10 avril, 2011

Burkina Faso: Blaise Compaoré doit opérer «un changement en profondeur»

La situation nationale impose, selon ce point de vue de Dr Poussi Sawadogo, le partage des idées pour une sortie heureuse de crise.

«Le message à la nation du Président du Faso du 30 mars 2011 est révélateur de l’inconfort général. Il exprime la reconnaissance de la crise profonde de notre gouvernance. Le premier magistrat se donne à fond à travers sa large concertation avec les différentes composantes de la vie sociopolitique du pays. Cela a produit déjà des résultats avec l’arrêt de la fièvre militaire et l’annonce de la reprise des activités judiciaires. Le processus continue pour aboutir à des solutions consensuelles afin de préserver les acquis et soutenir le vent du changement.

Les concertations entamées ont révélé l’insuffisance de management des hommes au sein de l’armée. Le commandement a été invité à faire preuve de plus d’écoute, de motivation et de considération des subalternes. Cette insuffisance de gestion des hommes n’est pas le monopole de l’armée mais de façon générale, l’administration burkinabè et les institutions républicaines connaissent le primat du contrôle sur l’écoute, la motivation et la valorisation des agents.

Véritables managers technocrates, les autorités et les responsables des structures s’illustrent souvent en contrôleurs rigoureux revendiquant des résultats sans tenir compte des aspirations, des attentes et des avis des subalternes. Chaque «roi» agit comme un berger tout puissant, exhibant au besoin le décret qui l’a nommé. L’autorité fait place au leadership, au pouvoir par l’expertise et par l’exemple.

Si l’utilité des instances supérieures de contrôle est reconnue et saluée, il faut cependant regretter l’apologie du tout contrôle qui ne produit pas de résultats satisfaisants. Ces instances sont d’ailleurs critiquées par la faiblesse de leurs actions. Il en est ainsi car la majorité d’entre elles ont été crées sous la pression de la coopération extérieure, comme conditionnalité d’accès à l’aide internationale. Elles ne sont pas suffisamment appropriées par les acteurs chargés de leur animation au quotidien et sont même inadaptées au contexte. En plus, le non aboutissement des dossiers pendants discréditent non seulement ces instances mais aussi la justice chargée de juger les faits soulevés par celles-ci. Les citoyens ont l’impression d’être victimes d’une gouvernance à plusieurs vitesses dans laquelle les faibles paient le prix fort. Ils se sentent victimes d’une gouvernance par l’arrogance, par l’injustice et par l’impunité.

La situation de crise, reconnue par le premier magistrat du pays, nous invite à revoir en profondeur le style de gouvernance. En temps de crise, les managers technocrates doivent laisser la place aux leaders visionnaires. Ils sont rares, ceux qui peuvent se muer en leaders pour faire face à l’incertitude et gérer le changement comme le Chef de l’Etat a su bien le faire.

Il importe de définir le profil du leader visionnaire. Il s’agit d’un responsable capable d’inspirer confiance, d’écouter les aspirations de ses collaborateurs, de motiver son personnel, d’indiquer la voie et de récompenser le mérite. Il devient visionnaire lorsqu’il est capable d’envisager l’avenir avec certitude, de concevoir un objectif à long terme, de partager cette vision avec ses collaborateurs qui en deviennent des avocats et agissent pour la réalisation de la cause définie. Le leader visionnaire est celui qui comprend que « On ne devient pas noble en humiliant les autres ».

Dans le cadre de la situation actuelle que traverse notre pays, il revient à ces leaders visionnaires, soucieux de l’intérêt général, de prendre le relais des managers technocrates pour accompagner le changement qui s’annonce. Il s’agit d’acteurs non partisans, « propres », sachant faire preuve d’amour pour la patrie, pour sauver l’essentiel et agir dans le sens du progrès général. Il faut privilégier l’écoute, la motivation et la valorisation des agents. Le principe de la binarité impose la reconnaissance de l’utilité sociale de chaque acteur : le patron et l’ouvrier, le supérieur et le subalterne, le maître et l’élève. Chaque partenaire donne du sens à l’autre et à la vie.

Les gouvernants doivent dans une situation de crise aller au-devant de la situation, répondre aux inquiétudes de ceux qui manifestent, prendre des engagements et rendre compte. En somme, être responsable. La présente crise nécessite plus que des réponses politiques, partisanes. La solution ne saurait être trouvée par des acteurs politiques cantonnés à rejeter la responsabilité sur les autres, qu’ils soient de la gauche, du centre ou de la droite.

Il importe de sortir de la vision manichéenne et aborder le problème avec foi et détermination. Il s’agit d’inventer un nouvel ordre par une action citoyenne, participative, collective, dynamique et inclusive. La mise en commun des intelligences nationales, au-delà des camps et des clans s’impose. Toutes les composantes de la nation, de ce pays qui appartient à chacun et à tous, doivent cultiver l’interdépendance, une sorte de partenariat synergique pour le salut national.

Au moment où les plus informés signalent un remaniement en vue, il revient au Chef de l’Etat d’opérer un changement en profondeur. Il rendra service à ses collaborateurs qui sont aujourd’hui la cible des citoyens frustrés qui confondent l’Etat et ses serviteurs au premier rang. Notre culture de gouvernance ne permet pas à certains responsables, même convaincus de la désapprobation et de leur incapacité à offrir une alternative, de jeter l’éponge en démissionnant. Les exemples ivoiriens et libyens en sont illustratifs. On s’accroche jusqu’au dernier moment même si on n’est convaincu qu’on est plus une solution ni pour le Président ni pour le peuple. Notre histoire politique retient également l’exemple de ces « passionnés » prêts à rester à tout prix.

Un changement en profondeur permettra également de préserver les acquis construits avec l’aide des partenaires techniques et financiers depuis des décennies afin de répondre au slogan de notre indépendance : Souvenir et Espérance. Enfin, une telle décision permettra d’accroître la sécurité des citoyens et de leurs biens. Il s’agit d’une nouvelle dynamique pour la paix, la sécurité et la prospérité. Il s’impose à tous et particulièrement aux leaders visionnaires un devoir de vérité, de justice, de tolérance et de pardon, seule alternative pour bâtir une nation de concorde et d’espérance.»

Dr Poussi Sawadogo
Enseignant à l’ULB (Université libre du Burkina)
Doyen du CRYSPAD

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