30 juillet, 2013

Reportage : Facebook vu de l'intérieur

Le réseau social le plus ouvert de la planète, qui compte 1,1 milliard de membres sur la planète, est aussi très mystérieux. Visite privée à Menlo Park.

Du siège à Menlo Park (Californie), Mark Zuckerberg fête, avec la directrice, Sheryl Sandberg (à g.), l'introduction de son bébé en bourse, le 18 mai 2012.
Du siège à Menlo Park (Californie), Mark Zuckerberg fête, avec la directrice, Sheryl Sandberg (à g.), l'introduction de son bébé en bourse, le 18 mai 2012. © Kim Kulish / Réa
Ces trois bébés renards sont aux premières loges. En quelques mois, les canidés qui ont trouvé refuge sur le campus ont vu défiler Madonna, Katy Perry, Diane von Furstenberg et Barack Obama. Tout le monde veut visiter le 1, Hacker Way de Menlo Park. C'est là, à une demi-heure de voiture au sud de San Francisco, que Facebook s'est installé il y a deux ans. Le célèbre réseau social, qui a réussi en moins de dix ans à aligner plus de 1,1 milliard de membres - qui y passent en moyenne cinq heures par mois - et a rendu accro un Français sur deux, a beau vouloir rendre le monde "plus ouvert et connecté", son fonctionnement au quotidien reste mystérieux.
À l'accueil, à côté de vigiles équipés d'un talkie-walkie, des hôtesses distribuent des sucettes à la cannelle. Passé le sas, on se retrouve dans une sorte de Disneyland 2.0. Un jongleur excelle dans le lancer de quilles violettes tandis que deux salariés à rollers filent sous une reproduction miniature du Golden Gate Bridge. Pas eu le temps de vous rendre chez le coiffeur ? Un figaro à casquette vous attend dans un salon des années 30, estampillé Barber Shop. Un petit souci avec votre vélo ? Deux mécanos sont à votre disposition. Un pressing redonne une allure aux mordus qui ont dormi sur place, et une banque First Republic permet d'échanger des dollars avant de partir pour l'étranger.
Comme chaque vendredi, Mark Zuckerberg, micro fixé devant le menton, a donné rendez-vous aux 2 700 salariés du siège. Dans une réunion interdite au public, dont l'ambiance oscille entre agit-prop et kermesse barbecue, il félicite Mike pour ses cinq ans de présence avant de faire le point sur la concurrence. Vine, le service de vidéo de Twitter, n'est-il pas en train de faire de l'ombre à Instagram, la dernière acquisition de Facebook ? Le milliardaire, qui vient de souffler ses 29 bougies, revient de quelques jours de vacances à Budapest avec Priscilla Chan, la chirurgiennne-dentiste qu'il a épousée l'an dernier.

Sans hiérarchie

Lui qui a quitté Harvard sans décrocher de diplôme impose dans les onze bâtiments du siège une température maximale de 15 °C... pour éviter à ses troupes tout assoupissement... Une pratique qui n' a pas effrayé Sheryl Sandberg, ex-star de Google et ancienne collaboratrice du secrétaire au Trésor Larry Summers. Le bureau de la nouvelle DG de la firme se limite à un poste de travail, où sont posés quelques exemplaires de son récent livre sur l'émancipation des femmes, En avant toutes. Très à cheval sur l'égalité hommes-femmes, l'executive woman de 43 ans milite pour qu'un homme puisse rester à la maison pour élever ses enfants. Juste en face, le bureau de Zuckerberg n'en impose pas plus. Un livre de photos sur les oiseaux sauvages trône sur la table de ce fils de psychologue, qui, à 12 ans, récitait des passages de "L'Iliade", et sur le mur on peut lire l'inscription taguée : "I love you mom !" Les réunions ? Elles se font dans l'"aquarium", une salle délimitée par une vitre transparente où Sheryl a testé il y a peu les Google Glass, lunettes interactives pour lesquelles Facebook a développé une application spécifique. En apparence, Facebook fonctionne sans hiérarchie : tout le monde a le droit de venir parler à "Mark", même si tous les salariés ne disposent pas du même nombre d'actions... Certaines équipes travaillent dans des rez-de-chaussée reconvertis en garages pour garder l'esprit start-up. Et un atelier de menuiserie en accès libre est censé encourager chacun à créer ses propres objets.To hack ne veut-il pas dire "bricoler" ? Tout est fait pour que l'impression de chantier demeure : ici un pot de peinture, là des câbles qui dépassent et, sur les murs aux couleurs psychédéliques, des affiches : "Pensez à l'envers !" ou encore "Bougez vite et cassez des choses". Proposées par les salariés puis validées par la direction, lesdites affiches sont imprimées sur place. Un semblant d'anarchie, donc, mais très maîtrisé. Chaque rendez-vous est millimétré, et en général expédié en vingt minutes chrono...
C'est Fred Leach qui nous reçoit en premier. Ce diplômé de Stanford en pyschologie sociale est un expert en datas (données). Une maîtrise des chiffres qu'il met au service de la publicité, qui compte pour la quasi-totalité des 5 milliards de dollars générés par Facebook en 2012. Sa théorie ? Remplacer le click through rate, le nombre de clics sur une pub, par le return on advertising spending, un ratio qui mesure les retours sur investissements. Pour cela, il croit dur comme fer aux "trois R" : Reach (atteindre la cible), Resonance (de manière répétée) et Reaction (transformer cette visibilité en achat). Pour le Reach, Facebook peut se targuer de posséder une jolie force de frappe. "Avec 1,3 milliard d'utilisateurs mensuels, c'est comme si nous avions la possibilité d'offrir l'équivalent de l'audience du Super Bowl chaque jour", explique Javier Olivan, chargé des activités de croissance.

Commando cosmopolite

Le diplômé de l'université de Navarre à Pampelune veut décliner Facebook - déjà disponible dans 78 langues - dans tous les dialectes du monde. Et, pour les traductions, ce trentenaire parlant le japonais - il a travaillé chez NTT Docomo - parie sur les utilisateurs : "C'est à eux de décliner Facebook dans leur langue, en mode participatif, à l'instar du hindi, où, en moins d'une journée, 100 000 termes ont été traduits."
Pour être sûr que les pubs n'échappent pas à l'internaute, elles se coulent dans le flot d'information des amis. "Nous avons même ajouté un bouton "like" sur les publicités, ce qui permet de les partager ou les commenter", explique Fidji Simo, une Française passée par HEC qui travaille au service marketing depuis deux ans. Aujourd'hui, le réseau social compte plus de 1 million d'annonceurs, attirés par des campagnes qui démarrent à 8 euros. Cela va de Nutella à Nestlé Fitness, en passant par Décathlon ou Renault. Dernier axe de développement, le mobile, qui est utilisé par 730 millions d'abonnés Facebook, facilitera l'achat final sur lequel Facebook touchera une commission. C'est ce qu'a expliqué le 11 juin Mark Zuckerberg à ses actionnaires, Morgan Stanley, le russe DST, ou encore le flamboyant Sean Parker, cocréateur de Napster.
Car, s'ils ont renouvelé à "Zuck" - qui possède toujours 28 % des parts - leur confiance, ils se remettent à peine de l'introduction à la Bourse de New York, l'an dernier, gâchée par un bug informatique retentissant. D'autant que de nouveaux réseaux sociaux poussent comme des champignons, à l'instar de Tumblr, créé en 2007 et devenu en un temps record le chouchou des ados, avant d'être racheté plus de 1 milliard de dollars par Yahoo ! Qu'à cela ne tienne, Facebook est tout de même valorisée 80 milliards de dollars (davantage que General Motors), et vient d'enregistrer des résultats trimestriels en progression de 53% sur un an.
Pour continuer à faire la différence, Facebook veut attirer les meilleurs. Zuckerberg est à l'origine du mouvement FWD.us (Forward US), qui demande à Washington d'assouplir ses critères d'immigration afin d'attirer les codeurs de la planète. Le patron a ainsi fait circuler une publicité qui reformule les passages d'un poème gravé sur la statue de la Liberté. "Donnez-moi ceux qui changent le cours des choses et les rêveurs, ceux qui ont pour but le talent, et qui veulent réaliser quelque chose. (...) Envoyez-les-moi, ces sans-frontières, je laisse ma lampe à côté de la porte."
Le code guidant le peuple ? C'est le message qu'essaie de véhiculer Jocelyn Goldfein. Cette diplômée de Stanford passée par VMware dirige les ingénieurs comme on le ferait d'un commando : "Dès qu'un ingénieur est embauché, il est enrôlé dans un boot camp, un programme de six semaines durant lequel on écrit du code que l'on "pousse" en production. Une intronisation où l'on célèbre le PHP, le C++ et le Python..."

Brainstorming numérique

Une fois salariées, les troupes ont droit à des piqûres de rappel, toutes les six semaines, à l'occasion de concours de programmation. 19 heures, une cloche résonne sur le campus. Zuckerberg apparaît en direct sur l'écran géant, puis le "Hackhaton" démarre sur une musique entraînante. Aujourd'hui : Get Lucky, de Daft Punk, autour d'un barbecue arrosé de Budweiser, la même bière que Mark buvait quand il était refoulé des clubs huppés de Harvard, ce qui lui aurait donné envie de créer Facebook... Le mot d'ordre du "Hackaton" ? Innover. "En fait, c'est la stratégie de l'océan bleu[théorisée à l'Insead, NDLR], on demande aux employés d'inventer un programme qui diffère de ce qu'ils ont l'habitude de faire", poursuit Jocelyn. Ce brainstorming numérique, qui se poursuit en général jusqu'à 6 heures du matin, a fait naître des concepts à succès, comme la possibilité de mener plusieurs discussions simultanément, ou encore le "hip hop compiler", qui permet d'économiser de l'espace sur les serveurs.
Les datacenters, justement, sont le coeur du réacteur de Facebook. En 2011, Facebook s'est doté de son premier centre géant de stockage de données dans l'Oregon, suivi d'implantations en Californie du Nord. Début juin, le réseau a ouvert les portes d'un centre à Lulea, en Suède. Le site de 30 000 mètres carrés utilise l'air froid des régions polaires pour améliorer son efficacité énergétique. Question sécurité, il y a encore des progrès à faire. Récemment, les données privées (numéros de téléphone, courriels...) de plus de 6 millions de personnes se sont retrouvées brièvement accessibles à tous ! Une problématique qui est loin d'être anecdotique. Les serveurs de Facebook abriteraient plus de 100 petabits de données numérisées, l'équivalent, en volume de stockage, de tout ce qui a été écrit depuis les débuts de l'humanité. Avec plus de 250 milliards de photos postées depuis 2005, Facebook est aussi un grand confessionnal... qu'Edward Snowden, l'ancien conseiller de la CIA, vient d'accuser de collaborer volontairement avec les services de renseignements américains. Le site a reconnu avoir répondu à 10 000 requêtes des autorités américaines en un semestre, tout en assurant "protéger agressivement les données de ses utilisateurs".

Droit à l'oubli

D'un côté, Facebook a permis à des dissidents du monde entier de faire entendre leur voix ; de l'autre, son ancien responsable de la sécurité informatique, Max Kelly, a été embauché par la NSA, l'agence de sécurité intérieure américaine. Pas du meilleur effet pour la Chine, où le réseau n'a d'ailleurs jamais réussi à s'implanter... Pour se défendre, Facebook recrute des pointures du lobbying, comme Elliot Schrage, débauché de Google. Ce francophile passé par Normale sup - "j'avais une chambre de bonne avec WC sur le palier près du musée d'Orsay" - parle à l'oreille des puissants. Son combat en ce moment ? Lutter contre le droit à l'oubli, débattu au Parlement européen, qui permettrait à chaque citoyen d'exiger l'effacement des données le concernant. Si une telle loi passait, les serveurs de Facebook seraient vidés d'une quantité impressionnante de données. Une menace qui ne semble pas vraiment inquiéter l'armée des "Facebook guys" (les gars de Facebook), qui passent à la salle de gym éliminer les excès des glaces au chocolat qu'ils peuvent dévorer à volonté. Avant d'opter pour des barres de céréales bio recouvertes d'un "Grignotez intelligemment et travaillez heureux".
Facebook, qui recrute 50 % d'employés en plus chaque année, se prépare à déménager de nouveau. Les futurs locaux seront quatre fois plus grands : 43 hectares qui sont dessinés en ce moment même par la star des architectes, Frank Gehry. Pourquoi voir petit, alors qu'Apple se dote de son côté d'un campus aux allures de vaisseau spatial et que Google se construit son aéroport privé ? Il se murmure même qu'une place de choix pourrait être réservée à la famille de renardeaux de Zuckerberg. À condition qu'elle ne décide pas d'ici là de prendre le large pour rejoindre la splendide forêt de chênes de Windy Hill. Cela consternerait sans doute les 17 500 fans de la page Facebook créée à l'occasion de l'arrivée des renards sur le campus.
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Le marathon des développeurs

Toutes les six semaines, un concours de programmation est organisé. Mot d'ordre : " Hack " (démonter pour remonter).

lepoint.fr

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