21 décembre, 2011

Les rats-taupes et leur sperme pourri... comme le nôtre ?

LE PLUS. Ew, berk, argh : une formule de dégoût sera sans doute votre première réaction devant le rat-taupe nu. Un animal repoussant mais pas moins fascinant... comme en témoigne Peggy Sastre, qui présente cette "anomalie" de la nature.

Peggy Sastre

> Par Peggy Sastre sexe, science et al.

Edité par Amandine Schmitt Auteur parrainé par Melissa Bounoua

Si vous ne le connaissez pas (j'ai comme l'impression que le rat-taupe ressemble à la bifle : quand quelqu'un en parle, il y a toujours quelqu'un qui en entend parler pour la première fois), sachez que le rat-taupe est un animal extraordinaire.


Déjà, il est extraordinairement beau.

Rat-taupe dégueulasse (Wikimedia Commons)

Rat-taupe nu (Wikimedia Commons)


Ensuite, il est un peu comme nous : il a un sperme pourri. En effet, selon une récente étude menée par Liana Maree, de l'Université du Cap occidental (qui était réservée aux Noirs pendant l'apartheid), seulement 7% des spermatozoïdes des rats-taupes ont une motilité normale (rassurez-vous, chez les humains, on tourne autour d'une moyenne de 60%) et ne nagent qu'à 35 µm par seconde (soit plus lentement que chez n'importe quel autre mammifère connu – chez les hommes, c'est environ 55 µm). De plus, une grande majorité de ces spermatozoïdes présente des malformations (absence de flagelle, double tête, etc.) qui les rendent stériles.

Et comment cela se fait-ce ? Tout cela serait lié à leur mode de reproduction, dénuée de compétition spermatique, poussant les mâles et leurs spermatozoïdes à se satisfaire de la politique du moindre effort. Mais avant d'analyser plus avant la sexualité des rats-taupes, passons, si vous le voulez bien, un petit moment du côté de leur mode de vie.

(Ce n'est pas simplement du teasing, c'est que tout est lié)

L'Heterocephalus glaber, de son nom scientifique, a été découvert en 1842 par Ernst Rüppel lors d’un voyage en Afrique de l’Est. A l'époque, Rüppel le voyait comme une forme néonatale des rongeurs déjà répertoriés, mais le rat-taupe est aujourd’hui considéré comme une espèce à part entière, appartenant à la famille des Bathyergidés qui compte 5 genres et 17 espèces de rats-taupes africains. Étudié de façon approfondie depuis 1967 par Jennifer Jarvis, le rat-taupe est devenu en 1981 (année de ma naissance, il n'y a pas de HASARD) le premier et l’unique vertébré eusocial connu.

Physiologie et habitat : plein de dents et un amour du caca

Le rat-taupe mesure entre 7 et 8 cm, pèse entre 25 et 70g et vit jusqu’à 2 ans maximum dans son milieu naturel (jusqu'à 30 ans en captivité). Entièrement nu (d'où le glaber), ses seuls poils se trouvent sur ses lèvres (pour lui empêcher d'avaler de la terre en creusant), sur ses pattes et sur sa queue. Avec ses deux paires d’incisives saillantes, le rat-taupe ne possède aucune glande sudoripare ni couche de graisse, ce qui le protège contre les parasites et augmente l’absorption de la chaleur, car si le rat-taupe est poïkilotherme, il a besoin d’un environnement thermiquement stable à 30 °C. Quand ils ont froid, les rats-taupes se roulent dans le sol près de la surface ou se pelotonnent les uns contre les autres au milieu de leurs excréments qui leur servent aussi de nourriture.

S'ils ne trouvent pas des tubercules, les rats-taupes se nourrissent des excréments mous fournis par les ouvriers. Ces derniers défèquent deux sortes de déjections : l’une séchée, est entassée dans une chambre spécifique, l’autre, molle et riche en éléments nutritifs est distribuée comme nourriture. Quand un rat-taupe a trouvé de la nourriture, il revient vers le nid en déposant des marques odorantes sur son parcours et en émettant des vocalisations bruyantes pour alerter ses congénères. De même, il l'agite frénétiquement pour accentuer la diffusion de ses odeurs et avertir ses partenaires que le dîner est servi.

Comme les taupes, les rats-taupes possèdent une physiologie adaptée à leur vie : quasiment aveugles, ils peuvent néanmoins différencier plus de dix-huit sons essentiels à leur communication et leur survie (soit beaucoup plus que la moyenne des rongeurs voire de certains primates) et leur odorat est extrêmement développé. De plus, leur faible métabolisme et l’efficacité de leur hémoglobine leur permet de résister à un milieu pauvre en oxygène. Ils communiquent de manière chimique, tactile et acoustique.

Présents en Éthiopie, au Kenya ou encore en Afrique du Sud, les rats-taupes vivent dans un réseau de galeries qu’ils creusent avec leur dents (25% de leur masse musculaire est concentrée dans leurs mâchoires) situées entre 50 cm et 2 m sous terre et qui peuvent mesurer jusqu’à 4 km. Ces galeries comportent plusieurs chambres spécifiques de la taille d’un ballon de football construites d’écorces et de racines qui sont dédiées à des fonctions précises : chambre de la reine (le nid central), stockage de nourriture et défécation.

Bébés rats-taupes nus (West Chester Dumonts/CC/Flickr.com)

Bébés rats-taupes nus (West Chester Dumonts/CC/Flickr.com).


Eusocialité ≠ pacifisme

Une colonie de rats-taupes comporte entre 75 et 80 individus dans la nature (jusqu’à 300 en captivité), soit la plus grande population connue pour un groupe de mammifères sociaux. Ces colonies sont composées à 2/3 de mâles contre 1/3 de femelles.

Pour une femelle reproductrice, on compte une caste de 1 à 3 mâles reproducteurs et une caste d’ouvriers mâles et femelles qui ne se reproduiront jamais. Les ouvriers sont chargés de toutes sortes de tâches : soins aux jeunes, creusement des galeries, ravitaillement, défense contre les prédateurs, etc. Au sein de la caste d’ouvriers (contrairement aux insectes, les castes ouvrières des rats-taupes ne sont pas figées) on observe une hiérarchie fondée sur le poids et la taille.

Les ouvriers actifs sont les moins gros. Ils sont les premiers à creuser (les rats-taupes se mettent en file indienne pour creuser, le deuxième déblayant la terre rejetée par le premier, et ainsi de suite) ou à fournir la nourriture à la femelle reproductrice et aux jeunes. Lors de la mise bas de la femelle, les ouvriers s’entassent pour fournir un tapis vivant servant à réchauffer les nouveaux-nés. Après le sevrage, ce sont encore eux qui assurent la nourriture des jeunes. Les ouvriers moins actifs (les plus gros) ont comme tâche la surveillance et la défense contre les prédateurs (en particulier les serpents). Quand un serpent pénètre dans la galerie, ces gros ouvriers l’attaquent, essaient de le tuer ou de l’ensevelir et bouchent en quelques minutes tous les accès aux galeries.

Agressifs et xénophobes

A priori, tout cela semble merveilleux et parfaitement paisible, sauf qu'il existe une indéniable compétition entre les individus d’une même colonie : ils se poussent pour obtenir la meilleure place dans le nid et on assiste à de bruyants combats dans l’accès à la nourriture ou aux sites de creusement. La reine est bien sûr la plus agressive de la colonie : elle patrouille dans les galeries, bouscule les ouvriers qui se mettent en position de soumission (sur le dos, les pattes arrières relevées) et agresse souvent les femelles (avec les substances chimiques qu’elle produit, ces méthodes d’intimidation réduisent la fécondité des femelles ouvrières). Si la reine meurt, les femelles de la colonie se battent pour la remplacer : elles se mettent à grossir et une lutte sans merci pour la succession les accapare jusqu’à ce que l’une d’entre elles tue les autres ou arrive à asseoir complètement sa domination.

De plus, les rats-taupes sont des animaux extrêmement xénophobes. Si un individu d’une autre colonie pénètre par mégarde dans des galeries qui ne sont pas les siennes, il se fait tuer. Si on assiste à une introduction en force d’une colonie dans une autre, il y a alors des combats bruyants et violents jusqu’à ce que l’une l’emporte sur l’autre. Dans ce cas, c'est l’hypothèse de la sélection de parentèle d'Hamilton, formulée en 1964, qui se vérifie : les rats-taupes reconnaissent les individus avec lesquels ils ont été élevés (même s’il ne proviennent pas à l’origine de la même colonie, dans des conditions expérimentales) comme ils reconnaissent des individus au génotype proche du leur (même s’ils n’ont pas été élevées ensemble). La reconnaissance semble donc se faire à la fois sur des critères génétiques et olfactifs (tous les rats-taupes d’une même colonie se roulant dans la chambre de défécation ont la même odeur).

La formation de nouvelles colonies se fait soit par invasion soit par dispersion. En 1996, Jennifer Jarvis a ainsi prouvé que, chez certaines colonies, on trouvait une autre caste : la caste de "disperseurs" (un peu comme chez les termites) composée presque exclusivement de mâles (à 95%) avec un taux hormonal (LH) comparable à celui des mâles reproducteurs de leur colonie, mais avec beaucoup plus de graisse leur permettant de survivre en cas de dispersion en surface avant de retrouver une autre colonie. Dans ce cas, ils ont trois choix : se soumettre, inciter certains ouvriers à fonder une nouvelle colonie ou se reproduire avec la reine.

Deux rats-taupes nus dans une citrouille au Smithsonian's National Zoo de Washington (Smithsonian's National Zoo/CC/Flickr.com)

Deux rats-taupes nus dans une citrouille au Smithsonian's National Zoo de Washington (Smithsonian's National Zoo/CC/Flickr.com).


Accès à la reine garanti... sperme pourri

Niveau reproduction, on n’observe pas de dimorphisme sexuel chez les rats-taupes (comme chez les fourmis et les termites) mais des différences morphologiques selon les castes.

Une colonie est organisée autour d'une (et très rarement deux) femelle reproductrice (la reine), qui est le plus gros rat-taupe de la colonie. Elle possède entre 10 et 14 mamelons qui sont constamment développés. Si les ovaires des femelles ouvrières sont atrophiés, elles conservent néanmoins leur fertilité qui est limitée par les émanations hormonales de la reine et par ses intimidations physiques. Les mâles reproducteurs sont entre 1 et 3 par colonie et le restent toute leur vie. Si un mâle reproducteur meurt, il est remplacé par un ouvrier.

La reine est fécondable une fois par an dans la nature (contre 4 à 5 fois en laboratoire) si la portée survit. Lors de cette période, elle s’accouple avec tous les mâles reproducteurs de la colonie...et c'est précisément ce qui serait à l'origine de leurs petits soucis spermatiques. Car sans compétition spermatique et avec un accès garanti à vie à la reine, nul besoin de se fatiguer des flagelles ! Pour Liana Maree, interrogée dans le New Scientist, "le rat-taupe est en réalité un très bon modèle de ce qui arrive chez les humains" où le déclin du sperme est un phénomène de plus en plus avéré...

(Et la prochaine fois, je vous raconterai comment le rat-taupe est capable de courir aussi vite en avant qu'à reculons, est immunisé contre le cancer ou est encore insensible aux brûlures).

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