Voix de la Russie. En
1999, vous avez sorti un ouvrage portant le titre « Les dollars de la
terreur » chez Grasset. Vous y parlez du terrorisme et des Etats-Unis.
Pourriez-vous nous le présenter, SVP ?
Richard Labévière.
Les dollars de la terreur c’est l’argent qui finance le terrorisme
couvrant la période de 1990 à 2001, puisque ce livre a été créé sur la
base de recherches effectuées avant l’attentat du mois de septembre
2001. Donc dans le cadre de cet ouvrage je me suis intéressé
principalement au financement du terrorisme islamiste en prenant en
compte que cela me paraissait le moyen le plus sûr pour comprendre la
structuration opérationnelle de ces mouvements à partir du début des
années 90. Cette enquête est partie des déclarations et des prises de
position des ONG à la Commission des Droits de l’Homme à Genève. J’étais
correspondant diplomatique à la Télévision suisse à l’époque : les ONG
algériennes revendiquaient l’assassinat des journalistes et
intellectuels en Algérie et ça m’a paru assez incroyable ! J’ai eu un
ami qui a été assassiné par le groupe islamique « Armée algérienne » en
janvier 1992. Cet assassinat m’a amené à faire une enquête qui m’avait
pris 15 ans de ma vie. J’ai commencé à travailler sur ces ONG basée en
Suisse avec la protection de quelques banques s aoudiennes. Et notamment
une banque qui à l’époque s’appelait « Al-Taqwa Banque » qui était la
banque des Frères musulmans et qui était la filiale d’une autre grande
banque saoudienne installée en Suisse avec des filiales principalement à
Nassau, aux Bahamas et dans d’autres paradis fiscaux. « Les dollars de
la terreur » avec comme sous-titre « Les Etats-Unis et les islamistes »
était une enquête sur l’argent, les structures et l’organisation des
banques islamiques et les ONG, impliquées dans le financement des
groupes islamiques à partir du début des années 90 étant entendu que
durant toute cette décennie qui a précédé les attentats du 11 Septembre,
nous avons eu en Arabie Saoudite, Yémen et Luxor chaque année des
attentats qui montaient en puiss ance et qui, chaque année étaient
attribués à la nébuleuse de l’islam radical . Déjà à l’époque il était
question d’Ussama Ben Laden… Depuis 1994, lorsque celui-ci fut installé à
Khartoum, au Soudan, les autorités soudanaises déjà avaient proposé de
le livrer aux autorités saoudiennes, voire américaines, sans que cela
les intéresse beaucoup !
C’était l’examen de cette
problématique islamiste que l’on voyait monter en puissance et bien
avant les attentats de 2001. C’est moi qui ai expliqué que ces attentats
n’étaient pas une rupture, lais la fin d’un cycle qui avait vu dès le
début des années 90, avec la fin de la Première Guerre du Golfe une
montée en puissance de l’islamisme radical sunnite jusqu’aux attentats
du septembre 2001. Les enquêtes de financement ramenaient soit en Arabie
Saoudite – banques, ONG, donations personnelles ou autres – soit au
Koweït, soit au Qatar, les monarchies pétrolières sunnites et
wahhabites. Cette recherche a été réalisée grâce à l’appui de la
télévision suisse. Lors de l’attentat de Luxor en novembre 1997 sur les
63 touristes tués par les terroristes, il y avait 35 ressortissants
suisses. Et pour cette raison en 1997-98, la télévision suisse m’a donné
carte blanche pour travailler à plein temps sur ces réseaux et leur
financement – enquête qui a donné lieu à plusieurs émissions et
plusieurs films + ce livre qui est sorti chez Grasset. C’est traduit aux
Etats-Unis et paru aux Etats-Unis l’année suivante chez un éditeur qui
s’appelle « Algora Publishing ». Il est clair que j’ai bénéficié de
l’appui des sources militaires et sources de renseignement, français,
britanniques, arabes mais aussi des sources diplomatiques.
LVdlR. Est-ce que les Etats-Unis sont impliqués dans cette montée des extrêmes au Proche-Orient ou c’est voir trop grand ?
Richard Labévière.
Je ne crois pas qu’il faille diaboliser les Américains, mais simplement
regarder l’histoire. Si vous prenez le pacte de Quincy 1945, 7 jours
après Yalta, où Roosevelt à bord d’un croiseur américain en mer de
Marmara, reçoit Ibn Séoud, le roi de l’Arabie Saoudite et noue le
premier grand pacte. C’est-à-dire que contre l’exploitation des
ressources pétrolières et gazières de l’Arabie Saoudite, les Américains
vont protéger la dynastie des Saouds qui, je vous le rappelle, est une
dynastie qui n’avait aucune légitimité. Je vous renvoie au très bel
ouvrage du professeur Vassiliev sur l’Arabie Saoudite expliquant que la
dynastie légitime était les Hachimites. Mais pour des raisons politiques
les Américains avaient tout intérêt à promouvoir les Saouds et en faire
leurs obligés. Donc à travers ce premier pacte on va déjà avoir une
alliance énergétique et politique entre les Etats-Unis et l’Arabie
Saoudite.
La deuxième étape historique expliquant
pourquoi les Etats-Unis sont très impliqués dans le développement du
phénomène wahhabite, cette fille de l’islam radical et puis du
terrorisme islamiste, c’est, bien évidemment, l’arrivée au pouvoir de
Nasser au début des années 50. A partir de 1956, après l’histoire du
barrage de Kerouan, Nasser choisit l’Union Soviétique contre les
Américains et l’Occident. Il est clair que Nasser, nationaliste arabe,
devient l’ennemi juré des Etats-Unis. A partir de ce moment-là, les
services américains ne vont avoir de cesse que d’utiliser les Frères
musulmans qui vont se tourner contre Nasser et de manière plus générale,
contre le nationalisme arabe. La confrérie des Frères musulmans fondée
en 1928 par Hassan el-Banna, va constituer la matrice générale, la
Maison-mère de tous les mouvements de l’islam sunnite jusqu’au salafisme
actuel, dans la mesure où ces mouvements financés par les monarchies
pétrolières wahhabites vont se développer de manière internationale mais
seulement dans les pays de l’arc arabo-musulman, mais également en UE
et dans les républiques de l’ex-URSS, au Caucase et ailleurs y compris
dans les capitales des pays occidentaux, au Canada, aux Etats-Unis, en
Espagne et dans d’autres pays européens. Un vecteur puissant que les
démocrates américains vont utiliser contre non seulement le nationalisme
arabe mais aussi contre de différents pays : non seulement l’Egypte,
non seulement Yémen, la Syrie et autres, mais aussi en Israël où les
Américains et les Israéliens vont même favoriser l’implantation du Hamas
et des Frères musulmans palestiniens dans les territoires palestiniens
pour créer des difficultés à l’OLP de Yasser Arafat, à l’époque laïc et
marxisant. Cette politique-là va culminer avec l’Afghanistan. Je vous
rappelle que les déclarations que Zbigniew Brzeziński avait faites à
l’époque, ancien conseiller de Carter, qu’il était très fier d’avoir
précipité l’ours soviétique dans le bourbier afghan. C’est lui-même qui
aidant les factions de l’islam radical les plus extrémistes avait
provoqué l’enlisement soviétique en Afghanistan.
Commentaires
de la Rédaction. Tel est pris qui croyait prendre ! En fait l’Occident a
semé le vent et se retrouve dans de beaux draps. Pour parer au plus
pressé et sauver les meubles, il faudrait commencer par désintoxiquer le
cerveau des Français qui peinent à comprendre que les Américains n’ont
jamais été et ne seront jamais leurs amis. Ils ne partagent ni la même
histoire, ni le même continent. Issus de la civilisation atlantiste, cet
Etat est beaucoup plus tributaire de la culture maçonnique et du rite
protestant, contraire à l’esprit catholique et européen de la France.
Mais pour autant les Américains ne sont pas les amis de l’islam non
plus, car farouchement opposés aux cultures traditionnelles. Il est
également à rappeler que Barak Obama a décidé que le nouveau pôle
d’attraction du vingt-et-unième siècle serait la façade pacifique
américaine. La Russie pourrait encore tirer son épingle du jeu avec
Vladivostok, mais la France ? Alors les Américains déblaient le terrain à
coups d’opérations du type « Tempête dans le désert ». Plus il y aura
du gâchis dans le Vieux Monde, mieux l’Amérique s’en porterait ! Et si
cela brouille le jeu des Russes qui partagent le même continent et les
mêmes religions avec l’Europe, tant mieux ! L’effet s’en retrouvera
doublé sinon triplé. Décidément Washington s’évertue de gagner à tous
les coups, mais c’est un jeu diabolique. Autrement dit le centre de la
pieuvre est outre-atlantique mais pactiser avec le bandit n’apportera
rien. Le piteux état de l’économie et de la société françaises le
prouvent dans tous son éclat, hélas !
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