Les Rafale étaient prêts à décoller, les cibles choisies et les
communiqués déjà rédigés. Mais au tout dernier moment, François Hollande
a dû annuler l'opération...
François Hollande et Barack Obama, au sommet du G8, en Irlande, le 18 juin 2013.
(IAN LANGSDON/POOL/SIPA)
"Les frappes sont pour ce soir." Le samedi 31 août, au
matin, les plus hauts responsables français, civils et militaires, sont
convaincus que le président de la République va déclencher le
bombardement punitif de la Syrie la nuit suivante. Plus étonnant encore :
François Hollande lui-même le croit aussi. Et cette incroyable méprise
va durer jusqu'à la fin de l'après-midi. Entre-temps, pendant une
dizaine d'heures, la machine de l'Etat aura été mise en branle pour
effectuer ces frappes franco-américaines, les "vendre" à l'opinion et en
gérer les conséquences diplomatiques.
Cette folle journée débute à 3 heures du matin, ce samedi 31
août, lorsque l'officier de permanence chargé des communications du
président de la République reçoit un appel de son homologue américain.
Ce dernier le prévient que Barack Obama va téléphoner à François
Hollande sur la ligne directe et sécurisée qui relie l'Elysée à la
Maison-Blanche. Quand ? Le jour même à 18h15, heure de Paris. Le
malentendu transatlantique commence - un quiproquo risible s'il ne
s'agissait de guerre.
Conseil de guerre
Décalage horaire oblige, le conseiller diplomatique de
François Hollande, Paul Jean-Ortiz, découvre le message de la
Maison-Blanche à 8 heures, dès qu'il arrive à son bureau, rue de
l'Elysée. Il prévient illico François Hollande, qui décide de convoquer
un conseil restreint juste après le coup de fil de Barack Obama. Devront
être présents les ministres de la Défense, de l'Intérieur et des
Affaires étrangères, ainsi que les "grands subordonnés" : le chef
d'état-major, les patrons de la DGSE et du Renseignement militaire... Un
conseil de guerre à l'issue duquel le chef de l'Etat va donner l'ordre
formel du début des frappes françaises en Syrie. C'est du moins ce que
croit François Hollande et, avec lui, toutes les personnalités
convoquées.
Ce 31 août au matin, l'Elysée demande donc aux militaires de se tenir prêts à exécuter cet ordre supposé imminent.
Le plan était de bombarder pendant une nuit, en commençant vers 3
heures du matin au moment où les gens sont profondément endormis, dit un
haut responsable français. Il s'agissait de détruire notamment des
batteries de missiles et des centres de commandement de la quatrième
armée, la chimique."
Les frappes doivent être réalisées par plusieurs Rafale
volant en Méditerranée, au-dessus des eaux internationales. "Nous ne
voulions pas tirer à partir du ciel turc, raconte un autre. Nous
redoutions qu'Assad n'invoque la légitime défense et ne bombarde son
voisin, ce qui risquait d'impliquer l'Otan."
Il y a un hic : les missiles de croisière Scalp prévus
pour l'opération ayant une portée maximale de 250 kilomètres, les
bombardements français ne pourront atteindre que des points situés dans
l'ouest de la Syrie, Damas compris. Les Américains se chargeront de tout
le reste. "Mais nous ne dépendions pas d'eux pour nos tirs et notre
ravitaillement en vol, tient-on à préciser à la Défense. Il y a une
seule chose que nous ne maîtrisions pas : le calendrier. C'est Obama qui
devait donner le top départ."
Des preuves "déclassifiées"
Pour prouver à l'opinion que François Hollande n'agit pas à
la remorque des Etats-Unis, façon Tony Blair pendant la guerre en Irak,
l'Elysée décide aussi, ce samedi 31 août, de "déclassifier" certaines
preuves françaises de l'attaque chimique. "Nous avons appelé ce document
'Synthèse nationale de renseignement déclassifié' et nous avons mis un
drapeau bleu, blanc, rouge sur chaque page", raconte un officiel. Et, en
prévision des frappes du soir, le ministère de la Défense fait fuiter
ce texte dans le "Journal du Dimanche" à paraître le lendemain.
L'ensemble du plan de communication de l'opération est
établi au cours d'une réunion à 14h30 ce même samedi dans le bureau de
Paul Jean-Ortiz, avec les directeurs de cabinet des principaux
ministères concernés. "Nous avons discuté des images à fournir aux
journaux télévisés, celles de la montée en puissance de l'opération qui
étaient déjà prêtes, et celles des premières frappes que pourrions
livrer très rapidement", explique un officiel. "Nous avons aussi débattu
du moment où il faudrait informer certaines personnalités étrangères,
raconte l'un des participants. Il a semblé évident que François Hollande
préviendrait lui-même Angela Merkel, juste après le coup de fil
d'Obama."
"Le jour J était arrivé"
D'où vient cette certitude que le président américain va
donner le top départ ce samedi ? "Tout nous conduisait à penser que le
jour J était arrivé", dit un responsable français. Cela faisait une
semaine que la perspective d'une action militaire franco-américaine
contre la Syrie apparaissait inéluctable.
Tout a commencé le dimanche précédent, c'est-à-dire quatre
jours après l'attaque chimique contre les populations civiles, quand
Barack Obama et François Hollande ont discuté de plusieurs types de
"punitions", y compris militaires. "Dès le lendemain, les états-majors
des deux pays ont commencé à travailler à un plan de frappe commun",
dit-on au ministère de la Défense.
Certes, les jours suivants auraient pu tout faire dérailler.
Le mercredi, à Londres, la Chambre des Communes a voté contre une
participation britannique à ces frappes. Et, on le sait moins, le jeudi,
les Français et leurs alliés ont raté leur "blitz" diplomatique visant à
conférer, si ce n'est une légalité, du moins une certaine légitimité
internationale à une action militaire contre la Syrie. Ils espéraient
recueillir une majorité des voix au Conseil de Sécurité, et ainsi
contraindre Pékin et Moscou à opposer leur veto. Malgré les efforts de
Laurent Fabius, Paris, Londres et Washington ne sont pas parvenus, selon
nos informations, à rallier un nombre suffisant (six) de suffrages des
pays membres non permanents du dit Conseil. Si bien que l'idée de passer
par l'ONU a été abandonnée.
Pourtant, en fin de semaine, les Américains sont toujours
aussi déterminés. Le jeudi, la conseillère de Barack Obama pour la
sécurité, Susan Rice, fait savoir à Paul Jean-Ortiz que, malgré la
défection britannique et le revers onusien, son patron est "tout près
d'y aller". Et le lendemain, le vendredi 30, plusieurs indicateurs en
provenance de Washington font penser aux Français que des frappes
américaines sont imminentes. "Ce jour-là, John Kerry s'est entretenu
plusieurs fois avec Laurent Fabius, assure un officiel. Il lui a dit que
Barack Obama lui avait demandé de 'préparer l'opinion publique à des
frappes.'" Au cours de cette même journée, dit un autre, "la
Maison-Blanche a publié ses preuves sur le massacre chimique".
Et
toujours ce vendredi, François Hollande et Barack Obama ont de nouveau
discuté longuement. Le président américain dit qu'il n'a pas encore pris
sa décision définitive mais que celle-ci ne saurait tarder. Il ajoute
que les frappes pourraient avoir lieu bientôt, "avant ou après le G20",
précise-t-il. "Rappelons-nous demain ou après-demain", conclut-il.
Le revirement d'Obama
Si bien qu'à l'annonce
d'un nouveau coup de fil de la Maison-Blanche les conseillers de
François Hollande sont persuadés ce samedi 31 août que le président
américain a tranché dans la nuit et qu'il déclenchera l'opération le
soir même ou au plus tard dans la nuit du dimanche (hypothèse peu
probable puisqu'il part en Europe le lendemain). Personne à l'Elysée
n'imagine qu'après avoir reçu une lettre de 186 parlementaires lui
demandant de faire voter le Congrès Barack Obama a décidé in extremis de
leur donner raison et encore moins que les principaux responsables de
la Chambre des Représentants et du Sénat sont déjà au courant -
plusieurs heures donc avant François Hollande...
"J'ai décidé d'y aller, dit le chef de la Maison-Blanche à
son homologue français ce samedi à 18h15, mais je vais d'abord demander
l'aval du Congrès." François Hollande est abasourdi. Il essaie de
convaincre le président américain de revenir sur sa décision - en vain.
Le chef de l'Etat rejoint alors les hommes qu'il a convoqués dans le
salon vert pour un conseil restreint. Il ordonne aux militaires de
rappeler les Rafale et évoque les prochaines fenêtres de tirs. De l'avis
général, il n'en reste plus qu'une : aux alentours du 15 septembre,
entre le vote des parlementaires américains et l'ouverture de
l'Assemblée générale des Nations unies. "Après ce sera très difficile,
voire impossible", convient-on. Cette ultime fenêtre sera refermée la
semaine suivante par une manoeuvre diplomatique astucieuse de Vladimir
Poutine.
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