18 novembre, 2011

Loisirs Plongée dans l’univers «ultra» des Winners du Wydad

En plus du match qui oppose en deux temps le WAC à l’Espérance de Tunis (EST), un autre, plus virulent, met aux prises les ultras des deux équipes, les Winners aux L’emkachkhines tunisois.

Winners du Wydad

La guerre bat son plein sur les sites et la blogs du Net. La finale de la Champion’s league opposera les ultras de deux grandes équipes maghrébines. Des ultras qui se proclament les plus importants de la région. Le premier acte de cette guerre entre ces deux géants du football africain a eu lieu à Casablanca, au Complexe sportif Mohammed V, lors de la rencontre opposant le WAC à l’EST lors des matches de poules le 14 août dernier. Les Winners ont alors déployé un dessin géant (tifo) agrémenté d’un message clair : «Lâchez tout espoir, à nous le Continent noir». Deux semaines plus tard à Tunis, les ultras de l’Espérance répliquent avec tifos et chants, «et des messages offensant non seulement le WAC, mais tout le Maroc», se souvient Abdelhamid, chef d’entreprise résidant à Aïn Sebaâ, qui était du voyage lors du match retour. Les deux matches de poules n’ont pas départagé les deux formations : deux partout à Casablanca et un nul blanc à Tunis. Les deux équipes sont sorties première et deuxième de leur poule, ont gagné leurs demi-finales et se retrouvent trois mois plus tard en finale.

«Winners : together, forever»

Qui sont ces ultras du WAC ? Sur leur site, le winners2005.com, on peut lire que «les Winners sont les enfants et petits enfants des tout premiers supporters du Wydad des années 40-50, supporters qui avaient à combattre l’occupant français. Aimer le Wydad à l’époque était déjà une contrainte passible des pires oppressions de la part des autorités de l’époque. Malgré cela des millions de Wydadis ont continué à aimer et à chérir leur équipe préférée avec la gloire qui s’en est suivie. C’est donc le sang de ces résistants de l’époque qui circule dans les veines des supporters d’aujourd’hui, un sang de gloire et de victoire». Durant l’été 2005, le nom des Winners a été retenu, «un nom qui dénote parfaitement cet esprit laissé par les anciens, que ce soit sur le terrain ou bien dans le virage. Afin de marquer cette appartenance aux grands mythes de la résistance qui ont fait le XXe siècle, le logo choisi fut la tête du Fedayyin Palestinien, une cause toujours défendue par le Wydad et les Wydadis». Depuis, les Winners, à côté d’autres ultras du Raja et des FAR notamment, se sont imposés par la qualité du spectacle sur les gradins, lors des confrontations du WAC, à Casablanca comme ailleurs. «Etre ultra, c’est une mentalité, une manière de vivre, de parler et de penser, ainsi que des principes à défendre. C’est aussi un mode de vie. Un ultra, c’est avant tout un supporter qui fait partie d’un groupe qui suit son équipe là où elle va et l’encourage pendant les 90 minutes du match». C’est ainsi que Hicham, cadre supérieur et membre du noyau dur des Winners à Casablanca, et bien d’autres ultras du Wydad, se définissent en tant que Winners. Ils répètent tous qu’ils sont totalement indépendants du comité du club et qu’ils représentent de fait un lobby. La majorité des membres des Winners sont des étudiants, mais on y trouve également des fonctionnaires, des cadres et même des chefs d’entreprise. A Casablanca, ils sont organisés en cellules. «On compte autant de cellules que de quartiers à Casablanca. Ces cellules sont l’interface entre les membres des Winners et le noyau dur du groupe», insiste Soufiane, un ultra de Hay Hassani. Un responsable est élu par les membres des cellules. Quant au noyau dur, il est formé par les membres des Winners les plus respectés et les plus présents dans le virage (voir encadré). Dans le reste du pays, les Winners comptent sur leurs sections, une bonne dizaine, en plus d’une section Old Continent pour l’Europe. Pour prétendre constituer une section, il faut 15 adhérents et être présent au minimum huit matchs sur les 30 rencontres de la Botola. En tout et pour tout, les Winners sont 1 800 adhérents dans tout le Maroc. Ils reçoivent tous des Wins Cards qui leur permettent de se procurer en exclusivité les produits dérivés Winners ou encore d’avoir accès à un double DVD offert gratuitement par le groupe à ses abonnés. Financièrement, les Winners se basent totalement sur les adhésions, soit 120 DH par an, ainsi que sur la vente des produits dérivés (écharpes, pulls, casquettes, bombers…). «On n’accepte jamais de dons. C’est ce qui fait notre force. Personne ne peut exercer de pression sur nous», insiste Hicham. D’ailleurs, être ultra suppose appliquer des règles non écrites que Sébastien Louis, un spécialiste des mouvements ultras de par le monde, résume en six points : l’autofinancement (par la vente de gadgets et les adhésions), l’indépendance (vis-à-vis du club notamment), la solidarité entre membres du groupe, la présence à domicile comme à l’extérieur, la loyauté en cas de conflits avec d’autres supporters (pas d’utilisation d’armes ni d’attaque contre des non-ultras) et enfin le respect envers les ultras ayant de l’ancienneté. Chez les Winners, il semble que ces points soient respectés. «Il y a un aspect humain prépondérant chez les Winners. Il y a du social dans le groupe dans le cas où quelqu’un tombe malade, a un problème d’argent ou si un ultra est arrêté… Ces aspects ne sont pas financés par la caisse du groupe», note Hicham.

«Si le Wydad est la nation, nous sommes son armée»

A quelques jours du match tant attendu contre l’Espérance de Tunis, les mordus des rouge et blanc s’activent. Les membres de toutes les cellules de Casablanca sont au four et au moulin. Objectif : impressionner les millions de téléspectateurs du Maroc et d’ailleurs, par la qualité du spectacle promis par les Winners. Tout laisse à croire qu’ils vont sortir le grand jeu et confectionner un tifo qui va faire le tour du stade. Mais, le secret est total sur la nature du tifo ainsi que sur le message qui va être déployé. Pour arriver à faire ce tifo, il faut commencer par l’achat du matériel (plastique, peinture, rouleaux...). La deuxième étape, c’est le découpage du plastique. A J -2, des membres du groupe procèdent au traçage du tifo à l’intérieur du stade. Ultime étape, le posage du tifo qui se fait en général le jour même du match. Il faut placer les voiles, tester si le placement est correct, puis finalement installer le message du tifo. «C’est un travail laborieux qui est réalisé par les membres des Winners. Les tâches sont dispatchées sur toutes les cellules de Casablanca. Parfois, pour des tifos de tonnerre, ce travail prend des semaines. Et ce pour un plaisir qui ne dure pas plus de deux minutes, le temps d’exhiber le tifo avant le coup d’envoi de la rencontre. Le tifo, c’est la fierté des ultras, mais aussi de tous les supporters du Wydad», explique Hicham. Sur le terrain, ce sont les Winners qui dirigent le bal. «Les Winners, c’est le premier joueur du Wydad et la locomotive des autres spectateurs. C’est grâce aux Winners que le Wydad est revenu à la marque contre les Egyptiens Al Ahly et l’EST à Casablanca. Si le Wydad est la nation, nous sommes son armée», affirme, avec fierté, Abdelhamid. Au stade, les Winners forment un bloc compact et ses membres restent debout durant tout le match. Ils chantent et applaudissent leurs équipes. Le groupe est dirigé par le «capo» (chef en italien). C’est lui qui donne le rythme. «Le capo, c’est notre chef d’orchestre. Le nôtre se tient debout, plus haut que tous les spectateurs, sur une sorte de citadelle. C’est lui qui dirige les chants. Etre capo, c’est un métier dangereux, surtout vis-à-vis des équipes adverses. Car les chants ont parfois comme objectif d’humilier les ultras adverses. Mais tout cela, on le fait pour l’amour de l’équipe», explique un ami du capo wydadi. Avant d’ajouter : «Nous avons été les premiers au Maroc à faire un tifo qui a couvert tout le virage, puis un autre qui a couvert la totalité du complexe Mohammed V et enfin à lever deux tifos durant le même match. Nous sommes tout simplement inégalables».
Etre ultra, c’est également flirter avec le délit. Il y a tout d’abord cette pratique, pourtant interdite par la loi, à savoir le craquage des fumigènes et des torches lors des matches. Des «fumis» que les fans du Wydad et d’autres équipes parviennent à faire entrer au terrain malgré le contrôle policier. Puis, il y a ces fameux cortèges (voir encadré) qui peuvent dégénérer à tout moment en bagarres. Si, sur le forum des ultras du Wydad comme dans la page Facebook des Winners, on retrouve toutes sortes d’annonces comme des offres de voyages organisés pour les matches du WAC, des dates de réunion d’adhésion au profit des cellules, on peut également tomber sur des messages très particuliers concernant les cortèges. «Quand on débarque dans une ville adverse, on l’annonce dans le site. C’est pour que la provocation soit au maximum. On annonce l’heure et le lieu de notre arrivée afin que l’adversaire sache qu’on sera là», explique Hicham. Durant cette marche des ultras, il faut tout faire pour protéger le cortège et surtout la bâche du groupe, synonyme de l’honneur des Winners. «Il faut bien entendu se préparer au pire», avoue Soufiane.
A ce jour, aucune équipe adverse n’a pu organiser un cortège à Casablanca. «Il s’agit de la dignité de la ville qu’il faut défendre. C’est une mentalité urbaine valable chez les ultras du monde entier. Le mouvement ultra a dépassé tous les autres mouvements urbains tel que le hip hop ou encore le tectonique», conclut Hicham. Difficile à contredire au vu des dizaines de milliers d’aficionados du WAC comme du Raja qui prennent d’assaut le terrain chaque semaine…

Genèse : L’origine du mouvement des ultras

L’attitude ultra a-t-elle vu le jour en Hongrie, en Yougoslavie ou en Italie comme le clame le site Wikipedia ? Difficile de trancher. Il y a d’abord ceux qui clament que le mouvement est né en 1929 en terres hongroises. Cette année-là, Les Fradi-Szív de Ferencvaros ont été fondés. De quelques dizaines, les membres de ce groupe de supporters sont passés à 5 000 en un mois. Ils avaient droit à une carte, à une place dans un endroit spécifique du terrain ainsi qu’un badge. Ensuite, il y a ceux qui attribuent la paternité du mouvement ultra aux supporters de l’équipe alors yougoslave de l’Hajduk Split. En octobre 1950, ce groupe de supporters, qui s’est pris pour nom Torcida, avait une manière particulière de supporter son équipe, et ce, lors d’un match mémorable qui a opposé leur équipe à l’Étoile Rouge de Belgrade. A la fin du match, les Torcida ont envahi le terrain et ont porté le buteur de la partie sur les épaules jusqu’au centre-ville de Split. Puis, il y a enfin la version de Sébastien Louis. L’auteur du livre «Le phénomène ultras en Italie» clame que c’est en Italie que le premier groupement ultra a vu le jour à la fin des années 60. Les ultras italiens se sont organisés en associations et soutenaient leurs équipes via les slogans et les tifos, les animations visuelles. Au Maroc, si les premières animations ont fait leur apparition sur les gradins de Casablanca, lors de la saison 2001/2002, c’est en 2005 que les ultras marocains se sont organisés en associations avec les ultras Askary (FAR), les Winners ou encore les Greens Boys du Raja?

Lexique : Etre ultra, les mots pour le dire…

- Bâchage : De bâche, c’est la signature officielle du groupe tifo. Un dessin, une fresque, le tifo a pour objectif de rendre hommage à une personnalité sportive ou au groupe lui-même. Par le passé les Winners ont rendu hommage à travers leurs tifos à la triplette magique (Chtouki, Abdeslam, Driss) et à feu Youssef Belkhouja. Les tifos sont de trois types, voile, intégral ou chorégraphie.
- Virage : L’emplacement du groupe ultra. Pour le Wydad, c’est le virage nord communément appelé Curva Nord ou Frimija au Complexe Mohammed V. C’est l’union du virage qui fait la force du groupe ultra et des supporters.
- Cortège : Un défilé de supporters. Le cortège se passe toujours dans les villes ennemies. Il est basé sur de la provocation et vise l’humiliation des ultras de l’équipe adverse.
- Villes ennemies : Là où se trouvent des supporters ennemis. Pour le Wydad, ce sont les villes de Rabat, Kénitra, Fès, Marrakech…
- Message clash : C’est un message destiné à l’équipe et aux équipes adverses qui vise avant tout la provocation.
- Message normal : C’est un message dirigé à sa propre équipe afin de réclamer un joueur, féliciter l’équipe ou au contraire mettre le doigt sur un problème de l’équipe ou du comité de l’équipe.
- Fight : Deux groupes se prennent rendez-vous pour une bagarre collective. Ils décident d’avance d’un nombre exact de «fighters». Quand l’adversaire est par terre, la bagarre est interrompue. Le «fight» en tant que mentalité ultra n’existe pas au Maroc. On assiste plutôt à des bagarres classiques où l’usage des armes blanches, interdites dans les fight ulltra, est largement d’usage.

Hicham Houdaïfa. La Vie éco
www.lavieeco.com

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