06 décembre, 2011

Quand la société française Amesys aidait Kadhafi à traquer les opposants libyens

LEMONDE.FR |

Une partie de la fiche de contacts d'Annakoa.

Une partie de la fiche de contacts d'Annakoa.DR

C'est une drôle de trouvaille qu'a faite un journaliste du site Owni.fr en bidouillant une plaquette de la société française Amesys, qui avait vendu en 2008 au régime de Mouammar Kadhafi le système de surveillance des communications électroniques et numériques Eagle. Le document est tiré d'une notice de démonstration : il s'agit d'une page anonymisée montrant comment le système pouvait dresser le profil d'une cible en recensant ses 80 contacts les plus fréquents dans ses échanges de mails.

A la suite d'une petite manipulation, Owni, qui a travaillé de concert avec WikiLeaks, a pu mettre au jour le document réel à partir duquel la "démo" à blanc a été réalisée. Il s'agissait de la fiche de contacts d'un certain Annakoa : seule la première page est visible, soit 40 contacts, qui apparaissent sous la forme de pseudos et d'adresses mail. Annakoa n'est autre que Mahmoud An-Nakwa, 74 ans, écrivain, intellectuel et réfugié politique à Londres depuis trente-deux ans. Membre fondateur du Front national pour le salut libyen, il est un pilier de l'opposition en exil au régime Kadhafi. Il vient d'ailleurs d'être nommé ambassadeur en Grande-Bretagne par le Conseil national de transition (CNT), qui a succédé au régime Kadhafi après son renversement. Lorsqu'il était espionné, Mahmoud An-Nakwa était donc un réfugié politique.

AMESYS SE DÉFEND

La liste des contacts de la cible est tout aussi édifiante. On y trouve Atia Lawgali, membre fondateur du CNT et ministre de la culture, Ramadan Jarbou, un intellectuel de Benghazi, Mohammed Zahi Bachir Al-Mogherby, professeur de sciences politiques à Benghazi, Ahmed Fitouri, un ancien militant communiste. On y trouve aussi des exilés américains, Ali Ramadan Abouzaakouk, fondateur de l'ONG de défense des droits de l'homme Libya Forum, et Abdel Majid Biuk, fondateur de Transparency Libya, tous deux financés par le National Endowment for Democracy (NED), une fondation américaine de promotion de la démocratie, située à Washington. Logiquement, deux employés du NED, Hamida Shadi et Raja Al-Habti, se retrouvent listés dans les contacts d'Annakoa. Ashou Al-Shamis, réfugié à Londres et animateur du site Akhbar Libya, financé lui aussi par le NED, est également listé. Tout comme l'avocat britannique Jeffrey Smele, qui avait défendu des plaintes d'opposants libyens en exil contre le piratage de leurs sites Internet, dont celui d'Akhbar Libya.

Amesys s'était défendue jusqu'à présent en expliquant que ses interceptions n'avaient porté que sur "une petite fraction des communications libyennes". La découverte d'Owni indique, au contraire, un système sophistiqué d'interception massive s'étendant bien au-delà de la Libye. Dans sa réponse à Owni, Amesys se justifie ainsi : "L'utilisation du matériel vendu [par Amesys] est assurée exclusivement par ses clients. Amesys n'a donc jamais eu accès à l'exploitation faite du matériel vendu en Libye."

Dans ce cas, pourquoi la liste des contacts d'Annakoa s'est retrouvée dans un document qu'Amesys utilise pour ses autres clients ? Les techniciens libyens ont-ils été secondés par des Français dans ce travail de surveillance des opposants ? Où se trouve enfin HQ1 (qui signifie probablement Headquarter 1) qui semble avoir réalisé le listing ? A Tripoli… ou à Boulogne-Billancourt, siège d'Amesys ? Une plainte est à l'étude, elle permettra d'en savoir plus.

Christophe Ayad

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