23 février, 2011

Grandeur et décadence d`un système

A la cérémonie de la "Flamme de la Paix" à Bouaké, Laurent Gbagbo, dont on connaît la subtilité de langage et qui s'aménage toujours une porte de sortie, avait publiquement désigné Blaise Compaoré comme la base arrière de la rébellion. En effet, parlant de l'origine de l'accord de Ouagadougou, et en présence des présidents Blaise Compaoré du Burkina Faso et Amadou Toumani Touré du Mali, le président Gbagbo du haut de la tribune avait à peu près dit ceci: "Devant l'enlisement des accords de Marcoussis, je me suis ouvert à mon frère Amadou Toumani pour lui faire part de mon désir de négocier avec la rébellion. Il m'a alors conseillé d'aller en parler avec Blaise Compaoré dont l'accord emportera aussi son adhésion. C'est Blaise le plus important. C'est ainsi que j'ai approché Blaise qui a accepté le principe de cette paix par la négociation directe. Les accords de Ouagadougou ne sont pas seulement des accords entre les Forces Nouvelles (ndlr les Forces Nouvelles de l'ex-rébellion) et le régime ivoirien mais aussi des accords entre ce régime et le Burkina Faso. C'est pour cela que je suis heureux de leur présence à cette cérémonie…".

J'avoue avoir eu quelques frissons à entendre le président s'exprimer ainsi. Par ces propos, il dénonçait clairement et publiquement l'implication du Burkina Faso et à un degré moindre celle du Mali, dans la crise ivoirienne. A l'occasion de cette cérémonie de "la flamme de la paix" au cours de laquelle un stock d'armes a été détruit, je m'étais rendu à Bouaké à titre de témoin mais surtout pour soutenir le courage du président par la prière. Tout au long de la cérémonie, je priais pour la paix et la sécurité des personnalités présentes. La frayeur née de l'explosion entendue juste après la mise à feu du "fagot" d'armes m'avait persuadé de la justesse des prières des millions d'Ivoiriens.

Si Blaise Compaoré a accepté cette négociation directe qui écartait de fait la France du processus ivoirien et mettait fin à la mission du GTI (Groupe International de Travail) et du premier ministre Charles Konan Banny, tous deux pions de Paris, c'était par pur réalisme politique et non par amour pour les Ivoiriens. En effet, cette proposition de Laurent Gbagbo intervenait après le départ de Kofi Annan de l'Onu et à quelques mois de la fin du mandat de Chirac. Face à l'issue incertaine du duel entre la droite et la gauche françaises par Ségolène et Sarkozy interposés, Blaise Compaoré craignait qu'une victoire des socialistes, alliés de Laurent Gbagbo à l'Internationale Socialiste, ne l'isole et ne le laisse sur le carreau. Face aux éventuels changements d'alliances, Compaoré a choisi la prudence en ne mettant pas ses deux pieds dans la même chaussette.

Du coup, les accords politiques de Ouagadougou (Apo) avaient fait de lui un faiseur de paix et en même temps la super star dans la résolution de la crise ivoirienne. Il était devenu la personnalité la plus chouchoutée de la sous-région. Les pluies diluviennes de septembre 2009 au Burkina Faso lui avaient permis d'engranger un chèque de 500 millions de francs Cfa de la part du président ivoirien. Par solidarité mais aussi sans doute à titre de reconnaissance pour assistance à la Côte d'Ivoire en crise. Auréolé du prestigieux titre de Facilitateur, il avait la haute main sur les principaux acteurs politiques ivoiriens à travers le CPC (Cadre Permanent de Concertation) dont il présidait les réunions en présence de Gbagbo, Bédié, Ouattara et Guillaume Soro. Les rebelles ne pouvaient rien concéder sans son consentement, surtout après la victoire de Sarkozy. Pour les Ivoiriens, la Côte d'Ivoire était dirigée par et depuis le Burkina Faso. Cette frustration était vivement ressentie par acceptée pour la paix qu'elle laissait entrevoir.

Alors qu'il avait là, une chance inespérée de rentrer dans l'histoire et consolider l'amitié et les liens historiques entre les peuples Burkinabè et Ivoirien, Blaise Compaoré a choisi d'en sortir par la petite porte en faisant l'option de la politique partisane, incompatible avec la grandeur. C'est le ministre Paul Akoto Yao qui, face aux dérives tribalistes de son régime, a écrit au président Bédié que "l'on ne peut pas diriger un tout en s'appuyant sur une partie".

Désigné, par le 16ème sommet de l'Union Africaine, pour faire partie du panel des 5 chefs d'état chargé du "règlement de la crise, dans des conditions qui préservent la démocratie et la paix", Blaise Compaoré n'a pu se rendre à Abidjan le 21 février "pour des raisons de sécurité". Il avait pourtant pris part à la réunion préparatoire de Nouakchott du dimanche 20 février. Pour ajourner la venue de Compaoré, les patriotes ivoiriens, pour qui il n'était pas le bien venu, n'ont eu qu'à recourir à une simple photo: celle de son compatriote Thomas Sankara. Les combattants aux mains nues ont encore prouvé qu'ils avaient plus d'un tour dans leur sac. Sans tirer un seul coup de feu, et sans injure, mais "très gentiment et poliment", ils ont réussi à contrarier Blaise Compaoré et ses alliés de la rébellion ivoirienne sans contrarier les relations de fraternité avec le peuple Burkinabè. Faisant d'une pierre deux coups, ils ont réussi à rallier une bonne frange des Burkinabè et des africains à leur cause, car Thomas Sankara reste toujours populaire en Afrique. Son assassinat avait d'ailleurs poussé François Soudan à des articles d'une grande intensité morale dans les colonnes de "Jeune Afrique". Au delà de la mort de Thomas Sankara, François Soudan n'a pas accepté de voir dans cette mort la main de celui dont Sankara disait "le jour que Blaise décide de ma mort, ne faites rien pour l'e empêcher, car il sera trop tard". Son soutien à sa veuve Mariame est resté exemplaire et émouvant pour les générations des campus universitaires de l'époque.

Toléré par les Africains comme les rebelles l'ont été par les ivoiriens, le président Blaise Compaoré a réveillé de vieux démons en voulant abattre politiquement un autre ami qui lui a fait confiance pour la résolution de sa crise, sinon de leur crise. A défaut de son soutien, une neutralité aurait été plus convenable. Mais dès les premiers jours de cette crise postélectorale, le ministre Burkinabè des Affaires Etrangères s'est rallié au camp Ouattara, allant jusqu'à soutenir une intervention armée. Grandeur et décadence d'un homme naguère porté en triomphe en Côte d'Ivoire et dont les meetings de soutien étaient financés par celui qu'il combattait en réalité.

Dans le combat des Ivoiriens qui marchent sur des œufs, il importe de ne pas confondre les dirigeants avec les peuples qu'ils représentent. Même si Sarkozy donne du poids et de la force à ses engagements en écrivant à Youssouf Bakayoko au nom de "la république française (qu'il) représente", pour mieux le pousser à la faute, il n'en demeure pas moins que l'amitié de ce même peuple français pour le peuple ivoirien est restée intacte.

Et comme la nature a horreur du vide, le Sud-Africain Jacob Zuma et l'Afrique Australe –qui ne connaissent plus la peur du "blanc" et la soumission aveugle pour avoir acquis de haute lutte leur liberté après avoir expérimenté les pires humiliations et hypocrisies- viennent de combler le vide laissé par Compaoré qui aura vraiment refusé de renter dans l'histoire. Attendu début mars à Paris, Zuma a déjà annoncé les couleurs. Pour lui, «Tandis que nous respectons les vues de nos amis en dehors du continent, nous aimerions qu’ils sachent que les Africains souhaiteraient plutôt avoir l’opportunité de gérer les problèmes africains, soutenus par les amis en dehors du continent, mais pour l’essentiel la solution doit venir des dirigeants africains eux-mêmes.». Il est seulement dommage que certains des nôtres confondent soutien à Laurent Gbagbo et attachement à la dignité de l'Afrique, au point de chercher à le récuser. N'est-il pas humiliant et humainement dégradant de constater que tout en écrivant à Youssouf Bakayoko que "les textes de la République de Côte d'Ivoire vous offrent une marge limitée pour proclamer les résultats provisoires, comme vous le savez mieux que moi-même", le même Sarkozy le pousse à la faute, pour ne pas dire la bêtise, avec la promesse de "protéger toutes les promesses" qui serviront sa cause. Or donc, Sarkozy sait que la " République de Côte d'Ivoire" est régie par des textes et des lois. A bon entendeur, salut.

Par Sékou Assegoué Godpeace
fraternelleeburnie@yahoo.fr

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