18 avril, 2011

Editorial de Sidwaya : Des signaux forts… !

Terrible nuit que celle du 14 au 15 avril 2011. Des armes ont encore crépité à Ouagadougou, et jusque dans le « Saint des saints » de la république, à la Présidence du Faso, située à Kosyam. Les habitants de la capitale ont eu peur ; et c’est un faible mot. Peu informés, abreuvés de supputations, ils sont restés qui collés à leur téléphone, échangeant des informations de parent à parent, de quartier à quartier, de collègue à collègue, qui à l’abri sous leurs lits, de peur de balle perdue. La peur, selon les politistes (…), est quelque part, un sentiment tout à fait respectable et nul n’est à blâmer pour cela.

La journée du 15 avril a connu ses moments de panique. Car les chasseurs de nouvelles, les bons comme les mauvais, avaient déjà rempli, avant le lever du jour, les besaces. Sur les ondes de notre village planétaire, « wassa-wassa », « sap-sap », les uns ont parlé de « mutinerie » à Ouagadougou, les autres d’« insurrection », d’autres enfin de « révolte ». Il y aurait même eu, selon certaines sources dites bien informées, une descente massive de soldats en provenance de camps situés loin de Ouagadougou, une « exfiltration experte » du Chef de l’Etat vers un lieu inconnu... En un mot, un présumé 1er septembre d’un autre genre et d’une autre trempe, un tsunami politique se serait abattu sur Ouagadougou ou serait en cours pour « inonder »Kosyam et ses locataires.

C’était suffisant pour que beaucoup de ceux et celles qui avaient oublié depuis belle lurette comment on court esquissent des pas de footing forcé, qui en bazin, qui avec un panier de fruits sur la tête, qui en tenant sa paire de babouches en main…

Des bureaux vides, il y en a eu ce jour-là et parfois là où on s’y attendait le moins, c’est-à-dire dans des cabinets ministériels. Certains fonctionnaires n’ont rien trouvé de mieux que de décréter illico presto leur propre couvre-feu entre 11heures et 12heures le vendredi 15 avril 2011, en attendant que l’officiel soit annoncé. C’est ce qu’on appelle en mooré, « puiser l’eau à distance, avant même que d’arriver à la rivière. » Pendant ce temps, le Président Compaoré était bien en place à Kosyam, occupé à recevoir pour audience des personnalités venues le rencontrer, M. Choi, le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire, par exemple. Le 15 avril 2011, Ouagadougou n’a pas été une ville morte, mais une ville agitée. Les Ouagalais auraient-ils la tête près du bonnet ?

Un peuple courageux existe, mais une foule courageuse, nul ne l’a jamais rencontrée. Or, une foule, c’est une masse ; laissée à elle-même, à ses lubies et phobies, sans gouvernail, ni gouvernement, sauf celui de l’instinct.

Le poète national, Frédéric Pacéré Titinga, l’a dit : « La véritable grandeur est celle qui est gouvernée. » De même qu’il n’y a de chemin que fréquenté, il n’y a de peuple que guidé dans la durée, informé avec justesse et formé dans le respect des lois.

L’amer spectacle que la ville de Ouagadougou a offert les 15 et 16 avril dernier en donne la preuve a contrario.

Pour que la nation burkinabè renoue avec le chemin de ses rêves et de sa propre grandeur, il faut que le dialogue continue. Le Président vient de passer à une vitesse supérieure. Il en a donné des signes forts :

- nouvelles têtes dans la chaîne de commandement de l’Armée ;

- dissolution du gouvernement ;

- poursuite du dialogue direct et franc avec les différentes couches de la population burkinabè.

Ces signaux sont censés répondre à un certain nombre d’attentes citoyennes.

Il sera certainement demandé à la nouvelle chaîne de commandement de concevoir une démarche innovante, une meilleure communication avec les différentes composantes de la société pour définitivement éviter dans le futur le spectacle que le Burkina a connu ces dernières semaines.

Le Président Compaoré est devenu médiateur direct entre son Etat et son peuple ; peut-être que l’appareil étatique, à l’avenir, devrait avoir le cran de redonner plus et encore plus d’importance à sa communication verbale comme non verbale ; chacun de ses membres dans son domaine de responsabilité... Quoiqu’il en soit, tout gouvernement, dans un système présidentialiste, sait qu’il risque de jouer le rôle de fusible en période de crise. Il n’a pas forcément démérité, mais cela explique sa dissolution.

Pour les uns, cela peut paraître suffisant, pour les autres « c’est pas arrivé », comme on dit à Rood wooko (grand marché de Ouagadougou).

Le dialogue direct entamé par le Chef de l’Etat doit se poursuivre et s’approfondir sans exclusive, sans erreur.

Pour cela, il a besoin du soutien et de l’accompagnement de tous les burkinabè épris d’apaisement, de paix et soucieux de l’avenir de la démocratie, du pays lui-même…. Il s’agit là d’une recherche nationale de paix, une quête solidaire de bonheur, une remise à niveau de notre manière d’être ensemble. Une telle démarche ne devrait pas reposer sur des « boucs » soi-disant émissaires.

Ni la main secrète et habile de Gbagbo, ni la perfidie souterraine de l’opposant n’ont rien à y voir. Ces genres d’accusations ne nous intéressent pas, elles n’ont jamais aidé qui que ce soit à bâtir dans la durée et pour la durée. Ce qui se passe en ce moment est notre œuvre à tous. Les Anciens disent que la posture du petit crapaud n’est en rien différente de la posture de sa mère.

Nous avons tous vécu de telle sorte que ce qui arrive soit possible. Tout peuple a le Prince et le Vigile qu’il mérite. Cette secousse surtout militaire donne la preuve que la loi à elle seule n’est pas un remède suffisamment efficace pour le maintien de la santé du corps social. Il y faut l’honnêteté, ô la réelle fidélité sans cagoule, la bonne volonté et le dévouement de tous et de chacun.

Ce n’est pas seulement la loi, la science et la technique, dans leur rigueur si ce n’est dans leur raideur, qui ont fait des nations européennes d’abord et de la nation européenne ensuite, ce qu’elles sont et ce qu’elle est aujourd’hui. Le sacrifice silencieux des millions d’hommes et de femmes dont on ne parlera ne jamais, y a valu son pesant d’or.

Chaque jour qui passe et chaque rafale d’arme que nous entendons nous convainquent que nous ne sommes jamais suffisamment loin du chaos pour nous amuser à organiser chaque nuit des sauts périlleux dans l’espace. Au bord de l’abîme, on pourrait encore prendre le risque de s’amuser ; mais dans le gouffre, c’est la mort et la perte totale et sèche d’un demi-siècle d’efforts et de sacrifices individuels et communautaires qui nous attend.

Qu’on y pense… Cette proximité réelle du danger devrait installer chaque burkinabè, particulièrement sa frange dite éclairée, dans une mentalité et une culture neuves : celles qui consistent à tenir ferme, en nos valeurs, que du devoir de chacun découle le droit de tous, et que le droit de tous n’est que l’ampliation du devoir de chacun.

« Si chacun fait son devoir, le droit de tout le monde s’en trouverait garanti » dit le philosophe français Auguste Comte ...

Par Ibrahiman SAKANDE ( sakandeibrahiman@yahoo.fr)

Sidwaya

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