Je me suis fais un peu aider mais j’ai su garder mon cap et le projet a abouti conformément à l’idée initiale que je m’en faisais.

Vous nous avez dit ce qui vous a conduit à jouer la princesse Yennenga, mais pouvez-vous préciser ce que ce personnage représente à vos yeux ?

Yennenga est l’un des principaux mythes fondateurs du peuple et de la culture Mossi. En reprenant son histoire, j’ai d’abord voulu rendre hommage à mon peuple, à ma culture et à mes traditions. On dit qu’il ne faut pas oublier d’où l’on vient si on veut savoir ou on va. Pour moi qui était seule à Paris, Yennenga, fut, pendant tout le temps que je l’ai écris, mis en scène, monté et joué, une sorte de boussole. Mais au delà de moi, il est vrai que Yennenga incarne aussi l’émancipation de la femme. Elle est une battante, elle prend son indépendance pour se donner les moyens de choisir son propre destin. Même s’il est vrai que c’est plutôt son cheval qui a choisi pour elle, le moins que l’on puisse dire est qu’en connaissant l’amour de Rialé et en enfantant de Ouadraogo, elle a pleinement assumé et vécu ce choix. Car finalement pour trouver l’amour et s’accomplir en tant que femme, elle a su renoncer à son statut social et même défier l’autorité de son père. La beauté de cette histoire est que son père non seulement la comprendra et acceptera son choix, mais lui accordera sa confiance au point de lui confier la fondation d’un nouveau royaume. Le message de la pièce s’il fallait en trouver un serait que la femme n’est pas là pour prendre la place de l’homme mais pour trouver pleinement sa place à ses coté sans se renier elle-même.

La Princesse Yennenga que vous avez créée est-elle bien la Yennenga historique ?

Il est difficile de répondre à cette question s’agissant d’une figure mythique comme la princesse Yennenga. Je crois qu’un mythe ne vit que par la capacité de chaque époque à le réinventer, le réinterpréter. Un mythe est vivant tant qu’il parle à son époque, sans quoi il disparaît des mémoires. Vous savez, les plus grands réalisateurs français, depuis les frères Lumières - les inventeurs du cinéma - jusqu’à Luc Besson ont fait des films sur Jeanne d’Arc qui est la grande figure historique et mythique féminine des français. Chacun d’eux en a donné une interprétation personnelle. Le public ne vient pas voir ma pièce pour assister à un court d’histoire, il vient voir un spectacle. Je n’hésite pas à dire que la Yennenga que j’incarne sur scène est « ma » yennenga. Mieux, elle est un peu de moi. Pour dire a quel point j’ai pris mes libertés avec l’histoire « officielle » de Yennenga, j’ai créé de toute pièce des personnages, comme la sorcière Domba qui est une pure invention de ma part. Il s’agissait de répondre à des impératifs dramaturgiques. Domba me permet, par exemple, de mettre l’accent sur les doutes qui assaillent Yennenga.

Peut-on dire que vous recréez la princesse Yennenga ?

Recréer est un bien grand mot. Je vois les personnages mythiques un peu comme les statues des places ou des parcs publics. Elles peuvent incarner l’histoire ou même l’identité d’un peuple ou encore de grands idéaux comme la justice, la liberté ou la nation. Moi je me suis contentée d’aborder ce personnage mythique en lui insufflant la chair, le sang et les émotions d’une vraie femme. Ainsi ma Yennenga se rebelle, doute, connait la tristesse, la joie, et découvre en elle des sentiments qu’elle ignorait comme l’amour et le désir – y compris le désir d’enfant.

Est-ce un message que vous adressez aux femmes africaines d’aujourd’hui ?

Le spectacle à d’abord été créé en France, puis joué en Italie. Je ne peux pas dire que j’ai voulu adresser un message aux femmes européennes ou africaines. Mais je crois que la femme africaine est vraiment sur la voie de l’émancipation. En ce début de 21eme siècle elle peut et elle doit, comme je l’ai dit, trouver sa place aux cotés des hommes. Si des personnages comme Yennenga peuvent servir de modèles, pourquoi pas ? Cela dit, ma pièce n’est pas du tout une déclaration politique ou un acte militant, loin s’en faut. Il s’agit d’abord d’une création artistique dont la vocation première est de distraire et d’offrir au public du plaisir et de lui faire vivre des émotions esthétiques. Ce qui m’a intéressé en écrivant cette pièce, ce sont avant tout les ressors dramatiques, les tensions entre les personnages, notamment entre Yennenga et son père, ou bien encore la rencontre entre Yennenga et Rialée.

Le public Français a beaucoup apprécié la pièce, le public italien l’a bien accueilli aussi. Comment vous sentez-vous à l’idée de jouer à Ouaga devant le public burkinabé ?

Je suis très excitée mais aussi un peu stressée je dois bien l’avouer. J’espère que je serai à la hauteur des attentes du public ouagalais et que je pourrais donner le meilleur de moi-même vendredi 17 septembre. J’ai recruté huit danseurs et danseuses de Ouagadougou ainsi que deux musiciens ce qui donnera à mon spectacle une ampleur qu’il n’avait pas en Europe où j’étais seule sur scène. Je compte aussi un peu sur eux pour m’aider à offrir à Ouagadougou une Yennenga mémorable.

Un dernier mot, quels sont vos projets pour l’avenir proche ?

Je travaille actuellement à plusieurs projets. Le premier me tient particulièrement à cœur, il porte sur la condition féminine à travers le monde. Il s’agira de monologues croisés de plusieurs femmes au destin difficile. Un second projet, en co-écriture avec mon compagnon, qui est une histoire d’amour dans le contexte d’un quarter populaire avec des personnages haut en couleur que nous aimerions développer en comédie musicale. Je travail également à d’autres projets tels qu’un one woman show comique et des contes sur la bio diversité qui m’ont été commandés par le musée du Montparnasse à Paris. Enfin, j’ai récemment créé, avec mon compagnon, une association, Yamneyam, visant à promouvoir les spectacles vivants. L’association est encore jeune mais elle servira dans un premier temps de structure d’appui pour nos propres créations, puis, je l’espère, pourra accueillir et soutenir d’autres projets à l’avenir.

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