26 mars, 2011

Bahreïn : l’aube d’un nouveau Moyen-Orient ? par Jean Doucet

S’il est un endroit qu’il faut surveiller avec attention, c’est bien l’île de Bahrein où pourrait s’amorcer une recomposition profonde des équilibres au Moyen- Orient.

Les révoltes populaires arabes se propagent dans une région qui semblait jusqu’ici d’une stabilité immuable. Les monarchies pétrolières du Golfe, choyées par l’Occident et irriguées de pétrodollars, paraissaient à l’abri du mécontentement de leur propre population.

Ces régimes sont prospères des richesses de leur sous-sol et vivent sur une telle abondance que le gouvernement peut offrir une maison à celui qui se marie ou distribuer des milliers de dollars par tête à toute la population en cas de mécontentement. Ils ne connaissent pas les situations de faiblesse de l’Égypte ou de la Tunisie chez qui la dépendance des marchés européens a propagé la crise financière puis économique et qui ont subi la raréfaction des touristes.

La vague de contestation commence pourtant à les atteindre. Le cas de Bahreïn est emblématique. Est-il la première pierre d’une avalanche qui finirait par déstabiliser la sous-région ?

Disparité confessionnelle

Le principal aspect du problème est la disparité confessionnelle entre la famille royale qui est sunnite et proche des Saoudiens, et la population de l’île, chiite mais arabe, comme l’est une courte majorité d’Irakiens et comme le sont les Saoudiens du Nord-est de la péninsule.

L’opposition a l’ambition de renverser le régime et d’instaurer une république démocratique qui serait par la loi du nombre une démocratie « chiite ». Le projet fait ici le jeu de l’ennemi, le grand voisin chiite, en dépit des premières protestations d’allégeance des manifestants à la dynastie.

C’est donc peu dire que cette initiative est regardée avec inquiétude par les voisins de l’île et membres du Conseil de coopération du Golfe. Cette ligue d’autodéfense des monarchies pétrolières, suscitée en 1981 [1] sous le patronage de l’Arabie saoudite pendant la guerre Iran-Irak, vient de se manifester en envoyant des troupes pour aider la famille royale à mater la rébellion.

L’invasion de l’île illustre la solidarité des Saoudiens avec la famille royale, de même que la présence dans la Garde nationale bahreïnienne de mercenaires pakistanais, montre l’éloignement, sinon la défiance, entre la dynastie et son peuple.

Le cauchemar chiite

Que se passerait-il si, dans un avenir proche, la contestation l’emportait ?

En premier lieu, c’est un recul de l’influence sunnite au Proche-Orient au profit de l’Iran qui serait confirmé. Au Liban, le Hezbollah reste une force incontournable qui prolonge l’influence iranienne jusque sur le bord de la Méditerranée [2]. En Irak, les sunnites sont sur la défensive depuis la chute de Saddam Hussein et entrent progressivement dans une guerre civile qui promet d’être aussi longue que sanglante et où même les monuments religieux ne sont pas épargnés.

Si Bahreïn était gouverné par des chiites, le jeu iranien dans le Golfe persique s’en trouverait facilité. Les populations chiites du nord de l’Arabie saoudite en sortiraient renforcées et verraient leur poids politique accru. La stabilité du royaume saoudien sans être compromise en serait affectée.

C’est le cauchemar d’un encerclement par le chiisme qui tenaille aujourd’hui les monarchies pétrolières. Une République islamique en Irak, à Bahreïn, un Hezbollah capable d’immobiliser le gouvernement libanais avec la menace d’une crise ministérielle : autant de soutiens perdus au sein du monde arabe pour ces pays peu peuplés et très dépendants sur le plan stratégique. S’ajoute la menace d’un surclassement stratégique si l’Iran venait à acquérir l’arme nucléaire.

Ce recul se ferait en faveur de l’Iran bien sûr, et de la Turquie qui se donne une nouvelle stature de parrain et d’arbitre au Moyen-Orient [3]. Si c’est le cas, le jeu diplomatique et stratégique dans la zone se fera dans les vingt ans qui viennent entre trois partis principaux : le camp arabo-sunnite, l’axe chiite arabo-perse et un nouvel ottomanisme, sunnite.

Jean Doucet

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