30 novembre, 2011

Pourquoi la Birmanie s'éveille

Pourquoi la Birmanie s'éveille

Aung San Suu Kyi, à Rangoon, le 20 novembre, devant le siège de son parti. L'opposante a l'intention de se présenter aux prochaines élections.

REUTERS/Soe Zeya Tun

Hillary Clinton effectue ce mercredi la première visite d'un chef de la diplomatie américaine en Birmanie en plus d'un demi-siècle... Dans ce pays si fermé, le pouvoir reste aux mains des militaires, même s'ils semblent approuver un dégel politique. Spécialiste du pays, le politologue Renaud Egreteau décrypte cette ouverture inattendue.

Que se passe-t-il dans cette Birmanie si longtemps recluse et réfractaire au changement? Depuis quelques mois, diplomates onusiens et occidentaux se bousculent à Rangoon pour y rencontrer l'égérie démocrate, Aung San Suu Kyi. Pour la première fois depuis 1955, un secrétaire d'Etat américain, Hillary Clinton, y est accueilli cette semaine. La nouvelle élite dirigeante "civile", qui a succédé à la junte du général Than Shwe en mars, enchaîne les visites de courtoisie auprès de ses voisins: Inde, Chine, Vietnam, mais aussi, plus loin encore, Japon et Russie. En 2014, la Birmanie présidera l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, après avoir organisé les Jeux du Sud-Est asiatique de 2013, avant de rejoindre, en 2015, une zone de libre-échange asiatique. Les droits de grève, de manifestation et les syndicats sont désormais légaux. Journalistes et dissidents birmans obtiennent leurs visas. Le monde à l'envers?

Pas vraiment. Car la Birmanie a cessé depuis longtemps de vivre dans un splendide isolement à la nord-coréenne. La Chine a su y étendre ses réseaux d'influence, alors que l'Occident pliait bagages, imposant ses sanctions dès les années 1990. Singapour, la Thaïlande, l'Inde ou la Corée du Sud ont développé de précieux liens économiques avec cette région riche en ressources. La Russie, fournisseuse d'armes, est devenue un partenaire essentiel des autorités birmanes. Malgré l'isolement imposé par Bruxelles et Washington, et malgré une opinion internationale fascinée par le combat souvent caricaturé de Mme Suu Kyi, de nombreuses ONG ont pu pénétrer dans le pays. Surtout, quelque 3 millions de Birmans vivent aujourd'hui hors des frontières de leur pays. Migrants, commerçants expatriés, réfugiés, étudiants, tous restent connectés avec leur patrie, à laquelle ils apportent une ouverture sur le monde bien plus grande qu'on ne l'imagine.

Des possibilités de coopération inédites

Par sa récente mue "civile", le pouvoir militaire birman semble prendre acte de ces évolutions et cherche à redéfinir son rapport à la société, tout en adoptant une nouvelle vision du monde. Il en va de sa survie en tant qu'institution prétorienne dominante. La Birmanie doit s'ouvrir, ne serait-ce que pour assurer la paix sociale à une nation minée par ses divisions ethniques et ses oligarchies mafieuses. Incapable de réformes, l'ancienne junte n'avait su projeter à marche forcée le pays vers l'avenir.

Depuis le passage tragique du cyclone Nargis, en 2008, de nouvelles forces sont apparues. Société civile, milieux intellectuels, Birmans de l'étranger et jeunesse branchée étendent leur influence sur le fait politique et, donc, sur l'armée. Tous ont su profiter de l'oeil bienveillant d'une partie de cette institution polymorphe, dont certaines de ses élites se montrent aujourd'hui résolument réformistes.

Les jeux de la démocratisation et du retour dans le concert des nations ne sont pas pour autant faits। Les sanctions occidentales demeurent en place, et les réviser demandera d'interminables négociations. De même, des décennies de nationalisme autarcique birman ne se balaient pas d'un revers de la main. Mais, au moins, la levée de l'intransigeance américaine, facilitée par le rapprochement entre Mme Suu Kyi et le régime du général Thein Sein, laisse entrevoir des possibilités de coopération inédites depuis 1990. La Birmanie, avec prudence, va sortir du bois. Elle ne peut faire autrement.

LEXPRESS.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire