09 août, 2011

"Il faut se désintoxiquer des agences de notation"

Propos recueillis par Emilie Lévêque

Les Etats sont responsables du rôle prépondérant, donc déstabilisateur, des agences de notation dans la finance mondiale, explique Gunther Capelle-Blancard, directeur-adjoint du CEPII. Selon lui, s'il n'est pas possible de s'en passer, il est nécessaire de réduire notre dépendance vis-à-vis d'elles.

L'agence de notation financière Standard & Poor's a abaissé d'un cran vendredi 5 août la note souveraine des Etats-Unis, de "AAA" à "AA+".
Reuters
Comment la décision de Standard & Poor's de dégrader la note souveraine des Etats-Unis peut-elle créer une telle panique boursière? Les agences de notation sont-elles les nouveaux maîtres du monde?

Non, loin de là, mais elles soufflent en effet le chaud et le froid sur les marchés, car elles donnent aux investisseurs ce qu'ils attendent: des informations lisibles et faciles à interpréter - en l'occurrence une note. Dans les périodes de grande incertitude macroéconomique, comme nous en traversons actuellement - la reprise est-elle solide ou l'économie mondiale va-t-elle replonger en récession -, les marchés se focalisent sur le peu d'informations qu'ils ont en main, fournies pas les agences de notation. Ce n'est toutefois pas lé décision de S&P qui a provoqué la déprime des Bourses: celles-ci chutaient depuis deux semaines déjà sur fond de crise politique aux Etats-Unis et de crise de la dette en zone euro.

La perte du triple A américain a quand même créé un regain de tension, faisant craindre un nouveau krach boursier...
"Les agences de notation ne sont pas crédibles"

Oui, c'est justement ce que l'on reproche aux agences de notations: d'être pro-cycliques, d'ajouter aux difficultés, de semer la panique plutôt que d'alerter en amont sur les difficultés d'un pays. Depuis 15 ans, les agences n'ont vu venir aucune crise: elles n'ont pas vu venir la faillite des Etats sud-américains dans les années 80, ni la crise des subprimes en 2008; elles n'ont pas non plus alerté avant 2009 sur l'état des finances publiques grecques. Elles ne sont donc pas crédibles.

Si leurs décisions sont si peu crédibles, pourquoi ont-elles tant d'influence sur la finance mondiale?

Ce sont les régulateurs et les législateurs qui ont donné du pouvoir aux agences. Lorsque que les trois grandes agences ont été créées, au début du siècle dernier [Moody's en 1909, Fitch en 1913 et Standard & Poor's en 1941, ndlr], c'étaient de simple agences d'informations financières. Puis elles ont commencé à attribuer des notes. Avec succès. Mais c'est dans les années 1970 que leur rôle s'est affirmé, quand la réglementation financière s'est emparée d'elles, en faisant des notes distribuées par les agences des références. Par exemple, la législation américaine exige que certains investisseurs institutionnels, comme les sociétés d'assurance, n'achètent que des titres bien notés par des agences de notation agréées, dont font bien sûr partie S&P, Fitch et Moody's. L'apogée de ce statut d'oracle, c'est Bâle II. Depuis 2004, la réglementation bancaire internationale contraint les banques à détenir un ratio de fonds propres proportionnel au nombre de titres qu'elles détiennent considérés comme risqués par les agences de notation. Ces règles prudentielles ont de facto confié aux agences de notation un statut d'évaluateur tout puissant.

On leur reproche aussi d'être plus conciliantes envers les pays anglo-saxons qu'envers les pays européens. Sont-elles vraiment indépendantes? Qui les rémunère?
"La France ne paie pas pour son triple A"

Ces accusations sont ridicules, comme le prouve la dégradation de la note américaine par S&P. Ces agences sont des multinationales, elles sont apatrides. Historiquement, les agences étaient rémunérées par les investisseurs. Mais le système était bancal, puisque ces investisseurs pouvaient eux-mêmes revendre ces informations. Un autre modèle inédit a donc été imaginé: ce sont les emprunteurs - entreprises, collectivités locales, banques, etc. - qui paient les agences pour qu'elles les notent. Il existe cependant des conflits d'intérêt. Ils se manifestent dans le cas des produits structurés quand les agences notent des titres qu'elles ont elles-mêmes contribué à façonner - ce fut notamment le cas des titres adossés aux fameux prêts subprimes. Concernant les émetteurs souverains, les Etats, la notation est surtout une vitrine médiatique pour les agences. En clair: la France ne paie pas pour son triple A.

Depuis la crise financière de 2008, sont-elles mieux contrôlées?

Oui, une série de règles ont été édictées des deux côtés de l'Atlantique. Elles sont notamment contraintes à plus de transparence sur leurs critères de notation et les conflits d'intérêts sont mieux encadrés.

Peut-on s'en passer?

Non, c'est impensable puisque les notes qu'elles distribuent sont indispensables au financement de l'économie. Un investisseur ne peut pas prêter les yeux fermés à un emprunteur, il a besoin d'une base pour évaluer sa solvabilité et le coût auquel il va prêter. C'est ce service que rendent les agences de notation. Et si ce ne sont plus elles, ces informations réapparaîtraient de toute façon sous une autre forme. En revanche, il faut absolument se désintoxiquer des agences de notation, réduire notre dépendance vis-à-vis d'elles.

Comment?

On ne peut pas interdire à une agence de distribuer des notes, contrairement à ce que propose l'Europe [Bruxelles envisage d'interdire la notation d'un Etats qui bénéficie d'un programme d'aide financière, comme la Grèce, ndlr]. La seule chose que l'on puisse faire pour en atténuer l'influence, c'est des les déréférencer des textes qui régulent la finance internationale, afin d'en faire une source d'information parmi d'autres sur la situation d'un émetteur.

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