08 juin, 2011

La révolution syrienne se mue en guerre civile

En attribuant à des «gangs armés» les violents affrontements de lundi à Jisr al-Choughour et en agitant la menace islamiste, Damas tente de décrédibiliser l’opposition et de justifier une répression de plus en plus féroce.

Par JEAN-PIERRE PERRIN

Image tirée d'une vidéo du site YouTube le 30 mai 2011 montrant une manifestation à Kfar Nabil

Image tirée d'une vidéo du site YouTube le 30 mai 2011 montrant une manifestation à Kfar Nabil ,dans le nord de la Syrie. (© AFP photo AFP)

C’est un nouveau coup dur pour le régime syrien : son ambassadrice à Paris a annoncé hier soir qu’elle démissionnait pour ne pas cautionner «le cycle de violence» dans son pays, reconnaissant «la légitimité des demandes du peuple pour plus de démocratie et de liberté». C’est sur France 24 que Lamia Shakkour, visiblement émue, a choisi d’annoncer par téléphone son retrait, motivé aussi par le fait que «des manifestants ont trouvé la mort, que des familles vivent dans la douleur». «J’invite le président Bachar al-Assad à convoquer les leaders de l’opposition pour former un nouveau gouvernement», a poursuivi la diplomate, premier ambassadeur syrien à démissionner depuis le début du mouvement de contestation. A Damas, la défection a été présentée comme un faux, la télévision d’Etat affirmant que Shakkour allait porter plainte contre France 24 et que sa voix avait été imitée.

Cette démission survient alors qu’on ne sait toujours pas ce qu’il se passe à Jisr al-Choughour, près de la frontière turque, où l’armée semble avoir repris la ville et où un ratissage serait en cours. Une douzaine de transports blindés de troupes ont été vus hier, faisant route vers cette localité, et des hélicoptères ont survolé la région.

Tuerie. On ne sait pas davantage combien de soldats et de policiers ont été tués ces derniers jours, ni par qui. La télévision d’Etat syrienne, qui avait annoncé la nouvelle, a d’abord évoqué l’exécution d’une vingtaine de soldats, puis d’une trentaine… pour finir avec le chiffre sans doute exagéré de 120 tués.

Sur les événements eux-mêmes, plusieurs versions s’affrontent. Celle du pouvoir, qui affirme que des «gangs armés» ont tué les 120 policiers, dont 80 au QG de la Sécurité. La télévision syrienne a montré une vidéo, avec des images particulièrement dramatiques de policiers et de soldats tués selon elle dans la ville. Le quotidien Al-Watan, proche du pouvoir, a renchéri en faisant état d’«une opération sécuritaire et militaire de grande envergure lancée dans des villages de la région de Jisr al-Choughour, après des informations sur la présence de centaines d’hommes armés». Et l’agence officielle Sana s’est inquiétée du pillage d’une réserve d’explosifs dans la région qui a entraîné la disparition de 5 tonnes de dynamite.

La version de l’opposition ne nie pas le massacre des policiers au QG de la Sécurité. Mais l’impute aux forces spéciales et aux services secrets. La raison de la tuerie : les policiers, ainsi que des soldats, ont refusé de tirer sur la foule qui participait à une manifestation ou à des funérailles. Un communiqué sur Facebook et signé «Des habitants de Jisr al-Choughour», confirme cette version, assurant que «la mort des agents et des soldats est la conséquence de dissidences au sein de l’armée». Ils démentent également la présence d’hommes armés dans leur région.

Mensonges. Les journalistes étrangers étant interdits, il est difficile de confirmer ces informations dans une ville coupée du monde et où des dizaines de manifestants ont été tués depuis vendredi. Fuyant la répression, une quarantaine de Syriens sont entrés en Turquie ce week-end.

Habituellement, la télévision syrienne, dont la seule vocation est de défendre le régime, est célèbre pour l’énormité de ses mensonges. D’où la possibilité que la vidéo soit un faux. «On remarque que deux des cadavres de soldats portent des barbes, ce qui n’est pas autorisé par le règlement de l’armée», indique un intellectuel syrien sous couvert d’anonymat. Par ailleurs, les funérailles de plusieurs soldats dans des villages proches ont donné lieu à des manifestations, ce qui laisse supposer qu’ils ont bien été exécutés par des sbires du pouvoir.

Si des défections au sein de l’armée devaient se multiplier, même si celle-ci ne joue qu’un rôle a minima dans la répression, le régime devrait essentiellement sa survie à la 4e Division blindée - une armée parallèle dont tous les officiers sont alaouites (la minorité qui détient le pouvoir) et que commande Maher al-Assad, le frère du président - et aux huit services de sécurité que compte la Syrie. D’où la dernière carte que joue le pouvoir, celle de la menace islamiste, avec la présence, autour de Jissr al-Choughour, de groupes armés liés à Adnan al-Arour, un prédicateur syrien apôtre de la guerre sainte, réfugié en Arabie Saoudite. Hier, les Frères musulmans ont assuré que le mouvement de contestation était «pacifique», accusant le régime de chercher un prétexte pour «justifier plus de violences et de meurtres», en attribuant les exactions à des «groupes armés». Reste que la haine s’installe un peu partout dans le pays, comme le prouve une vidéo prise à Hama qui montre la pendaison atroce par, le foule d’un moukhabarat (agent de la sécurité) dénudé et dont le corps sera ensuite mis en pièces।

liberation.fr

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