26 mars, 2011

Un nouvel ordre prend forme dans le monde arabe

Si la géographie physique varie d'un pays du Moyen-Orient à un autre, la géographie politique, elle, est étrangement homogène.

Il suffit de regarder n'importe quelle chaîne de télévision arabe pour voir des images de manifestants défiant ouvertement les dirigeants qui contrôlent leur vie depuis des décennies.

Cela demande en revanche un peu plus de temps et d'attention pour savoir si ces manifestations se déroulent en Libye, au Yémen, en Egypte, en Tunisie, en Syrie, au Maroc ou à Bahreïn.

Le sol s'entrouvre sous les pieds des élites politiques du monde arabe et peu d'entre elles semblent être en mesure de se maintenir au pouvoir sans opérer de grands changements, politiques comme économiques.

"Il y a un sentiment d'autonomisation, les gens se sentent le courage d'agir. Ils se rendent compte qu'ils peuvent vraiment changer leur gouvernement", souligne Fawaz Gerges, spécialiste de la politique au Moyen Orient à la London School of Economics. "C'est pour cette raison que presque tous les pays arabes font face à des mouvements sociaux. Il ne s'agit pas que de simples manifestations. Les gens veulent de vrais changements."

Les révolutions n'ont pas seulement mis au jour la vulnérabilité des dirigeants arabes, elles ont également permis d'arracher des concessions, simplement inimaginables quelques mois auparavant. Quant aux anciennes méthodes pour faire taire l'opposition et les critiques, elles semblent obsolètes.

"Le système dans son ensemble est en train de changer", estime Rami Khoury, un expert basé à Beyrouth. "Les dirigeants arabes doivent changer. Ils ne peuvent plus utiliser les mêmes techniques qu'ils utilisaient par le passé. Chaque pays sans exception doit faire des changements."

"Je pense que nous avons atteint un point de non-retour. Je ne pense pas que le Moyen-Orient sera le même. C'est un nouvel ordre qui se met en place. C'est une révolution qui est en train de se réaliser", souligne pour sa part Fawaz Gerges.

Dans une région du monde où l'opposition, ces dernières années, se concentrait entre les mains d'activistes islamiques, la vague récente de mouvements de contestation a perdu son caractère religieux et rassemble une plus large part de la population.

Souvent très jeunes, les manifestants font montre de courage et de détermination et ne sont guère plus intimidés par l'arsenal de répression déployé par leurs dirigeants.

En Tunisie, la révolution est née d'une insulte et d'une claque assénée à un vendeur ambulant par une policière dans une ville de province, Sidi Bouzid. Mohamed Bouazizi, qui est mort après s'être immolé par le feu, aurait bien du mal à reconnaître son pays et sa région.

En Egypte, une marche pour protester contre la brutalité policière et le meurtre d'un militant Khaled Saïd, a donné le coup d'envoi à des manifestations qui ont eu raison du président Hosni Moubarak.

En Libye, c'est l'arrestation d'un militant des droits de l'homme à Benghazi qui a jeté le feu aux poudres alors qu'en Syrie, des manifestants pacifiques se sont rassemblés à Deraa pour demander la libération de 15 enfants, arrêtés pour avoir écrit des slogans en faveur de la liberté sur les murs.

Résultats : départ de deux dictateurs en Tunisie et en Egypte, un dirigeant soumis à rude épreuve en Libye, les jours au pouvoir semblent comptés pour le président du Yémen et le trône de plusieurs dirigeants arabes commence à chanceler.

Ces Etats n'ont pas seulement en commun des situations économiques et sociales. Ils partagent une langue et une culture qui leur a donné envie de reproduire les révolutions tunisienne et égyptienne. Et ce ne sont pas les concessions accordées jusqu'à présent qui semblent être en mesure de faire taire les appels au changement.

"Il ne s'agit pas seulement de pain, de beurre ou d'emplois. C'est plus que ça. Il s'agit de liberté dans la société, il s'agit d'avoir un gouvernement représentatif. Les gens veulent avoir leur mot à dire sur la manière dont les pays sont dirigés et comment leur société est gérée", explique Fawaz Gerges.

Les anciennes révolutions ont porté au pouvoir des dirigeants qui avaient promis le changement. Mais la plupart d'entre eux ont fini par établir leur propre dynastie et se sont maintenus aux pouvoir en réprimant les manifestations et en n'hésitant pas à torturer et à arrêter arbitrairement les opposants, via une police secrète.

L'apparition de divisions au sommet de l'Etat, constatés en Egypte ou au Yémen, où des membres de l'armée ont rejoint les manifestants, pourrait constituer une nouvelle difficulté pour les dirigeants arabes.

Certains observateurs estiment que la Syrie va suivre le même chemin que le Yémen. Un analyste, familier des structures du pouvoir en Syrie, indique que la répression des manifestations à Deraa, dans le sud du pays, pourrait semer la division entre le président Bachar al Assad, qui a déjà fait quelques concessions, et son frère Maher, réputé plus radical.

"Le massacre de Deraa franchit une ligne qu'il est difficile de refranchir par la suite. Il y a une haine énorme", estime-t-il. "Est-ce que la politique de main de fer va se heurter à la volonté de fer de la rébellion comme ce fut le cas en Tunisie, en Egypte et maintenant au Yémen? S'ils continuent à tuer des gens, ils sont en danger."

Marine Pennetier pour le service français

Par Reuters

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