07 janvier, 2011

Côte d’Ivoire : Quand Dominique Pin évoque la « terreur » qu’exercent les « gbagboïstes », il sait de quoi il parle

JPEG - 19.6 ko
Dominique Pin

C’était dans Libération d’hier, mercredi 5 janvier 2011. Dominique Pin, ancien premier conseiller à l’ambassade de France à Abidjan (2000-2002), y évoque la personnalité de Alassane Ouattara. Au lendemain des événements du 18-19 septembre 2002, après que Robert Gueï et une partie de sa famille aient été massacrés et que Ouattara soit dans le collimateur des « escadrons de la mort » de Laurent Gbagbo, c’est chez lui que Alassane et Dominique Ouattara ont trouvé refuge après que l’ambassadeur de France, Renaud Vignal, soit parvenu à les exfiltrer de leur résidence.

Leur séjour chez Pin durera jusqu’à leur départ pour le Gabon. ADO se confiera à Julia Ficatier (« On a tenté de m’assassiner » - La Croix du mardi 24 septembre 2002) et Dominique racontera dans Paris-Match (20 février 2003) ce qui s’était passé alors. Mais au-delà de l’anecdotique (si tant est que l’assassinat d’opposants politiques relève de l’anecdotique), ce qui importe dans ce papier de Pin c’est son rappel de ce qu’est la « terreur » permanente qu’exerce Gbagbo : « Je n’oublierai jamais les charniers de Yopougon, de Monoko-Zohy, les escadrons de la mort, les assassinats du général Guéï, de Rose Guéï, du docteur Dacoury-Tabley, les morts de la mosquée de Daloa, les exécutions dans les quartiers […] Huit ans après, rien n’a changé. Laurent Gbagbo et son clan utilisent la même méthode qui a si bien fonctionné pendant dix ans : la terreur ».

« Rien n’a changé ». Il y a effectivement une permanence dans le mode de production politique de Gbagbo et de sa clique : « la terreur ». Et il convient de ne pas l’oublier. Je ne cesse de l’écrire : avec Gbagbo, le pire est toujours certain ! Et Pin, qui n’est pas un diplomate comme les autres, sait ce que peut être « le pire » en Afrique noire.

Né le 7 mai 1948, il est issu du Centre de formation des journalistes (CFJ). Son CV administratif n’en fait pas mention, mais c’est à Tokyo, en 1972, qu’il a débuté comme attaché de presse avant d’assurer, selon le Quai d’Orsay, des « services » à Tel-Aviv de 1974 à 1978. Stagiaire du cycle préparatoire au concours d’entrée à l’ENA en 1978-1980, c’est cependant par la voie du concours pour le recrutement de secrétaires adjoints des Affaires étrangères qu’il sera admis au Quai d’Orsay le 1er mai 1979. Il a 31 ans. Il est nommé chef du service d’information et de presse à Québec où il va rester de longues années (1980-1985). Il est alors nommé deuxième secrétaire à San José de Costa Rica où il séjournera de 1985 à 1988.

De retour en France, il est affecté à l’administration centrale, direction Amérique, en 1988-1989. De 1990 à 1992, il sera premier secrétaire à Kinshasa (son ambassadeur est Henri Réthoré). Quand Pin a débarqué à Kin, le pays était en effervescence. Mobutu devra « tenter de nouveau l’expérience du pluralisme politique » et nommer un premier ministre, Lunda Bululu. Insuffisant. La rue grondera puis s’insurgera. Premiers morts. Lukoji Mulumba prendra la suite de Bululu. Au cours de l’été 1991, la Conférence nationale va s’ouvrir alors que l’armée met la capitale au pillage. La France interrompt sa coopération et rapatrie ses ressortissants. Le 8 décembre 1992, Réthoré sera remplacé par Philippe Bernard qui sera mortellement blessé le 28 janvier 1993 alors qu’il était dans son bureau.

Revenu à Paris en 1992, Pin va être nommé chargé de mission à la présidence de la République. François Mitterrand est à l’Elysée, mais la victoire de la droite aux législatives du printemps 1993 a propulsé Edouard Balladur à Matignon. Alain Juppé se retrouve au Quai d’Orsay et Michel Roussin rue Monsieur. A l’Elysée, dont le secrétaire général est Hubert Védrine, quatre personnes s’occupent des « affaires africaines » : Thierry de Beaucé, Bruno Delaye, Georges Serre et Dominique Pin. Pin suit tout particulièrement le dossier du Rwanda pendant le « génocide ». En 1995, Jacques Chirac remportera la présidentielle, Pin se retrouvera consul général à Liège, en Belgique (1995-1998) puis à Mexico (1998-2001). Le 7 juin 1999, il sera nommé et titularisé secrétaire des Affaires étrangères.

En 2001, alors que Gbagbo vient d’être élu à la présidence, Pin va rejoindre Abidjan en tant que deuxième conseiller, l’ambassadeur de France : Renaud Vignal. Tous deux militants socialistes, ils vont être également laminés par les événements du 18-19 septembre 2002. L’exfiltration des Ouattara (« Nous étions quatorze dans la maison avec des enfants […] Sans l’ambassadeur de France, Renaud Vignal, nous serions tous morts ») va placer le tandem Vignal-Pin dans le collimateur de Gbagbo. Ils vont être rapidement rappelés à Paris (cf. LDD Côte d‘Ivoire 050/Jeudi 12 décembre 2002).

Au sein du PS, il n’y aura que Guy Penne (La Croix du vendredi 6 décembre 2002) pour « trouver regrettable son rappel. On a voulu faire plaisir au président Gbagbo »). Vignal est mort le jeudi 22 mars 2007 (cf. LDD Côte d’Ivoire 0211/Lundi 26 mars 2007) ; il sera resté la bête noire des séides de Gbagbo. Pin, quant à lui, sera nommé consul général à Séville et, à compter de 2006, consul général à Madrid. Au début du printemps 2007, il va rejoindre le groupe AREVA, numéro un mondial du nucléaire. Il est nommé directeur d’AREVA NC Niger (cf. LDD Niger 014/Lundi 2 avril 2007). Cette nomination intervient alors que Niamey est confronté à une résurgence de la « rébellion touarègue » dans laquelle elle voit la main de Paris. Ou, plus exactement, du groupe AREVA. Ce qui revient au même puisque l’Etat contrôle 90 % de son capital.

Le mardi 26 juin 2007, le colonel (cr) Gilbert Denamur, qui venait tout juste d’être nommé détaché militaire auprès d’AREVA, est rappelé à Paris à la demande des autorités nigériennes. Un mois plus tard, le mercredi 25 juillet 2007, pour les mêmes raisons formulées par Niamey (« liens présumés avec les rebelles touaregs du MNJ »), c’est au tour de Pin d’être expulsé à la suite d’une décision du ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité publique et de la Décentralisation, Albadé Abouba. Commentaire de l’hebdomadaire Le Canard enchaîné : « Pas besoin d’être africanophone ou expert en énergie pour le comprendre : motivée par un prétexte bidon, l’expulsion de Dominique Pin aura servi d’ultime moyen de pression lors des négociations avec AREVA à la fin juillet. Et pour celles qui restent à venir ».

Un an plus tard, Pin va rejoindre le groupe Progosa dirigé par Jacques Dupuydauby. Les deux hommes, habitués aux pérégrinations africaines et politiques (l’un à gauche, l’autre à droite même si Dupuydauby n’aime pas que l’on caractérise ainsi les « gaullistes »), se sont connus à Séville où se trouve le siège du groupe de services portuaires. Jusqu’à ce que les connexions affairo-politiques, qui caractérisent les relations internationales de la France « entrepreneuriale » avec les chefs d’Etat africains, aient raison de l’implantation de Progosa au port de Lomé, son point d’appui pour son déploiement continental face à la toute puissance « sarkozienne » du groupe Bolloré. Les coups d’Etat, cela existe aussi dans le monde des « affaires ».

Implanté au Togo au nom du père (Gnassingbé Eyadéma), Progosa en sera banni, du jour au lendemain, au nom du fils (Faure Gnassingbé) ; avec la bénédiction de Vincent Bolloré et de Nicolas Sarkozy (sans oublier l’inénarrable « conseiller » - et juriste - français : Charles Debbasch qui est à la « saga » de Faure Gnassingbé ce que Roland Dumas voudrait être à celle de Gbagbo !). Dominique Pin a aujourd’hui rejoint sa famille à Besançon où il s’efforce d’endiguer le cancer qui le ronge. Ce qui ne l’empêche pas de monter, quand il le peut, en première ligne, pour dénoncer celui qui ronge la Côte d’Ivoire : la « terreur » exercée par Gbagbo contre les Ivoiriens.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire