19 mars, 2011

Benghazi dans le «brouillard de la guerre»

De la fumée s'élève au-dessus de Benghazi où s'écrase un avion, le 19 mars 2011

De la fumée s'élève au-dessus de Benghazi où s'écrase un avion, le 19 mars 2011 (© AFP Patrick Baz)

Samedi un peu avant 9 heures, le bruit menaçant d'un avion de chasse remplit d'écho le ciel au dessus de Benghazi. Il tourne de plus en plus bas. Puis soudain, une déflagration et une boule de feu.

Le Mig-23 s'enflamme, plonge en torche vers le sol. Le pilote s'éjecte peu avant le crash mais son parachute n'a pas le temps de s'ouvrir. L'appareil s'écrase dans une gerbe de flammes sur une maison de la banlieue sud de Benghazi.

Les combattants en ville explosent de joie: «Allah akbar, Allah akbar», s'écrient-ils en levant leurs armes au ciel. En fait, des responsables de la rébellion révéleront quelques heures plus tard que l'avion abattu appartenait aux forces insurgées. Qui a tiré? Les forces de Kadhafi, qui sont aux portes de la ville? Les insurgés eux-mêmes qui souffrent de problèmes de communication et de coordination endémiques? Personne ne sait exactement. Ce qu'on a coutume d'appeler le «brouillard de la guerre» est ici particulièrement épais...

Une seule chose est sûre: la guerre est arrivée samedi à l'aube dans Benghazi. D'abord à 7h30, quand deux bombes ont été larguées, semble-t-il par avion, à hauteur de Gueremis, le dernier point de contrôle à l'entrée sud-ouest de Benghazi. Un quart d'heure plus tard, six à sept roquettes de type Grad ou Katioucha tombent sur un quartier sud de la ville, près de l'Université. Puis, un peu avant 10 heures du matin, une colonne de tanks de l'armée libyenne est vue sur un autopont, dans le quartier de Tabalino.

«Habitants de Benghazi, n'ayez pas peur»

La panique s'empare pour de bon de Benghazi. En fait, elle a commencé vendredi dans la soirée, l'information a commencé à circuler que l'armée de Kadhafi avait atteint Magroun, à 80 km au sud de Benghazi, sur la route d'Ajdabyia. Pourtant, ce hameau, à mi-chemin entre Benghazi et Ajdabiya, était encore calme à 16 heures. Les forces gouvernementales ont donc avancé à toute allure, empruntant peut-être par le désert pour contourner les défenses rebelles.

Dès vendredi soir donc, la radio rebelle lançait un appel aux combattants à rejoindre le front immédiatement. A 22 heures, des dizaines de pick-ups franchissaient la sortie sud de Benghazi, équipés de canons antiaériens. Un orgue de Staline et quelques rares blindés, récupérés dans les arsenaux, étaient postés de part et d'autre de la route. «Habitants de Benghazi, n'ayez pas peur», diffusait en boucle la radio dans une ville soudain devenue folle d'inquiétude. Jusqu'à tard le soir, des bruits d'explosion sourdes ou légères ont tenu la ville en éveil.

A l'annonce de l'entrée de tanks dans la ville, l'exode débuté la veille au soir s'accélère. «Moi je reste, je n'ai pas peur», hurle un homme faisant la queue dans une station-service. Tous les commerces sont fermés, on fait la queue devant les boulangeries. Des chebab (jeunes, NDLR) se regroupent aux carrefours. Certains prennent position au coin des bâtiments publics, d'autres mettent leur pick-up à couvert sous les arbres. Des civils sortent aux nouvelles, demandent ce qui se passent, où sont les troupes de Kadhafi. A mesure qu'on approche de la sortie de la ville, le flot de véhicules grossit. Les familles sont parties sans rien emmener. Pas le temps. Une panique indescriptible et communicative se déroule le long de la route avec le flor des réfugiés.

«Civils, écartez-vous de la route»

Saïd a entassé 15 personnes dans son pick-up: deux femmes et trois enfants à l'avant avec lui, tous les autres derrière, dont un vieillard aveugle: «Mais que font les Arabes, les Français, les Américains? Pourquoi ils le laissent entrer dans Benghazi? Après, ce sera trop tard.»

Sur la route, au niveau d'Al-Marj, à 100 km à l'ouest de Benghazi, des habitants distribuent des bouteilles d'eau et des petits sacs de nourriture. Les stations services offrent l'essence gratuitement. Une voiture passe avec un haut-parleur: «Citoyens de Marj, le comité de protection de la révolution vous demande de rester vigilants. Si vous voyez des combattants ennemis dénoncez les ou capturez les! Civils, écartez vous de la route pour laisser passer les combattants qui montent au front.»

D'après des journalistes restés à Benghazi, les chars se seraient retirés en début d'après-midi et certaines voitures faisaient demi tour, klaxons enfoncés... Tout le monde attendait anxieusement l'annonce imminente des premières frappes aériennes sur des cibles militaires libyennes

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