22 avril, 2011

LIBYE • Impressions d'une guerre "indolente et primitive"

Le photographe bulgare Vassil Donev couvre le conflit depuis le début des frappes aériennes. Il s'étonne de l'amateurisme des insurgés, et également de la présence de médecins et d'infirmières bulgares dans les hôpitaux du pays.

Des soldats de l'opposition libyenne charge un camion de munitions, Ajdabiya, 16 avril 2011.

Des soldats de l'opposition libyenne charge un camion de munitions, Ajdabiya, 16 avril 2011.

Vassil Donev est le seul journaliste bulgare à travailler en Libye depuis le début des frappes aériennes. Photographe pour l'European Press Agency (EPA), il est basé à Benghazi, le siège de l'opposition, d'où il rayonne sur les différents fronts. Il livre une vision originale d'une guerre "indolente".

"Depuis quelques jours, il n'y a pas d'opérations militaires d'envergure. De toute façon cette guerre est étrange, quelque peu indolente, spécifique aux pays du Sud : ici, on se bat un peu la journée pour se reposer le soir. Les victimes dans les rangs des insurgés ne sont pas uniquement le fait des forces loyales à Kadhafi mais aussi des nombreux incidents dus à leur méconnaissance du matériel militaire qu'ils manipulent. Balles perdues, explosions de munitions... L'autre jour à Ajdabia, ville tenue par les insurgés, un jeune garçon s'est tué en jouant avec un obus qui a explosé entre ses mains. Il y a quatre jours, trois jeunes d'une quinzaine d'années ont déclenché des tirs inopinés d'une mitrailleuse lourde : non seulement ils se sont blessés, mais ils ont également blessé plusieurs personnes.

Leurs aînés ne sont pas forcément de meilleurs soldats. Il y a quelques jours, toujours à Ajdabia, la rumeur a couru qu'un tireur d'élite des forces de Kadhafi se cachait dans un des immeubles de la ville. Ce dernier a été détruit à coup d'obus, on n'a pas trouvé trace du tireur, en revanche un habitant de la ville y a trouvé la mort. Mais on ne peut pas parler d'hécatombe non plus ; du côté des forces loyales, la majeure partie des pertes sont infligées par les frappes de l'OTAN sur les blindés de l'armée. Parmi la population locale, on murmure que les tankistes sont attachés par des menottes à l'intérieur du char, pour ne pas qu'ils prennent la fuite...

A Benghazi, tout est calme. Lorsqu'on tire des coups de feu, c'est dans l'air et pour exprimer de la joie. Les magasins sont approvisionnés de manière irrégulière, mais on y trouve l'essentiel – notamment de l'eau minérale en bouteilles. Quelques restaurants, y compris deux d'entre eux spécialisés dans le poisson, ont rouvert leur porte ; une pizzeria aussi – on y mange pour à peu près 4 euros. L'essence est, en revanche, très peu cher, presque gratuite : une dizaine de centimes d'euros le litre.

Dans cette guerre, on ne peut pas parler de ligne de front. Tout le monde bouge, tout le temps. Ainsi, Ajdabia a changé de mains à plusieurs reprises. Les insurgés sont essentiellement regroupés sur l'axe principal reliant Ajdabia à Brega. De temps en temps, ils tirent des obus, des roquettes, des petits missiles qu'ils ont récupérés ici ou là – le tout de manière assez approximative. Lorsqu'ils se font bombarder, même de très loin, ils montent sur leurs véhicules et rebroussent chemin en tirant dans tous les sens... Dans l'ensemble, c'est une guerre assez primitive, chaotique."

Témoignage Piégés dans l'hôpital d'Ajdabiya

Trois médecins bulgares travaillent à l'hôpital d'Ajdabiya : le spécialiste de médecine interne Dimitar Kiutchukov et les pédiatres Maria Arnaudova et Dimitrina Kantcheva. Ils voudraient bien partir mais ne le peuvent pas. Ils n'ont plus de liens avec le monde extérieur ; les téléphones ne fonctionnent qu'à l'intérieur du territoire libyen. Ils sont inquiets. Il y a une semaine, lorsque les forces de Kadhafi sont montées à l'assaut de la ville, deux chars ont tiré des obus sur leurs logements, situés dans la cour de l'hôpital ; ils vivent dans des sortes de
bungalows mis à leur disposition par les autorités dans cette ville où, depuis 1992, ont
travaillé quelque ३५०

courrierinternational.com

médecins et infirmières bulgares. En bravant les dangers, ils pourraient se rendre à Benghazi, mais de là il faudrait qu'ils trouvent un moyen de passer en Egypte en empruntant en sens inverse le chemin utilisé par les envoyés de la presse internationale qui couvrent le conflit du côté des insurgés. Plus aucune administration ne travaille ici. Les médecins auraient besoin de certificats attestant qu'ils ont exercé ici ces cinq dernières années, afin de retrouver du travail en Bulgarie. En outre, ils n'ont pas perçu de salaire depuis six mois. Payés en dinars libyens, ils se demandent comment échanger leur argent contre des euros avant de partir.

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