16 août, 2013

Comment Al-Qaïda a pris ses quartiers en Syrie

L’État islamique en Irak et au Levant a supplanté tous les groupes islamistes en six mois. Il jouit d’abondants moyens militaires et financiers, qui renforcent son attractivité auprès d’éventuelles recrues.
Abou Bassir al-Jeblaoui a été abattu de deux balles à bout portant le 11 juillet, dans le gouvernorat de Lattaquié, en Syrie, non loin de la côte méditerranéenne. Il était l’un des chefs de l’Armée syrienne libre (ASL) les plus estimés. Son assassinat par des djihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), qui lui avaient tendu un guet-apens, a semé l’émoi et provoqué une prise de conscience : les groupes islamistes constituent une menace, y compris pour les rebelles modérés de l’ASL. De plus en plus forts, ils n’hésitent pas à s’attaquer aux autres groupes armés dont ils jugent qu’ils leur barrent la route ainsi qu’aux civils qui refusent de se soumettre à leur vision étriquée de l’islam. Même l’opposition exprime désormais sa crainte que la Syrie ne bascule dans la terreur, comme l’Irak avant elle, et qu’elle ne devienne un nouveau sanctuaire pour Al-Qaïda.
L’EIIL fait figure de nouveau venu sur la scène islamiste syrienne. Jusqu’alors, Al-Qaida était représenté en Syrie par Jabhat al-Nosra (Le Front du secours), qui a dans un premier temps laissé planer l’ambiguïté sur son affiliation à la nébuleuse terroriste. Le doute s’est levé en avril, lorsque Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’État islamique d’Irak, lié à Al-Qaida, a pris sous son aile Jabhat al-Nosra et annoncé la création d’une branche unique pour l’Irak et la Syrie : l’EIIL. Une bisbille a suivi, Abou Mohammed al-Joulani, le chef d’al-Nosra, refusant la tutelle de l’EIIL pour garder son indépendance, et faisant allégeance directement au grand chef d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri. Cette querelle entre Al-Baghdadi et Al-Joulani a accrédité l’idée d’entités distinctes voire rivales mais. selon Romain Caillet, chercheur de l’Institut français du Proche-Orient à Beyrouth, il n’en est rien : « Ce sont des lieutenants d’Al-Baghdadi, d’origine ou de nationalité syrienne, qui ont ouvert sur ses ordres une filiale en Syrie. Et pour mieux s’implanter, ne pas éveiller les soupçons, ils ont pris un nom neutre et un drapeau différent de celui d’Al-Qaïda. Les rivalités de personnes ne doivent pas nous abuser, il s’agit bien d’une seule et même organisation. »
En six mois, l’EIIL a supplanté les autres groupes islamistes dans le nord et l’est de la Syrie. L’organisation dicte sa loi dans les gouvernorats de Raqqa et d’Idlib, elle est très présente dans ceux d’Alep et de Deir Ezzor grâce à Jabhat al-Nosra, et mène désormais le bal dans le Djebel Akkrad, à Lattaquié. Son ascension fulgurante doit beaucoup, selon Romain Caillet, à Jabhat al-Nosra, qui a su « établir des réseaux en s’appuyant sur des Syriens. Il a beaucoup recruté et a pu ensuite transférer une partie de ses effectifs vers l’EIIL. En Irak, l’organisation jouit en outre d’un réservoir de combattants souvent sous-estimé. Grâce à son assaut contre la prison d’Abou Ghraib, le 22 juillet, elle a libéré un nombre considérable de ses partisans emprisonnés. On retrouve certains d’entre eux en Syrie aujourd’hui. Enfin, l’EIIL rallie des tribus ou joue un clan contre un autre, comme l’avait fait AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) dans le Maghreb. »
L’abondance de moyens militaires et financiers participe à l’attractivité et à la réussite de l’EIIL, explique Abul Iz, commandant d’une katiba à Alep : « Certaines katibas de l’ASL sont tentées de rejoindre les islamistes. Elles reçoivent ainsi des armes en contrepartie de leur allégeance. J’ai refusé mais d’autres groupes ont accepté, plus par opportunisme que par conviction. » Les jeunes sont les plus perméables à l’influence et à la propagande des deux entités liées à Al-Qaïda, ajoute Abul Iz : « Ils mordent facilement à l’hameçon. Ce qui les séduit, c’est l’aura des victoires, le radicalisme et la notoriété du groupe, mais pas vraiment les motivations religieuses. »
Sur le terrain, dans les montagnes du Djebel Akkrad, non loin de Lattaquié, où se déroulent de très violents combats depuis une semaine, l’entente entre l’EIIL, Jabhat al-Nosra et les autres groupes islamistes dont Ahrar al-Cham semble parfaite. Ils ont uni leurs forces et bataillent de concert. Pour Abou Ahmed, bras droit d’Abou Bassir avant que ce dernier ne soit tué et l’un des commandants importants de l’ASL, « l’EIIL a littéralement imposé sa loi dans la région. Ses hommes ne font pas que combattre, ils organisent partout des check points et contrôlent strictement le territoire. Même l’ASL, qui a pourtant libéré les premiers villages de la région il y a presque deux ans, doit montrer patte blanche. » L’assassinat d’Abou Bassir illustre ce basculement : « Ils ont annoncé vouloir décapiter l’ASL. Je ne me rends presque plus sur le terrain, car ma vie y est menacée, moins par le régime que par les islamistes. Nous voudrions obtenir justice pour Abou Bassir, mais cela devra attendre. Pour l’instant, nous faisons profil bas et espérons que l’Occident se réveille enfin. Après la chute de Bachar al-Assad, il y aura une deuxième guerre pour éradiquer les djihadistes. »
Au sein de l’ASL, tous ne montrent pas la même hostilité envers les groupes islamistes, précise Romain Caillet : « L’état-major en Turquie condamne sans ambiguïté la présence des djihadistes, mais l’attitude des cadres sur le terrain est souvent plus nuancée, sinon bienveillante. »
La mainmise des radicaux sur des villages et des campagnes syriennes suscite de plus en plus d’oppositions au sein de la population locale. Dernier incident, le mois passé, à Aldana, à une dizaine de kilomètres de la frontière turque : les habitants ont protesté contre les mauvais traitements et le racket que leur impose un groupe de djihadistes étrangers affiliés à l’EIIL. Ces derniers n’ont pas hésité à tirer sur les manifestants. Ces tensions entre la population et des djihadistes souvent étrangers vont augmenter, annonce le commandant Haj Ali, le frère d’Abou Bassir : « Il y a une moitié d’étrangers dans les rangs de l’EIIL. Les valeurs qu’ils défendent sont incompatibles avec la culture syrienne. Dans les campagnes ou dans l’est du pays, le choc culturel est amorti par le conservatisme local mais, à Lattaquié et dans les villes, cela mènera à des confrontations. Les valeurs intégristes ne passeront pas. »
Par : Boris Mabillard
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