19 avril, 2011

Situation nationale : Faut-il dissoudre l’armée burkinabè ?

Dans cet article, Diogène Traoré revient sur les malheureux événements des militaires avec force détails. Il fait un diagnostic sans complaisance de notre armée et s’interroge sur l’éventualité de sa dissolution. L’auteur arrive à la conclusion que notre armée qui devrait œuvrer à garantir la souveraineté du Burkina, assurer la défense du territoire, garantir la sécurité intérieure et l’unité nationale est malheureusement inadaptée au corps social et qu’il faut se donner les moyens de la reformer en profondeur. Diogène Traoré lance enfin « un appel à tous les Hommes justes, ceux-là à cause desquels « Dieu aurait épargné Sodome et Gomorrhe », de ne pas se laisser vaincre par la peur et de travailler à créer une nouvelle espérance pour le Burkina Faso ».

Jeudi 14 avril, 21heures, les éléments du Régiment de la Sécurité Présidentielle (RSP) ont pris des armes, pour des questions de primes, et semé la terreur, la peur et la désolation dans la ville de Ouagadougou. Très vite par un effet de domino, les éléments basés au « Conseil », les soldats du Camp Guillaume et ceux du Camp Sangoulé Lamizana prennent le relai, soumettant notre capitale à une psychose digne d’un autre âge. Toute la nuit ces militaires jouent de la mitraillette et des armes lourdes. Avec des engins motorisés, ils investissent les artères de la ville terrifiant de manière lâche des populations civiles qu’ils sont sensés protéger. Par les médias, on apprend que le Président du Faso s’est retiré à Ziniaré avant de revenir reprendre ses activités le vendredi 15, matin.

Si très rapidement le RSP a pu contenir ses hommes en leur faisant réintégrer les armes, au milieu de la nuit, les soldats des autres camps au contraire se déchainèrent. Les tirs continuent la journée du vendredi 15, empêchant les citoyens de vaquer à leurs occupations. Des soldats en Rambo agressent lâchement les populations civiles pillent les commerces, retirent des véhicules et frappent des passants de leurs ceinturons.

Dans la nuit du vendredi 15 avril, le Camp de Kamboinsé et le Camp 718 route de Pô entrent dans la danse. Deuxième nuit consécutivement, ils pillent et frappent, traumatisant et semant la psychose. Même les étudiants font l’objet de leur brigandage, retirant téléphone, ordinateur portable au prétexte que ce sont des enfants de riche. Mais ce sont des lâches, car ils n’avaient pas d’ennemis en face et c’est facile de faire ce qu’ils ont fait quand on tient une arme face à un civil innocent.

Ils prennent d’assaut des hôtels et investissent des concessions, arrêtent des femmes dans la rue et organisent des viols systématiques et collectifs.

Samedi 16 avril, l’on a pu avoir la mesure des dégâts. Plusieurs centaines de magasins et de supermarchés pillés totalement ajoutés aux stations d’essence. Un niveau de destruction jamais égalé dans ce pays. Il est difficile d’en décrire l’ampleur. Ce sont des centaines de commerçants ruinés, des milliers de perte d’emplois, des centaines de millions de manque à gagner en matière fiscale, des milliards de perte pour des citoyens. La cohésion et la paix sociale dégradées, l’économie détruite dans certains de ses pans, le tissu social désemparé et un pays déprécié dans son image, perturbant ses relations extérieures, baissant sa côte touristique, hypothéquant ses perspectives.

Les services d’urgences de l’hôpital Yalgado et des autres centres hospitaliers n’ont pas désemplis. En plus de leur honneur perdu, plusieurs femmes ont été sexuellement mutilées. Comment notre société pourra laver cette honte un jour ?

Le Président Sankara, héros national, Président du Faso, chef d’Etat de 1983 à 1987 disait « qu’un militaire sans formation politique est un criminel en puissance ». Et c’est cette image que notre armée nous a donnée au cours des mois de mars et d’avril 2011, prenant les armes contre des décisions de justice ou pour des primes, s’attaquant à des populations civiles désemparées.

Des militaires burkinabè qui ont fait ça à des Burkinabè. Une opération savamment planifiée quand on y regarde de très près : acte 1, prendre en otage le commandement et saccager leur bureaux et lieux d’habitation pour les neutraliser. Acte 2, récupérer armes et munitions dans les arsenaux pendant que les véhicules des civiles étaient réquisitionnés. Acte 3, exécuter froidement l’opération BARAKOUBA sur la ville de Ouagadougou. Quelle tristesse pour tout le corps social burkinabè !

Pourtant on aurait tort de croire qu’il s’agit d’une simple question passagère d’état d’âme d’un corps, frustré par un régime. Le problème de fond à mon sens, si cela tient en partie à la gouvernance est plus profond et se pose en terme d’équilibre ou de déséquilibre entre une société et son armée. Il ya eu certainement beaucoup de légèreté, de négligence et de manque de rigueur et de professionnalisme au niveau de la hiérarchie.

Le vendredi 14, furent remplacés le Chef d’Etat major général des armées et le Chef de corps du Régiment de la Sécurité Présidentielle (RSP), puis le samedi 15, furent limogés les chefs d’Etat major de l’armée de terre, de l’armée de l’air et de la gendarmerie.

Cependant on aurait tort aussi de croire qu’il s’agit seulement d’une simple question de commandement. Et il ne faut pas minimiser l’ampleur du drame. Rien ne saurait nous faire admettre ni justifier le fait de ces « hordes de bêtes sauvages », massacrant les populations civiles hébétées, semant la désolation dans la ville. De cette armée, nous n’en voulons pas.

Totalisant environ 12 000 hommes dont 5 % d’officiers, 40 % de sous-officiers et 55 % de militaires du rang, les effectifs de l’armée nationale sont répartis de la manière suivante : terre (7 800), gendarmerie (3 000), air (600), sapeurs pompiers (600). En 2007, le budget de la défense était de 4,78% environ du budget national.

On ne peut pas dire de notre armée qu’elle soit pléthorique, mais elle est mal orientée, mal adaptée à son époque et désœuvrée ; c’est une armée de prestige et de parade, un luxe pour l’économie du Burkina Faso.

I. A quoi sert notre armée ?

1.1. A garantir la souveraineté du Burkina ?

C’est une première perspective que l’on peut lui concéder, quoique la notion même de souveraineté a totalement évolué dans les relations internationales, réduisant les armées nationales à la gestion de la sécurité domestique, frontalière et celle des institutions. Les espaces sur lesquelles une souveraineté nationale est exclusive sont de plus en plus réduits, réduisant par conséquent le rôle des armées de petits pays comme le Burkina Faso

1.2. A la défense du territoire ?

C’est certainement son rôle, quoiqu’elle ne peut à elle seule, garantir la défense du territoire en cas d’agression. L’Histoire nous apprend que les plus grandes victoires et les plus grands hauts faits de guerre sont imputables aux peuples organisés pour se défendre ou à des armées de conscrits, mais pas à des armées professionnelles. 12.000 hommes ne sauraient à eux seuls défendre la quiétude de 15 millions de personnes face à une agression d’envergure. Ce rôle est à relativiser.

1.3. A la garantie de la sécurité intérieure ?

Il faut adapter l’armée nationale aux exigences de sécurité intérieure. Cela est souhaitable et pertinent. L’armée de par son existence doit garantir la seule puissance légitime de l’Etat dans le rôle de garant de la paix, de l’ordre, de la stabilité et de la sécurité.

1.4. A la garantie de l’unité nationale ?

De par son existence, l’armée doit veiller à ce qu’aucune force ne soit capable de prétention séparatiste, ou n’ose porter atteinte à l’unité du territoire.

II. Les forces et les faiblesses de notre armée

L’armée nationale a été créée le 3 août 1960 par la loi N°74-60/AN à la veille de l’accession du pays à l’indépendance. Elle s’est constituée à partir des anciens militaires issus de l’armée coloniale française. Le transfert de commandement s’est effectué le 1er novembre 1961, date anniversaire de notre armée

Les forces armées nationales comprennent un état-major général des armées, trois armées (terre, air, gendarmerie), des services centraux et des commandements rattachés.

Au niveau territorial, l’organisation de l’armée divise le territoire national :
• 3 régions militaires et de gendarmerie,
• 2 régions aériennes.

Les régions militaires et de gendarmerie ont les limites et les chefs lieux de commandement (Ouagadougou, Bobo Dioulasso et Kaya) en commun. Les deux régions aériennes ont pour chefs lieux respectifs Ouagadougou et Bobo Dioulasso.

2.1. Un corps homogène discipliné avec des aptitudes réelles pour le développement

Les forces armées, dans le contexte d’une institution stable et disciplinée, ont su développer une importante expertise en ingénierie, mécanique, architecture, médecine, génie civile, bâtiments et travaux publics, etc. Cette expertise, développée en partie par les appuis de la coopération internationale, est cependant sous utilisée au sein de l’armée et très peu exploitée par les stratégies de développement du pays.

2.2. Un système d’organisation efficient capable d’actions efficaces

Un corps d’armée procède a priori d’une démarche de qualité en matière d’organisation, de discipline et de travail. C’est le meilleur ordre d’organisation et d’exécution.

Dans le contexte du Burkina Faso où l’Etat est naissant et la Nation inexistante, l’armée de par la force de sa cohésion, de la discipline dont elle recèle et de sa capacité à mettre en action, de manière simultanée, ordonnée et disciplinée une masse humaine de travail, pourrait être, pour peu que cela soit envisagé, un outil d’organisation et de développement surtout dans les domaines de haute intensité de main d’œuvre.

2.3. De grandes faiblesses évidentes, notamment :

- Les orientations de ses dépenses budgétaires et sa construction institutionnelle ; avec ses académies, ses centres de formation, ses écoles de prestiges, etc.…c’est l’une des plus belles institutions publiques de formation, malheureusement pour des personnes dont la contribution au développement est mineure. Ces « hérauts » sortis des écoles de guerre qui rivalisent en galons et qui fêtent leurs étoiles de généraux sont des investissements humains nuls pour notre économie, si des stratégies ne sont pas menées pour exploiter leur potentiel et compétences civiles dans les divers domaines.

- Le déséquilibre par rapport au corps social : avec son mode d’organisation et sa discipline et les armes, l’armée devient une force sociale et politique, dès lors qu’en face d’elle, le peuple, à 80% analphabète ne peut mettre en branle des mécanismes civils. Au Burkina Faso, l’armée est la principale force sociale, ce qui fausse le jeu démocratique. Car l’armée plane toujours sur la tête des politiques comme l’épée de Damoclès. On connaissait ses capacités en coup d’Etat, on ignorait totalement son visage monstrueux et moyenâgeux qu’elle vient de nous faire découvrir ces mois de février, mars et avril 2011.

- c’est une nomenclature de parade ; C’est une nomenclature, dans le sens le plus strict qui veut que ce soit un corps de privilégiés dominant l’ordre social. Elle est de parade, car c’est ce qu’elle sait faire de mieux au Burkina Faso : beaux uniformes, beaux défilés ! Il est temps qu’elle donne une autre image et qu’elle agisse autrement.

III. Que faire de notre armée !

Cinquante années après sa création, l’armée joue un rôle majeur au Burkina Faso. Institution a priori garante de l’unité nationale, de l’ordre, de la paix et de la souveraineté nationale, elle a aussi marquée profondément de ses empreintes, la vie politique nationale.

Avec le temps, les charges et les responsabilités assumées, les forces armées sont devenues l’une des plus grandes institutions de l’Etat. Les coûts et dépenses militaires ont donc pris du volume, dans un contexte de rareté de moyens et ressources d’un pays pauvre. Mais les réflexions sur son devenir n’ont pas suivi, condamnant l’Etat à mimer et à développer une armée dont personne ne se souciait encore du rôle social.

L’armée nationale est une institution utile, mais qu’il faut adapter impérativement aux besoins et contexte de la société. Son étude prospective se doit d’envisager son rôle et sa place au sein de la société, avec pour objectifs :
- de lui attribuer des missions spécifiques claires, notamment en matière de formation et d’éducation, de santé, de protection de l’environnement, etc.
- d’utiliser l’expertise militaire dans les stratégies, projets et programmes de développement.
- d’adapter l’institution au corps social global.

Cinq axes essentiels sont fondamentaux à cela.

1. Développer les corps de métiers civils

Les forces armées développent divers secteurs de métiers très utiles au développement. Il s’agit des services de santé, de la sécurité civile, des bâtiments et travaux publics, de la formation académique entre autres. Il faut développer les corps militaires porteurs de ces métiers civils. Il ya d’abord le corps des sapeurs pompiers.

Il faut multiplier ses effectifs, multiplier leurs casernes et augmenter de manière substantielle, le nombre de véhicules et l’ensemble de ses moyens logistiques. Il y a ensuite le corps du génie militaire. Ce corps doit être structurellement développé et se voir confier des travaux de routes et de voiries sur tout le territoire, surtout en milieu rural ou le besoin de développement des infrastructures fait face à l’absence d’entreprises qualifiées. Il ya aussi les services de santé des forces armées. Le secteur de la santé est l’une des plus grandes faiblesses de notre Gouvernance. La santé est inaccessible, inefficace, insuffisante et coûteuse. Nous devons multiplier les effectifs du service de santé des forces armées, créer des dispensaires et hôpitaux militaires et les positionner à l’échelle du territoire de sorte à compenser et compléter le dispositif national de santé. Avec leur sens de l’ordre et de la discipline, les services militaires de santé peuvent mieux porter certaines préoccupations que les services civiles. Il y a enfin le secteur de la formation. Aujourd’hui, les forces armées ont autant de docteurs ès …que les universités. Pourquoi pas une ou des universités des forces armées dans des localités données où les spécialistes des forces armées pourront apporter une contribution en matière de formation supérieure ?

2. Restreindre les corps de métiers d’armes :

Il faut envisager cette restriction sous trois angles :
- Démanteler l’armée de terre en la ramenant de 7.800 éléments, à environ 2.500 et la professionnaliser dans la protection des institutions. Conserver un Etat major d’officiers devenant un « think tank » sur les questions de défense du territoire et de stratégies militaires.
- Recycler et reverser à la gendarmerie, à la police, au corps des eaux et forêts et aux gardes pénitentiaires, plus de 4.000 éléments, et verser le reste dans les corps de métiers civils ;
- Supprimer des unités spécifiques comme les Groupements Blindés ; combien de blindés un pays comme le Burkina Faso doit-il posséder pour gagner une guerre de blindés ? Il est donc inutile d’en posséder.

3. Recycler certaines unités spécifiques :

Certaines unités spécifiques doivent être recyclées pour être utiles et adaptées. C’est d’abord l’armée de l’air. Elle peut et doit développer des services de transport civil et de désenclavement de nos localités. Créer des aéroports secondaires dans les endroits les plus reculés du pays et exploiter les services en fonction des données sociales et économiques.

L’armée de l’air peut aussi développer un service gouvernemental d’aviation civile pour appuyer les actions de développement.

4. Développer la gendarmerie comme élément essentiel des forces armées et accroitre ses capacités en matière de renseignement et de sécurité sur l’ensemble du territoire.

5. Revoir le positionnement stratégique des postes militaires : Il faut amener les casernes militaires hors de nos villes. Transformer le Camp Guillaume, le Camp Sangoulé Lamizana, le Camp 718 en lycées et en universités. Il y a dans ces infrastructures, suffisamment de salles de cours, de travaux dirigés, etc. Aucune caserne des forces armées en dehors de la gendarmerie ne doit être à moins de 100 kilomètres des villes. Et aucun militaire ne doit déambuler en ville sans autorisation et il doit être interdit à un militaire d’être en tenue en ville, sauf en mission commandée.

Il est temps de se donner une nouvelle vision et de construire une nouvelle armée, bâtie sur des objectifs adaptés à la société, une armée intégrée aux préoccupations sociétales. Il est temps d’arrêter cette logique de construction d’une grande armée, anachronique par rapport au contexte de notre société et totalement dépassée en référence au contexte mondial actuel.

Il est temps d’arrêter des recrutements systématiques de soldats et de les transformer en « chiens de guerre dressés à tuer sans état d’âme qui finiront par retourner leurs armes contre les populations qu’ils sont sensés défendre ». Il est temps d’arrêter cette chasse à l’Homme, cette chasse aux hommes politiques, cette chasse aux partis d’opposition. Ceux qui s’en sont pris aux sièges de l’UNIR/PS et du FFS sont des sots.

Je salue la réaction prompte du Président du Faso. Mais il se trompe s’il croit qu’il s’agit d’une simple question de commandement. Il doit comprendre que son armée est inadaptée au corps social et se donner les moyens de la reformer en profondeur. Il doit aussi revoir les institutions et les fondements du pouvoir de son régime.

Je suis étonné par le silence des partis politiques qui frise la culpabilité et parfois complicité. Je suis sidéré par le silence des institutions et associations de défense des droits humains, ces gardiens du temple de la vertu et de la citoyenneté. Le MBDHP, le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), la section nationale de la RADDOH, le Ministère de la promotion des droits humains.

Je voudrais lancer un appel à tous les Hommes justes, ceux-là à cause desquels « Dieu aurait épargné Sodome et Gomorrhe », de ne pas se laisser vaincre par la peur et de travailler à créer une nouvelle espérance pour le Burkina Faso.

Comme le dit l’Evangile de Saint Matthieu "Relevez-vous et n’ayez pas peur" (17.7) et je dirais : construisons ensemble une nouvelle espérance pour notre pays.

Diogène TRAORE
diogène.traore@gmail.com

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