15 juillet, 2011

Crise alimentaire en Afrique de l'Est: la main de l'homme, pas la fatalité

NAIROBI (© 2011 AFP) - La crise alimentaire en Afrique de l'Est a été déclenchée par une sécheresse exceptionnelle, mais son ampleur s'explique avant tout par des facteurs humains, que ce soit la guerre ou le sous-développement, soulignent plusieurs experts interrogés par l'AFP.
Crise alimentaire en Afrique de l'Est: la main de l'homme, pas la fatalité

© AFP Abdurashid Abikar. Des réfugiés somaliens attendent une distribution de nourriture, le 13 juillet 2011 à Mogadiscio

QUESTION: Quelle est l'origine de la crise humanitaire ?

REPONSE: L'élément déclencheur est une sécheresse provoquée par deux saisons consécutives sans pluie. Le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés évoque "la pire sécheresse en 60 ans" dans la région.

Il est difficile d'établir scientifiquement un lien avec le changement climatique, relève Alun McDonald, porte-parole d'Oxfam pour l'Afrique de l'Est. Ce qui est indéniable, c'est que les sécheresses surviennent de plus en plus fréquemment, et durent de plus en plus longtemps.

Q: Pourquoi ces crises humanitaires à répétition ?

R: "Les sécheresses sont cycliques et inévitables, ce qui ne l'est pas, c'est que cela débouche chaque fois sur une crise humanitaire", selon Alexander Matheou, représentant régional de la Fédération des sociétés de la Croix rouge en Afrique de l'Est.

En Somalie, la guerre civile depuis 1991 a destabilisé la société. 2,85 millions de Somaliens ont besoin d'une aide humanitaire, mais ils étaient déjà 2,4 millions en janvier.

Le nord du Kenya et le sud-est de l'Ethiopie, peuplées de nomades, ont été négligés pendant des décennies par leurs gouvernements. Dans le nord du Kenya en particulier, la quasi-absence de routes goudronnées, de centres de soins, de réseau électrique amplifie les effets de la sécheresse.

Q: Quelle est la gravité de la crise actuelle ?

R: Dix millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire. En Somalie, le niveau de malnutrition sévère des enfants est désormais le plus élevé au monde. Dans le nord du Turkana (extrême nord du Kenya), le taux général de malnutrition est monté à 37% contre 15% l'an dernier.

"Par rapport à 2008 ou 2009, la crise touche un nombre plus réduit de personnes, mais en terme d'acuité, c'est sans doute la pire depuis les années 9O", selon M. McDonald.

Il ne s'agit toutefois pas d'une famine comme dans les années 80 en Ethiopie.

Q: L'aide internationale fonctionne-t-elle ?

R: Elle est trop tardive. "L'aide d'urgence au stade ultime n'est certainement pas la meilleure façon d'agir. Elle devient nécessaire parce que d'autres mesures n'ont pas été prises avant", souligne M. Matheou.

"Nous devons acheminer l'eau de la ville vers les villages, cela peut prendre une journée, c'est beaucoup plus coûteux que si on avait construit en temps voulu un système d'approvisionnement en eau", relève M. Mc Donald.

Les appels de fonds des Nations Unies depuis fin 2010 ont été médiocrement suivis, quand des mesures préventives pouvaient encore être prises. En avril, seulement un quart des 529 millions de dollars d'aide demandée avait été reçu.

Q: Le pire est-il à venir ?

R: "Malheureusement oui. Nous nous attendons à un pic en août-septembre", prévient M. McDonald, en espérant que la prochaine saison des pluies en octobre sera cette fois au rendez-vous.

Q: Que faire sur le long terme ?

R: Tenter de ramener un peu de paix en Somalie. Développer les infrastructures dans les régions déshéritées du Kenya et de l'Ethiopie. Donner aux nomades davantage d'accès aux terres de pâturage et aux points d'eau, et aider ceux qui souhaitent se sédentariser en leur fournissant un minimum de semences, d'outils et de savoir-faire.

Faire naître des revenus de substitution, insiste Shep Owen, responsable de l'organisation Food for the Hungry au Kenya. Son organisation encourage la plantation d'acacia sénégal, un arbre résistant à la sécheresse dont la sève donne la gomme arabique, un émulsifiant pour l'industrie agro-alimentaire.

"Laisser les enfants à l'école", ajoute M. Matheou. La sécheresse incite les parents à déscolariser leurs enfants pour les envoyer loin chercher de l'eau, au risque d'en faire les victimes désignées, car sans éducation ni formation, des sécheresses à venir.

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