29 août, 2011

Asile politique pour Kadhafi : Quand la fibre « humanitaire » de certains concitoyens trouve de curieuses occasions de se réveiller en sursaut

A la question de savoir si le Burkina Faso pourrait accorder l’asile politique à Kadhafi, le ministre des Affaires étrangères, Djibril Bassolé, a donné à un journaliste une réponse feutrée de diplomate. Il n’a pas exclu l’hypothèse si la communauté internationale venait à l’envisager. Mais il n’a pas non plus formulé de proposition ferme à ce sujet. En chef de la diplomatie, il a tout simplement laissé la porte ouverte à l’éventualité tout en qualifiant le colonel déchu de « colis explosif ». Ce qui donne plutôt à penser qu’on en n’est pas là.

Or, s’en emparant avec joie comme d’un trophée, Bark Biiga, auteur d’un article publié dans Fasozine sous le titre « Asile à Kadhafi : la leçon humanitaire du ‘‘petit’’ Burkina » (Cf. lefaso.net), n’hésite pas à affirmer : Kadhafi, « malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, ne mérite pas pour autant la manière dont l’Occident a imposé une rébellion à son pays ». Et de poursuivre dithyrambique : « C’est une belle leçon humanitaire que donne la diplomatie burkinabé à la face d’un monde où l’odeur du pétrole libyen a pris le pas sur le reste ».

Les affirmations que Kadhafi « ne mérite pas » la rébellion ou que le Burkina Faso donne « une belle leçon humanitaire » en se disant prêt à l’accueillir sont pour le moins surprenantes. Mais plus surprenantes encore sont les réactions de nombreux lecteurs sur lefaso.net. Reprenant à leur compte le qualificatif que la propagande kadhafiste attribuait au dictateur déchu, certains chantent les louanges de celui qu’ils continuent d’appeler « le Guide » et trouvent, dans l’éventualité d’un asile politique au Burkina Faso, l’occasion de montrer au monde que « le pays des hommes intègres » sait défendre des causes humanitaires.

En lisant ces écrits, j’ai eu la désagréable impression que, décidément, la fibre humanitaire de certains de nos compatriotes trouve de curieuses circonstances pour se réveiller en sursaut. Comment comprendre qu’à l’heure où 12 millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont menacés par la famine dans la Corne de l’Afrique, leur sujet humanitaire de prédilection soit le cas de Mouammar Kadhafi ? Ces concitoyens oublient-ils donc les 270 victimes innocentes de l’attentat de Lockerbie en décembre 1988 ?

Et comment comprendre que ces mêmes citoyens qui, avec raison, ne jurent d’ordinaire que par la démocratie se mettent, contre toute attente, à défendre un dictateur qui a régné sans partage pendant 42 ans, un dictateur dont le peuple libyen ne voulait plus, un dictateur qui s’évertuait à cacher sa féodalité sans mesure sous le boisseau d’une fausse authenticité bédouine et rêvait secrètement de voir l’Afrique entière à ses pieds ? Il est faux d’affirmer que « l’Occident a imposé une rébellion » à la Libye. La rébellion libyenne a une filiation directe avec la tempête révolutionnaire qui souffle sur les pays arabes. D’ailleurs, les pays occidentaux se mordent encore les doigts de n’avoir pas su l’anticiper.

Certes, l’Occident a donné un sérieux coup de pouce aux rebelles pour venir à bout du régime de Kadhafi. Et il ne l’a pas fait pour rien. L’exploitation des ressources pétrolières du pays nécessite, comme toujours, la stabilité du pouvoir politique. Or, désormais, il n’est plus possible de miser sur des pouvoirs dictatoriaux pour asseoir la stabilité ! Raison pour laquelle l’exigence de démocratie chère aux rebelles libyens a fini par rejoindre l’exigence de stabilité chère aux pétroliers. De sorte qu’il était inévitable que Kadhafi devienne le grand perdant.

Cependant, le dictateur aurait pu mieux sauver sa peau et celle des siens s’il avait eu une bonne lecture des événements et de l’histoire pour se retirer avant qu’on en soit là. Mais le pouvoir est semblable à la passion amoureuse dont François de la Rochefoucauld disait qu’elle « ferme les yeux aux hommes ». Entouré d’une cour prompte à chanter ses louanges, Kadhafi a eu tort de croire ou de se laisser convaincre jusqu’au bout qu’il était encore l’homme de la situation. D’ailleurs, ses déclarations intempestives de ces derniers jours apportent bien d’ultimes preuves qu’il était un illuminé, un de ces hommes de pouvoir qui se croient investis d’une mission quasi-divine. Alors, faut-il pleurer la chute de Kadhafi au point de réveiller sa fibre ‘‘humanitaire’’ pour lui ?

Ma réponse est sans équivoque : « Non ! ». Réjouissons-nous plutôt de voir le peuple libyen tourner la page de 42 ans de mensonge et de pouvoir sans partage. Réjouissons-nous de la reconnaissance du Conseil National de Transition (CNT) par le gouvernement burkinabé. Réjouissons-nous de la réponse diplomatique feutrée du ministre des Affaires étrangères qui laisse entendre à demi-mots que, Kadhafi parti, la vie politique poursuit son cours tout comme les relations entre la Libye et le Burkina Faso.

Et, de grâce, laissons de côté la ritournelle habituelle des complaintes contre l’Occident et son œil rivé sur le pétrole libyen. Car chaque pays défend ses intérêts en Libye. Le Burkina Faso aussi ! Ne serait-ce que parce que nous avons des compatriotes qui y résident et travaillent ! Et si nous voulons que les relations amicales entre la Libye et le Burkina Faso se poursuivent sur de bonnes bases, apprenons dès à présent à travailler avec les représentants légitimes du peuple libyen, sans faire preuve d’un humanitarisme déplacé vis-à-vis d’un dictateur déchu.

Denis Dambré

Pour Lefaso.net

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