06 janvier, 2011

Côte d’Ivoire : La fermeté de Young-Jin Choi , un pôle d’ancrage et une raison d’espérer pour les « légalistes »

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Young-Jin CHOI et Blaise COMPAORE

Il faudra rendre hommage à cet homme. Non seulement en Afrique mais en Asie (d’où il est originaire) et au sein de l’ONU à laquelle il a redonné ses lettres de noblesse.

Stephen Smith, qui a longtemps surfé sur la dénonciation de la « Françafrique » et de ses connexions avec les institutions internationales, l’avait souligné, déjà, voici près d’un mois dans Le Figaro (10 décembre 2010) : « Pour la première fois, écrivait-il, un représentant spécial des Nations unies, le Sud-Coréen Choi Youn-Jin, ne s’est pas contenté « d’observer » une élection en se liant les mains. Il a pris ses responsabilités en soutenant le vainqueur des urnes désigné par la Commission électorale indépendante. Un acte de bravoure dans la vie internationale ».

Alcide Djédjé, conseiller diplomatique de Laurent Gbagbo, et représentant permanent de la Côte d’Ivoire auprès des Nations unies à New York, s’était emporté, justement, contre cette « acte de bravoure », dénonçant en Choi un « agent de déstabilisation » et menaçant de demander son rappel : « Ses propos sont très graves. C’est la dernière fois qu’il se comporte ainsi. Nous le mettons en garde ». Djédjé n’est plus rien à New York ; et n’est plus, à Abidjan, que le ministre des Affaires étrangères d’un gouvernement fantoche ; un ministre des Affaires étrangères tellement démuni de tout pouvoir « international » qu’on n’est même pas sûr qu’il ait encore de l’autorité sur sa femme et encore moins sur son « deuxième bureau ».

Choi 1, Djédjé 0. Et ce n’est pas fini. Djédjé a oublié que le jeudi 11 janvier 2007 (il y a trois ans), il avait été le premier ambassadeur à présenter ses lettres de créance au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. A cette occasion, il avait transmis un message de Gbagbo demandant « aux Nations unies de soutenir ses dernières propositions de sortie de crise et de privilégier les initiatives internes de résolution des conflits en Afrique, les Nations unies devant jouer un rôle de facilitation et d’accompagnement ». Répondant aux attentes de Gbagbo, Ban Ki-moon avait nommé, le 19 octobre 2007, Young-jin Choi comme son représentant spécial en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, Djédjé, qui n’aime pas perdre, n’aime plus les Nations unies !

Choi 2, Djédjé 0. Né en 1948, à Séoul, Choi va étudier, d’abord, la médecine dans la capitale de la Corée du Sud, puis les relations internationales à Paris ; il a obtenu une maîtrise en 1980 et un doctorat en 1985 à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne. C’est en Afrique, à Dakar, où il a été en poste en 1977-1978, qu’il s’est initié, sur le terrain, à l’action diplomatique. De 1979 à 1981, il intégrera l’ambassade à Paris avant de rejoindre Séoul en tant que directeur de la division des échanges culturels. Ce sera ensuite Tunis comme conseiller politique (1983-1985) puis à nouveau Séoul en tant que directeur de la division des organisations internationales (1986). En 1988, il sera nommé conseiller économique à Washington avant de rejoindre le cabinet du ministre de la Planification des politiques (1991-1993) et d’être promu directeur général du bureau des affaires économiques internationales au ministère des Affaires étrangères puis directeur exécutif adjoint de l’organisation en charge du développement de l’énergie dans la péninsule coréenne, poste situé à New York.

C’est alors que Choi va rejoindre l’ONU : il est sous-secrétaire général aux opérations de maintien de la paix des Nations unies (1998-1999) ; il va superviser la planification et l’appui à dix-sept opérations au Kosovo, au Timor, en Sierra-Leone, en RDC…En 2001, il reviendra à Séoul comme vice-ministre de la Planification des politiques et des organisations internationales en charge la planification des relations internationales, des questions de désarmement, de non-prolifération, des droits de l’homme, des affaires nord-coréennes, etc. En 2002, il est nommé ambassadeur à Vienne (avec attributions pour la Slovénie) où se trouve notamment le siège de l’AIEA (qui s’occupe des questions liées au nucléaire) avant de revenir au sein du ministère des Affaires étrangères en 2003 et d’être nommé vice-ministre des Affaires étrangères en 2004.

Retour aux Nations unies de 2005 à 2007, en tant que représentant permanent, avant sa nomination comme représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire le 19 octobre 2007. Ban Ki-moon et Choi se connaissent bien ; le premier était ministre des Affaires étrangères quand le second était vice-ministre. Ils ont eu à gérer des dossiers délicats, notamment l’abandon du programme nucléaire de Pyongyang (capitale de la Corée du Nord) en échange de garanties de sécurité et d’une assistance économique. Ban Ki-moon prendra ses fonctions à la tête des Nations unies alors que la « crise ivoiro-ivoirienne » s’est enlisée et que la perspective de l’organisation d’une présidentielle semble chaque jour plus éloignée. Choi débarquera à Abidjan après que le processus ait été relancé dans le cadre des « accords de Ouagadougou ». L’espérance renaissait mais chacun savait quelle était la vraie nature de Gbagbo et de sa clique.

Face à Gbagbo, ni Ban Ki-moon ni Choi ne vont céder sur l’essentiel. Une patiente diplomatie mais sans jamais lâcher la pression. Identification des populations, élections, réunification étaient les trois étapes indispensables pour tirer un trait sur la « crise ivoiro-ivoirienne ».

Alassane Ouattara gagne ; Gbagbo perd mais entend jouer les prolongations. Choi le dit clairement : il est là parce que « les dirigeants ivoiriens ont demandé aux Nations unies de jouer ce rôle de certification des résultats de l’élection ». Et il précise que « le résultat [de la présidentielle] donne la victoire à Alassane Ouattara » ; il ajoute : « Même si toutes les réclamations déposées par la majorité présidentielle sont prises en compte » cette victoire demeurerait incontestable. Et ce n’est pas le coup de force de Gbagbo via le Conseil constitutionnel qui va le faire bouger d’un pouce : il n’a qu’un seul patron : le Conseil de sécurité. Qui va jouer son rôle tandis que Choi va pousser le bouchon plus loin faisant état des violences et des atteintes aux droits de l’homme imputables aux « gbagboïstes ». Il sera dès lors bien difficile à Gbagbo de trouver des soutiens crédibles hors de « mercenaires » et retraités de la diplomatie, de la justice, de la littérature.

La fermeté des Nations unies, à New York comme à Abidjan, malgré les provocations de Gbagbo et de sa clique, permet à Ouattara d’avoir un point d’ancrage fort autour duquel il peut fédérer les soutiens de la « communauté internationale ». Le mandat de l’ONUCI a été prolongé, le Conseil de sécurité s’est prononcé, à l’unanimité, contre le coup de force de Gbagbo et un nouvel ambassadeur a été accrédité comme représentant permanent de la Côte d’Ivoire auprès des Nations unies. Dès le lundi 3 janvier, il était opérationnel occupant le fauteuil de Djédjé. Et ce n’est pas un nomenklaturiste du FPI mais un diplomate de carrière qui a une réelle expérience internationale et a exercé, par le passé (1996-1998), cette même fonction : Youssouf Bamba.

Choi 3, Djédjé 0. Voilà un ministre des Affaires étrangères qui ne maîtrise plus ses ambassadeurs. Et cela commence à New York en attendant que le vent du changement souffle sur d’autres capitales. Là encore, l’ONU a joué le jeu ; sans attendre ; sans hypocrisie ; sans faux-fuyants bureaucratiques. En un temps où la « trêve des confiseurs » vide les bureaux. Face à Gbagbo, l’ONUCI s’affirme comme le bouclier de la « légalité ». Reste à demander son glaive à Saint-Michel pour terrasser définitivement le dragon. Et ce pourrait bien être les « évangélistes » qui s’en chargeront. Ils jouent, à Abidjan, leur crédibilité et leur devenir en Afrique de l’Ouest.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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