31 août, 2010

Ni toit, ni portes

Les inondations au Pakistan ne font plus la une des journaux. Compte tenu de l’état alimentaire et sanitaire de la population, leurs conséquences à long terme devraient pourtant inquiéter les Occidentaux empêtrés en Afghanistan...
La forêt pakistanaise s’étend sur 1,9 million d’hectares, c’est-à-dire 2,5 % du territoire national. Elle est huit fois plus réduite que la forêt française [15,7 millions d’hectares]. Au cours des années 1990, le Pakistan a perdu plus de 400.000 hectares. Entre 2000 et 2005, le taux annuel de régénération naturelle de la forêt a fortement reculé, passant de 24 à 2 %. Au total, un quart de la forêt pakistanaise s’est volatisée entre 1990 et 2005 [source]. La forêt disparaît des paysages. Elle ne recouvre plus les sols.

Aux besoins primaires – bois d’œuvre et chauffage, s’ajoutent les besoins en terres agricoles. Comme les grandes métropoles font peur [Karachi, si loin de Paris], seule une minorité de paysans abandonnent leurs terres pour vivre en ville. En 2009, le Pakistan ne compte que 31 millions de citadins pour une population totale de 180 millions d’habitants. Le fort croît naturel (3 % par an) s’explique en grande partie par cette répartition. [source]. Le cheptel (buffles, moutons et chèvres) a doublé au Pakistan entre 1945 et 1986 et continue d’augmenter au rythme de 2 % par an. Il faut donc toujours plus de champs à cultiver et de prairies pour les troupeaux.

Ceux qui coupent des arbres ne le font toutefois pas seulement pour défricher. Beaucoup gagnent leur vie en vendant le bois. Le bois se vend au prix fort et les trafiquants obtiennent des passe-droits. Les plus modestes, ceux qui habitent dans les périphéries inaccessibles et montagneuses trouvent là leur unique gagne-pain. Les en privera-t-on ? [source] Dans ces conditions, les bonnes intentions pèsent bien peu. Après les grandes inondations de 1992, les projets de reboisement sont restés dans les cartons. Les interdictions ont surtout déplacé une partie du problème en Afghanistan voisine – le bassin versant de l’Indus s’étale sur les deux pays – avec une hausse du trafic frontalier [source].

En juin 2010, les habitants d’Islamabad ont suffoqué. La température a plusieurs fois dépassé 40 °C en moyenne journalière, en dépit du refroidissement (...) nocturne. Les pics de chaleur restent généralement inférieurs à 35 °C. Les autorités n’ont pu minimiser le caractère préoccupant du problème climatique. Pour contrecarrer la faiblesse du couvert forestier et lutter contre la progression des zones désertiques, un nouveau plan de reboisement a été élaboré. Il table de façon irréaliste sur un accroissement du couvert forestier de 5 % par an. Cette extrapolation ne tient compte ni de l’incurie de fonctionnaires souvent corrompus, ni de la pauvreté de la paysannerie pakistanaise. Le président Zardari met certes en avant le projet réussi des plantations le long de l’autoroute Islamabadad-Murree [source].

Le ministre de l’Environnement se veut pourtant optimiste, lors d’une conférence au printemps. « C’est un gros défi à relever pour nous. Nous ne devrions pas voir les forêts comme une source de revenus. Il faut au contraire les respecter parce qu’elles rejettent de l’oxygène, absorbent du gaz carbonique, limitent l’érosion des sols et protègent la population des risques naturels. » [source] Il ne croyait sans doute pas si bien dire, car faute de protection forestière, les pluies d’août ont déclenché des écoulements boueux. En attendant, l’Etat pakistanais vendrait des terres agricoles à des acheteurs institutionnels, pour l’essentiel originaires des pays du Golfe Persique. Le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde estime à 400.000 hectares les surfaces visées [source]. Unique institution étatique en état de fonctionnement, l’armée s’adjuge déjà une bonne part du gâteau [source]. Les généraux président directement ou indirectement aux destinées du pays depuis quatre décennies. Si l’on prend en compte la rivalité armée avec l’Inde voisine, c’est même à l’époque de la partition que l’on peut remonter.

Au début des années 1970, le refus des autorités fédérales d’une séparation du Pakistan oriental débouche sur une guerre civile atroce. Les populations du bassin de l’Indus affrontent celles de la basse vallée du Gange. L’armée pakistanaise échoue et se discrédite durablement : le Bangladesh devient en effet indépendant et les victimes innocentes sont innombrables. Les bourreaux vivent toujours dans l’impunité [source]. En 1979, l’Armée rouge envahit néanmoins l’Afghanistan et fait oublier le Bangladesh. Moscou donne sans le vouloir à l’armée pakistanaise la possibilité d’assurer une forme de reconversion. Car les Occidentaux transforment bientôt le Pakistan en une base avancée du combat contre l’U.R.S.S.

Après les attentats du 11 septembre, l’ennemi change, mais le théâtre demeure [Drone de guerre]. Les inondations n’y changent rien [source]. Pour les Pakistanais, l’Etat lève l’impôt mais reverse peu. Ses responsables n’inspirent guère le respect. L’Etat renforce les puissants et délaisse les humbles. Du point de vue des plus religieux enfin, il s’allie aux Occidentaux impies.

Les événements climatiques de ce mois d’août démontrent surtout que l’Etat pakistanais ne protège personne. Car le climat est habituellement exceptionnel. A Islamabad, capitale du nord, près des deux tiers des précipitations annuelles tombent en juillet (270 mm) et en août (310 mm), l’équivalent d’une année de pluies sur la façade océanique de l’Europe [source]. En cette année 2010, la pluviosité dépasse certes la norme. Les affluents de l’Indus ont débordé et envahi leur lit majeur, provoquant des inondations catastrophiques.

Ainsi, le Pakistan et le Bangladesh gardent quelques points communs [Du risque climatique lointain au risque terroriste immédiat]. Des dizaines de milliers d’hectares se trouvent désormais sous l’eau [source]. Les pertes économiques priment sur les pertes humaines. Les 1.600 morts évoqués par l’ONU pèsent tristement peu (...) si on les compare aux 80.000 personnes décédées lors du tremblement de terre d’octobre 2005 [source]. Cela étant, des milliers de paysans et citadins pauvres vont bientôt manquer de nourriture [source]. D’ores et déjà, tous cherchent désespérément de l’eau potable [source].

Gageons que l’armée pakistanaise relèvera le défi. En pleine opération contre les taliban, j’en doute fortement. Les attentats continuent [source]. Mariam Abou Azaham pointe fort justement la méconnaissance des médias français [source]. Je ne partage pas son postulat selon lequel les Etats occidentaux ne parviendraient pas à faire face à une catastrophe équivalente. La comparaison avec l’ouragan Katrina mériterait plus ample développement. Mariam Abou Azaham néglige à la fois l’importance de l’aide internationale [source] et l’aveuglement dangereux des commentateurs.

Comment peut-on regretter en effet l’action des islamistes auprès des sinistrés – ceux-ci profiteraient en quelque sorte du malheur de leur prochain [source] – sans considérer l’inconséquence intégrale d’un Etat dans l’incapacité de sauver des forêts protectrices ? Pourquoi ne voit-on pas que les Etats-Unis et les nations coalisées contre les taliban s’appuient sur un Etat qui les fait fructifier ? Les Romains fermaient les portes du temple de Janus lorsque la paix était revenue. Le temple pakistanais ne possède quant à lui ni portes ni toit...Les inondations au Pakistan ne font plus la une des journaux. Compte tenu de l’état alimentaire et sanitaire de la population, leurs conséquences à long terme devraient pourtant inquiéter les Occidentaux empêtrés en Afghanistan...

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