15 août, 2011

BURKINA FASO Innovation agricole : Succès d’un tandem entre paysans et chercheurs

Autrefois, on venait leur demander d’adopter une nouvelle technologie sans qu’ils ne sachent trop pourquoi. Aujourd’hui, des producteurs du Burkina Faso participent à l’identification et à l’expérimentation des meilleures pratiques agricoles adaptées à leur besoin.

Nadion, village situé à 175 kilomètres de Ouagadougou dans la province de la Sissili au Burkina Faso. Le soleil poursuit inexorablement sa course vers l’ouest. Il fait une chaleur de plomb. Pendant ce temps, la famille Nignan effectue une course- contre- la- montre. Il ne reste plus que trois jours pour amorcer le mois d’août alors qu’elle n’a pas encore fini de mettre en terre ses semences de maïs. La faute à cette foutue poche de sécheresse ayant entraîné le démarrage tardif de la campagne agricole. Auparavant, les semis de maïs se faisaient en juin. Malgré ce retard, le chef de famille Abdoul Aziz Nignan, ne se fait pas trop de soucis. La variété de semence de maïs qu’il a adoptée, « wari », est une extra précoce de 70 jours, à haut rendement. Il a fait son choix variétal grâce aux différents tests qu’il effectue dans son champ depuis quatre ans.

Ces tests consistent à faire reprendre par le producteur, les essais scientifiques ayant conduit les chercheurs à approuver une technologie. L’objectif est de lui permettre de déterminer par lui-même, les meilleures pratiques agricoles qui lui conviennent et de les appliquer systématiquement. « Voyez cette parcelle de maïs, là-bas. Elle sert à faire des tests de fertilisation de sol. Sur la première portion, j’ai mis deux charretées de terre de bas-fonds (argile) et un sac d’engrais comme fertilisant. Sur la deuxième, j’ai fait un mélange d’engrais, de phosphate Burkina et de compost. La troisième a été nourrie avec 2 charretées de fumure organique et un sac d’engrais. Enfin, sur la dernière portion, j’ai mis uniquement de l’engrais », explique Abdoul Aziz Nignan.

A l’image de M. Nignan, bien d’autres paysans se prêtent à cet exercice dans la province de la Sissili, sous la houlette d’une organisation professionnelle très active dans la région, la Fédération Nian Zwè (qui signifie en langue locale Nuni, « la faim est finie »). Pour la campagne agricole en cours, 500 tests de démonstration y sont conduits. Il s’agit de tests de fertilisation, de variété de maïs et de sésame. « Les innovations techniques inconnues des paysans, les poussent à la méfiance. Et ils attendent très souvent que les autres les appliquent avant de s’y engager. Les testeurs constituent de ce fait, des relais de transfert de technologies », souligne Mahamadou Korogho, producteur et conseiller agricole de la Fédération Nian Zwè.

La mise en place des différents tests de démonstration est le fruit d’une collaboration fructueuse entre la Fédération Nian zwè et l’Institut national de l’environnement et de la recherche agricole (INERA). Cette collaboration est une suite logique de l’approche de Développement participatif des Technologies (DPT) ou Recherche participative adoptée par les chercheurs autour des années 1999-2000. Il s’agit d’impliquer les bénéficiaires dans le processus de recherche, depuis la mise au point des technologies jusqu’à leur adoption.

Selon le directeur de la Vulgarisation agricole et de la recherche- développement du Burkina (DVRD), Bouma Thio, ces tests de démonstration en milieu paysan connaissent de plus en plus du succès dans le système de vulgarisation agricole au Burkina Faso. Ils permettent ainsi d’éviter que les agents de vulgarisation encouragent les agriculteurs à adopter des techniques qui ne conviennent pas à leur type d’agriculture ou à leurs besoins immédiats. « Nous avons, avec l’appui des chercheurs, testé dans nos champs plusieurs variétés de maïs. En fin de compte, nous avons identifié dix variétés comme les plus performantes et les mieux adaptées aux conditions climatiques de notre région », témoigne Mahamadou Korogho.

Les organisations paysannes se responsabilisent

Pour le directeur de l’INERA de Farakoba, Dr Bruno Sanou, cela permet au chercheur de ne pas être en déphasage avec les préoccupations réelles des paysans. « Dans l’ancienne méthode, beaucoup de résultats de nos recherches restaient dans nos tiroirs. Mais depuis que nous sommes sortis des laboratoires pour être en contact direct avec les producteurs, toutes les techniques que nous avons mises au point ont été adoptées », a-t-il signifié.

Le président de la Fédération Nian Zwè, Moussa Dagano, reconnaît que ce tandem entre la recherche et les producteurs a permis d’accroître la productivité des céréales comme le maïs, le sésame et le niébé dans sa région. Par exemple, les variétés hybrides (maïs castré) expérimentées atteignent jusqu’ à 7 à 8 tonnes à l’hectare, faisant du maïs une culture de rente dans la Sissili. « Ces résultats sont exactement ceux que nous avons obtenus au laboratoire », confirme Bruno Sanou avec satisfaction.

Avec l’émergence d’organisations paysannes mieux structurées, cette approche participative a connu une évolution qualitative. Tout comme la Fédération Nian zwé, les organisations professionnelles et les Chambres régionales d’agriculture ont pris leur responsabilité dans la vulgarisation agricole. Dans plusieurs localités, elles ont ravi la vedette aux services publics de vulgarisation. Elles sont même devenues des demandeurs d’appui-conseil. On parle, de plus en plus, de contractualisation et d’appui - conseil guidé par la demande. A Fada N’Gourma dans la région de l’Est burkinabè, l’Union régionale des organisations professionnelles des jeunes de l’Est (UROPAJE) mène également la même expérience avec la station de recherche de Kamboinsè. Elle a fait appel aux chercheurs pour aider ses membres à trouver des traitements phytosanitaires efficients pour le niébé. Selon son président, Jules Zongo, cette expérience s’est avérée très enrichissante pour les deux parties, notamment dans le cadre du traitement phytosanitaire et de la gestion post-récolte du niébé. « La recherche a proposé l’utilisation des feuilles de neem. A travers des tests, nous les avons comparés avec nos connaissances endogènes. A l’issue de l’expérience, nos connaissances locales qui consistaient à l’utilisation de feuilles de balanites et d’urines de bœuf pour traiter les plantes se sont avérées plus efficaces, même si elles méritent d’être mieux étudiées. La balle est alors dans le camp des chercheurs qui doivent revenir avec des propositions plus optimales à partir des savoirs locaux », explique Jules Zongo.

En plus de la valorisation des connaissances endogènes, cette démarche de co-recherche résout les difficultés de communication constatées de par le passé. « Dans l’ancienne approche, l’analphabétisme constituait un gros frein à la vulgarisation agricole car, les rapports publiés par les chercheurs sont inaccessibles à un grand nombre de paysans. La démarche participative brise cet obstacle dans la mesure où les paysans ont l’occasion d’échanger directement avec les chercheurs en langues locales », témoigne le docteur Bruno Sanou.

Le déficit de financement limite les actions

L’appui-conseil à la demande est également une opportunité de financement de la recherche. L’Etude comparative des méthodes de vulgarisation à grande échelle au Burkina Faso, réalisée en 2009 par l’UA/SAFGRAD (Recherche et développement Agricoles dans les zones semi-arides d’Afrique) révèle que l’INERA a établi sept (7) contrats de partenariat avec des organisations de producteurs entre 1999 et 2002 pour une enveloppe totale d’environ 30 millions de F CFA. Au regard du succès de cette approche sur le terrain, le Système national de vulgarisation et d’appui-conseil agricole (SNVACA) en cours depuis 2009 en a fait l’un de ses principes directeurs.

Même si les résultats enregistrés sont très encourageants, le déficit de financement limite les actions des organisations paysannes. Selon Jules Zongo, l’appui - conseil à la demande nécessite beaucoup de ressources financières. Sans l’accompagnement des structures de financement, elle est vouée à l’échec. « Nous avons beaucoup de projets mais les financements sont rares. Pour l’instant, seule l’ONG DANIDA a accepté de nous accompagner », a-t-il précisé. Une réussite totale de cette approche nécessite selon le chargé de communication de la Confédération paysanne du Faso (CPF), Omar Ouédraogo, un renforcement de la capacité financière des organisations paysannes.

L’appui-conseil à la demande pose également la question de l’accès équitable de toutes les catégories de producteurs aux technologies. Pour la CPF, tel que conçu, elle convient mieux aux agro-businessmen qu’aux petites exploitations familiales qui ne sont pas affiliées à une organisation paysanne. D’ou la nécessité, selon Jules Zongo, de concilier la nouvelle approche avec l’approche classique de vulgarisation. « L’essentiel, c’est de maintenir une liaison étroite entre la recherche et la production. Car nous savons maintenant que lorsque chercheurs et paysans se donnent la main, la faim tremble », conclut-il.

Fatouma Sophie Ouattara (Sofifa2@yahoo.fr)

Sidwaya

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