04 décembre, 2010

Côte d’Ivoire : Dramatique et ignominieuse (possible) sortie de piste pour Laurent Gbagbo

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Laurent Gbagbo

Avec Laurent Gbagbo, pas de surprise ; quoi qu’il fasse, on est toujours certain que c’est au pire qu’il faut s’attendre. Le drame, avec cet homme-là, c’est qu’il représentait, pour un certain nombre de commentateurs, une autre façon d’être président de la République en Afrique. « Opposant historique », « universitaire », « homme de gauche », « socialiste »…, il avait une image en rupture avec celle que véhiculent généralement les médias dès lors qu’ils s’intéressent à l’Afrique.

Rien d’un « sous-off » quasiment analphabète ou d’un officier subalterne putschiste ambitionnant de devenir, rapidement, officier supérieur et, pourquoi pas, général ; rien d’un « fils à papa » ; rien d’un despote mégalomane… Non, Gbagbo c’était le « prof » syndiqué qui s’était lancé en politique parce qu’il voulait une société africaine plus ouverte, plus sociale, plus juste, plus humaine… C’était le leader « socialiste » qui, en 2000, s’était opposé à la conquête du pouvoir par un général dévoré d’ambition, c’était une nouvelle génération d’homme d’Etat africain qui, ayant dit « non » à la « Françafrique » et à ses réseaux, sera confronté à une tentative de coup d’Etat en 2002 et subira, en 2004, les foudres d’une armée française d’occupation. Gbagbo, c’était tout cela.

Et beaucoup de ceux qui n’avaient jamais rechigné, par le passé, à célébrer le culte de quelques personnages politiquement douteux mais socialement bien placés, rejetant, du même coup, un homme qui était catalogué « opposant », se sont largement investis dans la promotion d’un Gbagbo, chantre d’une République de Côte d’Ivoire indépendante et souveraine. Autant dire, qu’une fois encore, avec ce qui vient de se passer à Abidjan, l’Afrique en prend un sale coup.

En l’espace d’un mois, entre un premier tour de la présidentielle (31 octobre 2010) dont tout le monde avait salué la bonne tenue (plus de 80 % d’électeurs et pas d’affrontements majeurs) et le nouveau putsch électoral d’hier soir, jeudi 2 décembre 2010, organisé par Gbagbo et ses séides, la République de Côte d’Ivoire vient, une fois encore, de se « planter grave » (comme pourrait le dire Gbagbo qui aime s’afficher « populaire »). Et quelle que soit l’issue de la nouvelle « crise ivoiro-ivoirienne » qui vient tout juste d’émerger, nul doute que les conséquences en seront dramatiques pour le pays et sa population. Il faudra faire, un jour, le listing de tous ceux qui sont impliqués dans ces dérives successives et dont le discours anachronique suscite, sans cesse, l’exclusion.

Ce qui se passe aujourd’hui n’est que l’évolution logique du mode de production politique de Gbagbo. C’est le « J’y suis, j’y reste » (Jeune Afrique du 17 octobre 2010) qu’il n’a jamais cessé d’affirmer. La première surprise (pour lui) a été qu’il ne soit pas parvenu à s’imposer (comme il le claironnait : « Vraiment y a rien en face ») dès le premier tour ; la deuxième surprise (pour lui) a été que, obligé de subir un deuxième tour, son challenger ne soit pas un Henri Konan Bédié passablement diminué politiquement (mais toujours présent « ethniquement » parlant) mais un Alassane Ouattara qui, en dix années de présence politique sur le terrain, a appris à être plus pugnace qu’il ne l’était par le passé.

Le Gbagbo 2010 n’est pas différent du Gbagbo 2000 ou 1990. C’est le même homme. Ce qui change c’est le regard que les Ivoiriens, les Africains et le Reste de Monde, portent désormais sur lui. En 1990 et en 2000, déjà, Gbagbo n’était pas l’homme de la situation. A vrai dire, en 1990, il n’y avait pas trop le choix et la question ne se posait pas vraiment. En 2000, Gbagbo s’est organisé pour qu’il n’y ait plus de choix du tout. Et en 2010, il ne supporte pas le choix qui est fait. « Planté grave ». Et il va avoir du mal à sortir de la nasse dans laquelle il s’est engouffré.

Le « prof » d’histoire aurait dû réviser la période 1993-1999. Un certain Bédié, à force de fustiger un Ouattara qui ambitionnait de faire carrière à l’international plutôt qu’à la tête d’une Côte d’Ivoire à « l’ambiance délétère », en avait fait le porte-drapeau de ceux qui ne supportaient plus une République de l’exclusion. Gbagbo vient de faire de Ouattara un homme politique crédible, responsable, sincère, authentique, cohérent… à cent mille lieues d’un Gbagbo roublard, menteur, tricheur… A gauche comme à droite, en France comme ailleurs, le vainqueur de la présidentielle 2010 est Ouattara dont la photo s’étale dans tous les quotidiens. Gbagbo est non seulement le perdant mais, plus encore, le mauvais perdant.

Son camp (ou ce qu’il en reste) peut bien affirmer que la victoire annoncée de Ouattara était une « tentative de coup d’Etat » des Français (il n’y a que L’Humanité pour soutenir cette thèse) alors que Gbagbo ne cessait d’affirmer que depuis le remplacement, à l’Elysée, de Jacques Chirac par Nicolas Sarkozy, « il dort enfin sur ses deux oreilles », Pierre Kipré, son ambassadeur à Paris, qui s’est révélé incapable d’organiser une élection présidentielle crédible pour la diaspora ivoirienne en France, peut bien affirmer que « ce n’est pas la communauté internationale qui vote en Côte d’Ivoire mais les Ivoiriens » (il convient de rappeler que Kipré, « intellectuel » ivoirien adepte de la transhumance politique, déclarait au temps de Félix Houphouët-Boigny : « Multipartisme : quand j’entends ce mot, je vois rouge »), la crédibilité de Gbagbo et de sa clique est égale à zéro.

Près de 300 millions d’euros ont été dépensés (ou, plus exactement, encaissés) pour organiser cette mascarade (tandis que l’ONUCI coûte 500 millions de dollars par an). Car c’est bien d’une mascarade qu’il s’agit dès lors qu’il était avéré, depuis dix ans, que Gbagbo était arrivé au pouvoir par un concours de circonstances qui n’avait pas grand-chose à voir avec le hasard, et qu’il s’y est maintenu grâce à la proximité de certains de ses séides avec des groupes « mafieux ». C’est à cause de ces connexions et compte tenu des engagements qui ont été pris avec les uns et les autres que Gbagbo sait jusqu’où il peut aller aujourd’hui et… demain. Jusqu’à la rupture avec une « communauté internationale » dont l’éthique est à géométrie variable et qui ne tardera pas à reprendre langue avec un pays qui demeure le premier producteur de cacao dans le monde.

Quand, au début des années 2000, quelques uns ont qualifié la Côte d’Ivoire de « poudrière identitaire » (cf. LDD Côte d’Ivoire 001/Jeudi 18 octobre 2001), les commentateurs se sont gaussés. Aujourd’hui, Georges Adon, représentant de la communauté Sant’Egidio, explique dans La Croix (vendredi 3 décembre 2010) : « Certains ont intérêt à créer des oppositions entre les membres des différentes ethnies et des différentes religions […] Auparavant, les « étrangers » n’avaient jamais été identifiés comme tels en Côte d’Ivoire. Le concept [d’ivoirité] a d’abord été utilisé dans un contexte culturel, mais il a ensuite été détourné pour devenir un instrument politique. Le problème, c’est qu’à force de répéter des slogans, les gens finissent par y croire. Si cela continue, je suis inquiet pour les générations à venir ».

Mettons un nom sur ces « certains » évoqués par Adon ! Gbagbo va rester dans l’Histoire de la Côte d’Ivoire comme le chantre du « multipartisme » dans les années 1990 et le fossoyeur de la démocratie dans les années 2000. Il risque d’y figurer, aussi, pour avoir fait basculer définitivement l’économie dans les réseaux « mafieux ». Il espère avoir encore cinq ans devant lui pour y parvenir. Sauf à penser comme Blaise Compaoré en 2002 qu’il pourrait finir devant le Tribunal pénal international (TPI) « pour répondre des nombreuses exactions commises par ses partisans ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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