04 juin, 2011

Un empire en quête de son unité

GÉOPOLITIQUELe souvenir du sommet de Vienne entre Kennedy et Krouchtchev, en 1961, rappelle la Guerre froide, mais quelles ambitions nourrit aujourd’hui la Russie?

Le président russe Dmitry Medvedev accueille le président mongol Tsakhiagiin Elbegdorj. C’était au Kremlin le 31 mai dernier. La Mongolie fait partie des Etats «observateurs» au sein de la CEI. KEYSTONE

Voici cinquante ans, sur fond de crise de Berlin, se tenait la conférence de Vienne entre le président américain John Kennedy et le Premier secrétaire soviétique Nikita Krouchtchev (lire ci-dessous). C’était le temps de la Guerre froide et des relations Est-Ouest ponctuées de phases de «tension » et de «détente».

Gainée dans son idéologie, l’URSS poussait ses pions jusqu’à son déclin de 1991. Si l’idéologie a fait long feu, qu’en est-il de l’impérialisme russe aujourd’hui? Eléments de réponses avec Philippe Migault, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris.

Ancien journaliste spécialisé dans les questions de défense, il a fait de son domaine d’expertise la politique, l’économie et la défense des Etats de la Communauté des Etats Indépendants (CEI), entité intergouvernementale composée notamment de 11 des 15 anciennes républiques soviétiques.

Aujourd’hui comment percevez- vous le nouvel impérialisme russe?
A mes yeux, il n’existe pas de nouvel impérialisme car lesRusses ont développé une vision du monde bien différente de la nôtre puisque leur empire s’est développé vers la Sibérie et l’Extrême- Orient, sur des territoires vides ou quasi-vides. En dehors de l’Asie centrale, ils n’ont pas eu à réaliser de conquêtes au détriment d’autres peuples comme les Américains contre les Indiens ou les Européens contre les peuples d’Afrique ou d’Asie. Leur vision de l’empire est purement défensive, il s’agit de garantir la sécurité des frontières.

Cette approche est-elle de nature à fausser la perspective des Occidentaux?
Tout dépend de la vision de l’Europe que vous cultivez. Soit vous la considérez comme un grand marché commercial et vous déployez une vision anglosaxonne, nourrie exclusivement de démocratie et de libéralisme. Les Européens qui pensent ainsi sont les plus atlantistes. Soit vous êtes porté par une vision qui fait de l’Europe un ensemble culturel cimenté par le christianisme, la civilisation gréco- latine et judéo-chrétienne, mais aussi par la reconnaissance de la forte influence qu’y a exercé le marxisme et vous obtenez une Europe où la Russie a toute sa place. C’est là ma sensibilité. vous l’aurez compris.

Cependant, sur ses marches de l’Ouest, l’empire russe est souvent prompt à réagir non?
De quoi s’agit-il? de l’Ukraine et du Bélarus, des territoires qui sont de toute façon russes aux yeux des Russes. L’Ukraine a été rattachée à la Russie en 1654, bien avant que l’Alsace-Lorraine ne rejoigne la France. La partie orientale, à l’est du Dniepr, a toujours été russe. Là encore, il ne faut pas penser à un impérialisme, à une volonté de domination, mais à une Russie qui cherche à réaliser sa réunification, comme l’Allemagne l’a fait.

C’est aussi pour cette raison que la Russie n’a pas voulu entendre parler de l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan?
La Russie s’est opposée à l’intégration de l’Ukraine dans l’Otan tout comme la France et l’Allemagne. On sait bien qu’il peut y avoir là risque de casus belli même si la Russie n’a plus les moyens militaires de ses ambitions.

Cela signifie aussi que la guerre froide l’est définitivement?
La Guerre froide est finie depuis longtemps et il ne faut pas oublier que celui qui a rendu les armes, c’est Gorbatchev. Qui sait si, sans lui, l’URSS n’aurait pas été tentée d’aller au coup de force. La première main tendue vient de lui et il n’a pas été compris car Reagan espérait une sorte de capitulation.
Mais dès 1991, Gorbatchev a posé la question de l’entrée de la Russie dans l’Union européenne. Puis Mitterrand et Gorbatchev ont avancé un projet d’une «maison commune».Et sous Elstine, ona évoqué la possibilité d’une intégration de l’Otan à moyen terme.
A ces demandes, on a opposé des «oui mais à nos propres conditions », et elles n’étaient pas admissibles pour les Russes. C’est ce qui explique cette relation ambivalente marquée d’amour-haine qui caractérise les rapports entre la Russie et l’Europe.

Selon vous, une chance historique a été loupée?
Oui!Mais il n’est pas dit qu’elle ne se représente pas. On croyait que la fin de l’URSS allait tout résoudre. Qu’avons-nous aujourd’hui: des Etats ingouvernables, une Asie centrale devenue un dépotoir en proie à la montée des terrorismes…

Alors quels sont les nouveaux alliés de la Russie actuelle?
La Russie a tourné le dos à l’Union européenne mais elle a des alliés en Europe: la France, l’Allemagne et l’Italie. Elle développe aussi des relations suivies avec le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud.

Et la Chine dans tout ça?
C’est à dessein que je ne l’ai pas citée. La Chine et la Russie sont contraintes de s’accorder pour tenir en respect l’hyper-puissance et empêcher les Américains de prendre pied en Asie là où les deux pays sont confrontés à leurs propres tensions. La Chine et l’URSS se sont affrontés en 1969 sur les rives de l’Oussouri.
Dans ces immenses régions mais aussi dans l’Extrême- Orient russe une minorité russe contrôle des gisements de gaz, de pétrole, d’uranium et du bois, autant de ressources naturelles nécessaires à la croissance de la Chine.Et dans ces régions, nombre de territoires étaient Chinois jusqu’en 1850- 1860.Al’horizon de 25 à 50 ans, cette situation contient les germes d’un nouveau Kosovo.

Vous évoquez une volonté de contenir l’impérialisme américain mais les USA appuient leur action en Afghanistan sur des bases en Asie centrale?
Effectivement, ils sont présents au Kirghizistan et au Tadjikistan. Ils louent des bases, ce sont des entrées de devises pour ces pays mais, la zone reste toujours l’arrière-cour deMoscou.

Alors comment lire cette nouvelle géopolitique?
Malgré les tensions avec la Chine les pays du Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine) représentent un poids économique indéniable et ils parviennent à exercer une grande influence। L’Inde et la Russie se sont rapprochées aussi pour contenir la Chine et développent, notamment en matière d’armement, des programmes de coopération

lenouvelliste.ch

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