07 mai, 2011

COLONEL SAYE ZERBO, ANCIEN PRESIDENT DU BURKINA : "La politique est un art hautement humain"

Le président Saye Zerbo est un miraculé sous la Révolution, sa vie n’a tenu qu’à un fil. Dans cet entretien-témoignage, il revient sur une page peu connue de l’histoire du Burkina, celle de ses relations houleuses avec le président Thomas Sankara.

Le Pays : 50 ans d’indépendance pour notre pays. Y a-t-il des souvenirs que vous souhaiteriez raconter au Peuple burkinabè ?

Colonel Saye Zerbo :
- La création de l’Armée nationale voltaïque ;
- Ma première mission en tant que Commandant de Compagnie ;
- Règlement du premier conflit frontalier Haute-Volta - Mali par voie diplomatique, en tant que ministre des Affaires étrangères ;
- Le 3 Janvier 1966 ;
- Le pourquoi du 25 Novembre 1980 par le Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN) ;
- Cause profonde des dissensions au sein du CMRPN : "L’ethnicisme" pour ne pas dire le racisme.

Vous avez joué un rôle de premier plan au Burkina en tant que président de la Haute-Volta aujourd’hui Burkina Faso. Pourquoi avez-vous quitté la scène politique depuis que vous n’êtes plus aux affaires ?

Depuis mon jeune âge (16 ans), j’ai voulu être militaire comme mon père. C’est ainsi que je suis passé par les écoles d’enfants de troupe de Kati (Soudan Français, actuel Mali) et de Saint-Louis au Sénégal. Pour ensuite fréquenter les écoles militaires supérieures en France : Cours de capitaine à Saint¬-Maixent, Ecole d’état-major et Ecole supérieure de guerre à Paris. Donc, ce sont les circonstances de la vie qui ont fait que j’ai assumé des fonctions politiques (Ministre des Affaires étrangères et chef de l’Etat).

Que retenez-vous du pouvoir politique aujourd’hui ?

Rien d’autre que lui souhaiter bon vent et pleine réussite dans la voie démocratique.

Vous avez été renversé par de jeunes officiers aidés par certains de vos collaborateurs. Quelle était la cause profonde des dissensions au sein du CMRPN qui était pourtant bien accueilli par les populations ?

La cause profonde, vous la connaissez peut-être mieux que moi-même, n’était autre que la déclaration de l’éminent homme politique et syndicaliste de Saaba, ancien maire de Ouagadougou et beau-fils des Samo - paix à son âme - et dont je tais le nom. En effet, le 25 novembre 1980, il lança subversivement ceci : "Il n’y a pas d’officiers mossi capables ? Il faut encore un Samo ?"

Quelles sont les raisons de l’échec du CMRPN ?

Si le fait d’avoir quitté le pouvoir sans effusion de sang peut être considéré comme un échec, alors que ni les moyens, ni les compétences ne faisaient défaut au CMRPN, tel constat ne peut que l’honorer aux yeux des personnes éprises de paix et de justice. Etant donné qu’en Indochine j’ai participé à la souffrance du peuple vietnamien en quête de son indépendance (1952 - 1954) en tant qu’exécutant, caporal et sergent, faut-il encore qu’en tant que responsable d’un peuple auquel j’appartiens, j’apporte une souffrance pouvant aller jusqu’à sa partition ? Non ! Tout sauf ça ! Car de jeunes officiers avaient secrètement fait allégeance à l’Empereur des Mossé en lui promettant, en échange de son soutien, une monarchie constitutionnelle avec toutes les conséquences d’une guerre civile allant jusqu’à la partition du pays. Et des preuves existent au palais impérial en ce moment.

Avez-vous eu peur un seul instant pour votre vie ?

De race et de famille guerrières, je considère cette question comme une injure.

En voulaient-ils à votre vie ?

Sans nul doute que les révolutionnaires en voulaient à ma vie. Je ne sais toujours pas pour quelle raison, mais à Dieu infiniment grand merci ! Deux exemples parmi d’autres pour attenter à ma vie. Tout d’abord le mardi 09 novembre 1982, le téléphone qui était interrompu depuis le 06 novembre fut rétabli. Il sonne, je décroche le combiné et j’entends dire : « Mon colonel, on me charge de vous dire de vous préparer et qu’on viendra vous conduire au Nouveau Camp (Maintenant : camp Général Sangoulé Lamizana). » En moins de dix minutes, je me retrouvais dans la villa numéro 3 encerclée d’armes de divers calibres, avec des chars de combat stationnés hors de l’enceinte du bâtiment. Consigne a été donnée cavalièrement : « Détruire la villa, s’il le faut, plutôt que de laisser le colonel en sortir vivant en cas de tentative de le libérer ». Dès lors, le ton était donné.

Or dans la nuit, Dieu me dit en songe : « Tu sortiras un vendredi. » Et ledit jour vendredi 27 mai 1983 : « Le Conseil de salut du peuple (CSP) est dissous. Tous les détenus politiques sont libérés. » Puis, venons aux faits du Président du Conseil national de la révolution (CNR). Au Tribunal populaire de la révolution (TPR), bien que rien de valable ne pouvait être retenu contre moi, je fus condamné à 15 ans de prison, 64.313.625 FCFA d’amende avec confiscation de tous mes biens et transféré à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) sous le numéro 96 du Vendredi 4 mai 1984 à 9h. Et une chambre noire m’a été affectée à l’étage.

Mais, par la grâce du Seigneur, et selon Sa révélation, je n’ai passé qu’une vingtaine de minutes à la MACO puis retourné au Conseil de l’entente après avoir vu "l’endroit mauvais" que le Seigneur m’avait révélé le samedi 17 décembre 1983, à 4h du matin. Une seconde fois, étant en résidence surveillée dans ma ville natale, Tougan, le mercredi 09 novembre 1983 a 21 h, un officier accompagné de deux gendarmes viennent me prendre pour Ouagadougou, via Koudougou où le président Maurice Yaméogo (Paix à son âme) embarque à côté de moi. Nous arrivons à Ouagadougou le jeudi 10 novembre à 1 h du matin au Conseil de l’entente. Après une demie-heure d’attente, nous avons été logés séparément. J’étais "locataire" du bâtiment Dahomey (Bénin). Le 10 Novembre 1984, à 8h30, un lieutenant métis accompagné d’un militaire voltaique, entrent dans ma chambre de détention. Tous deux me saluent et je réponds a leur salut. Puis l’officier métis me dit : « Mon colonel, permettez-moi de vous fouiller ». Ce qui fut fait. Puis il me dit sans ambages : « Mon colonel, on m’envoie vous tuer ».

Ma réponse : « C’est pour cela qu’il m’a fait venir donc. Faites votre travail ». Mais l’officier garda le silence ; le voyant hésitant, je lui dis : "Mon Lieutenant, n’hésitez pas ! Faites votre travail !". Puis il finit par me dire : "Je ne peux pas, parce que ce que vous avez fait à mon père, je ne peux pas l’oublier et celui qui vous tue, je le tuerai". Sur ce, ils me saluèrent et firent demi-tour pour sortir, me laissant perplexe quant à l’identité de son père et de l’officier métis lui-même. Le président Sankara est venu à Tougan pour me dire publiquement qu’il va m’envoyer à Ouagadougou pour me mettre dans le noir. Or le noir, c’est la mort. « Parce que le Colonel Saye Zerbo, il regarde la révolution, il ne dit pas s’il veut ou ne veut pas ! Moi je n’aime pas ça. Je vais l’envoyer à Ouagadougou pour le mettre dans le noir ... ». Le mardi 14 juin 1985, entre 23h et 23h 15, je reçois la révélation suivante : "D’après Radio Côte d’Ivoire, le capitaine Sankara serait mort." Après ma sortie du Conseil de l’entente, j’ai eu des précisions sur leurs identités, sur la situation de l’officier métis et son père que j’ai fait libérer de la MACO quelques jours après le 25 novembre 1980. Il s’agissait de Monsieur Nouhoun Sigué et de son fils Vincent Sigué devenu mercenaire en France, et que le président du CNR avait recruté pour ses basses besognes. Le lundi 6 janvier 1986 à 9h 30, je sors du Conseil de l’entente pour Tougan.

Un an, trois mois et vingt jours après, le 13 octobre 1987, à 16h40, je quitte Tougan escorté de deux policiers de ma résidence surveillée pour Ouagadougou, suite à une convocation par radio de tous ceux qui avaient été condamnés par les TPR. Le mercredi 14 octobre 1987 à 7h, j’étais dans le bureau du directeur de cabinet du ministre de la Justice - Blaise Compaoré. Après les salutations d’usage, le directeur de cabinet, le maire actuel de Ouagadougou, me dit en substance : "C’est jour de conseil, le ministre est à Pô, il ne sera pas là. Un message a été envoyé à Tougan pour vous dire de ne pas venir". "Je n’ai pas reçu ce message", répondis-je en prenant congé de lui. Après une visite de courtoisie au secrétaire d’Etat du ministère de la Justice (celui-là même qui avait présidé mon jugement au Tribunal populaire de la révolution (TPR), je quittais le ministère pour mon lieu d’hébergement afin de me préparer à retourner à Tougan, sans connaître la ou les raisons pour lesquelles j’avais été convoqué.

A peine ai-je quitté le ministère que l’un des policiers me dit : "Mon Colonel, le directeur général de la Sûreté a dit de le voir avant de partir à Tougan".

Sur ce, le lendemain jeudi 15 octobre à 9h, j’étais à la Direction générale de la Sûreté nationale. Celle-ci était alors près de la Cour suprême à ce moment. Après mûre réflexion, j’en suis venu à la conclusion que le président du CNR mettait en exécution sa promesse faite à Tougan de me mettre dans le noir à Ouagadougou, malgré son échec avec l’officier métis. Pendant une longue attente - quarante minutes sur un banc dans le couloir-le directeur général de la Sûreté était occupé à téléphoner partout à mon sujet. Cela n’augurait donc rien de bon. Toutefois, lorsqu’il me reçut dans son bureau, c’était des salutations pleines d’égards, comme si j’étais pour lui un revenant, mais sans rien dire de plus, l’air étonné. En effet, il devait me retenir à la Sûreté jusqu’aux environs de 20h, puis me faire conduire au lieu du supplice pour être fusillé à 20h au Conseil de l’entente.

Par compassion du capitaine Blaise à mon égard, bien que lui-même soit menacé de mort, dès que le complot fut éventé, il fit envoyer un message à Tougan pour me dire de ne pas venir. Lequel message fut probablement mis en veilleuse par le haut-commissaire de Tougan qui était de connivence avec le président du CNR. Le lieutenant Vincent Sigué auquel le Président du CNR n’avait plus totalement confiance compte tenu de sa position envers moi, fut chargé du bouclage de la ville de Ouagadougou, avec Poste de commandement (P.C) à Saaba, à l’Est de Ouagadougou, donc loin du Conseil de l’entente. Et c’est pour cette raison que dès qu’il entendit des coups de feu en ville vers 15h, il dit : "Pourtant il n’est pas encore 20h ...", selon les soldats qui étaient avec lui au bouclage de la ville.

Revenu à mon lieu d’hébergement chez mon gendre, je quittai Ouagadougou, le 15 octobre 1987 à 16h30 pour Tougan. Dès après le pont de Gounghin, je vis un véhicule antiaérien tourner sur lui-même. Nous nous arrêtâmes pour acheter du pain et nous continuâmes. Arrivés à Yako (108km au Nord-Ouest de Ouagadougou), le véhicule de mon cousin s’immobilisa devant le commissariat de police au bord de la route. Après les salutations, le commissaire de police me dit : "Mon Colonel, faites vite pour être à Tougan avant 19h parce qu’il y a couvre-feu sur toute l’étendue du territoire national à partir de 19h." A ma question : "Pourquoi ?" Il répondit : "Paraît-il que ça ne va pas à Ouagadougou".

Nous démarrâmes aussitôt tout en sachant qu’il nous serait pratiquement impossible d’atteindre Tougan avant 19h, compte tenu de l’état de la route.

En effet, il était 19h15 quand nous arrivâmes à Bagaré à une cinquantaine de kilomètres avant Tougan. Nous débarquâmes pour passer la nuit à la belle étoile. Comme mon cousin Ilo, notre chauffeur avait un poste radio à bord de son véhicule, il le mit en marche. Et voici ce que nous entendîmes sur Radio France internationale : « D’après radio Côte d’Ivoire, le capitaine Sankara serait mort. » Ceci était conforme à la révélation que j’ai reçue le mardi 14 juin 1985 entre 23h et 23h15 alors que j’étais enfermé au Conseil de l’entente. A 19h30, Radio Burkina annonce le renversement du capitaine Sankara et l’instauration du couvre-feu. Ces nouvelles m’ont bouleversé toute la nuit. Par quelle fatalité le capitaine Thomas Sankara en était-il arrivé là ? D’autant plus que mes conseils pour lui éviter la dérive ont été vains. Mieux, il les avait pris en aversion. Le lendemain 16 octobre à 5h du matin, nous quittâmes Bagaré pour Tougan où nous arrivâmes à 5h 45. Ainsi s’accomplirent également les révélations du mercredi 28 novembre 1984 et du jeudi 24 janvier 1985 relatives à ma délivrance. Et comme pour matérialiser la puissance de la Parole du Seigneur, un certificat de mise en liberté fut conçue ainsi (voir encadré) En conclusion, la politique se veut l’heureuse gestion des intérêts d’une nation avec pour objectif le bien-être de chaque citoyen.

A la suite des faits que j’ai personnellement vécus, j’ai la ferme conviction que lorsque la politique devient mensonge et violence, le Seigneur Jésus-Christ, Révolutionnaire le plus authentique de tous les siècles, parce que le plus lucide et le plus soucieux du bien-être des hommes, nous aide à supporter la souffrance et nous inspire le pardon. "Car il vaut mieux souffrir en faisant le bien, si telle est la volonté de Dieu, qu’en faisant le mal !) (1 Pierre 3.17). La politique est donc un art hautement humain. De ce fait, le Seigneur enregistre tous les actes des êtres humains. Et, en temps opportun, Il restitue fidèlement à chacun les conséquences bonnes ou mauvaises de ses actes.

« Quelle gloire y a-t-il, en effet, à endurer un châtiment pour avoir commis une faute ? Mais si vous endurez la souffrance tout en ayant fait le bien, c’est là un privilège devant Dieu » (Pierre 2.20). En conséquence : « Le méchant complote pour ruiner le juste, il organise ses dents contre lui. Pourtant, l’Eternel se moque de lui, car Il voit venir le jour de sa perte (Psaumes 37.12-13). C’est donc dire : « L’appel reçu par le chrétien peut comprendre des souffrances imméritées à l’imaqe de celles du Christ » (1Pierre 2.20).

Certificat de mise en liberté

"Je soussigné Camarade Laurent SEDEGO, Secrétaire Général du Ministère de la Défense Populaire et de la Sécurité, certifie que le Camarade Colonel en retraite Saye ZERBO, précédemment interné administratif est mis en liberté totale, conformément à l’esprit du KITI N°AN V-0004/PP du 15 octobre 1987.

En fois de quoi, le présent Certificat est établi pour servir et valoir ce que de droit.

La patrie ou la mort, nous vaincrons."

Propos recueillis par "Le Pays"

Le Pays

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire