22 octobre, 2010

Sud-Soudan : les frontières africaines sont-elles menacées ?


Le président soudanais, Omar el-Béchir, avec le chef sudiste, Salva Kiir, vice-président. Le président soudanais, Omar el-Béchir, avec le chef sudiste, Salva Kiir, vice-président. © Ebrahim Hamid/AFP

La perspective du référendum d’autodétermination, prévu le 9 janvier 2011, est lourde de menaces pour le pays. Cette chronique d’une partition annoncée constitue aussi un accroc majeur à l’intangibilité des frontières sur le continent.

Après vingt-deux années d’une guerre civile atrocement meurtrière (2 millions de victimes), l’accord de paix, en 2005, entre l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) et le régime de Khartoum constituait une porte de sortie honorable pour les deux parties. Le contexte était favorable. Le conflit du Darfour avait déjà débuté, mais le président Omar ­el-Béchir n’était pas encore poursuivi par la justice internationale. Et puis, surtout, John Garang, le leader emblématique du Sud, mais populaire jusque dans le Nord, laissait entrouverte la perspective d’une cohabitation pacifique au sein d’un seul et même ensemble.

Depuis, Garang est mort dans un accident d’hélicoptère, et le pouvoir de Khartoum s’est barricadé, multipliant les entraves aux préparatifs du vote. Listes électorales, ligne de démarcation, accord sur le partage des richesses pétrolières : rien n’est prêt. Ce qui fait craindre une proclamation unilatérale d’indépendance et une reprise des hostilités, tandis que le chef sudiste, Salva Kiir, menace d’organiser son propre référendum.

Voir l'infographie "Une partition lourde de conséquences"

Mais, au-delà du Soudan – où les forces centrifuges sont confrontées à un régime autoritaire incapable d’associer les minorités –, cette chronique d’une partition annoncée a une résonance sur l’ensemble du continent. Après l’Érythrée – qui a arraché par les armes son indépendance en 1993 au grand voisin éthiopien­ –, le Sud-Soudan constituerait le premier accroc par la voie des urnes au principe de l’intangibilité des frontières. Admise au Caire, lors du deuxième sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), en 1965, cette pierre angulaire de la diplomatie africaine était accompagnée d’une règle non écrite : la non-ingérence dans les affaires intérieures. Cette doctrine a prévalu lors de la guerre du Biafra, au Nigeria, de 1967 à 1970. S’appuyant sur ce principe, la France a soutenu le régime tchadien de Hissène Habré, dans les années 1980, face à la menace du rebelle Goukouni Weddeye, appuyé par la Libye, qui cherchait à mettre la main sur la bande d’Aouzou. Et c’est finalement l’application de cette jurisprudence qui a provoqué la colère marocaine lorsque l’OUA a admis la République arabe sahraouie démocratique (RASD). En 1984, le royaume a quitté l’organisation.

Coup de canif soudanais

Aujourd’hui, ce coup de canif soudanais pourrait-il donner du souffle à d’autres mouvements indépendantistes ? « Le Soudan est un État issu de la colonisation, avec des frontières taillées à la hussarde et de profondes différences culturelles et religieuses entre communautés. Il existe de nombreuses situations similaires sur le continent », explique l’historien congolais Elikia M’Bokolo, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), à Paris. « Nous avons tous un Nord et un Sud. Si on accepte l’éclatement du Soudan, l’effet domino sera inévitable et ce serait une catastrophe pour le continent », déclarait, en avril dernier dans nos colonnes, le président tchadien Idriss Déby Itno. Quant à l’Union africaine, sans s’opposer à un référendum garanti par un accord de paix, elle n’a jamais caché sa réticence à voir le Soudan se scinder. « Unité » et « intégration régionale » sont des mots davantage entendus au sein du club des chefs d’État qu’« indépendance » ou « sécession ». Par peur du risque de contagion.

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Les plus évidents sont connus. Cela va du Sahara occidental au Cabinda enclavé en passant par la Somalie dépecée, le Tchad traversé par des antagonismes guerriers, la Casamance séparée de Dakar par la Gambie et l’insulaire Anjouan. Sans oublier deux géants. Au Nigeria, si le séparatisme biafrais est en sommeil, les combattants du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (Mend) ont revendiqué le double attentat à Abuja le 1er octobre, qui a fait douze morts. Quant aux populations musulmanes du Nord, « il n’est pas interdit de penser qu’elles puissent considérer, un jour, qu’elles n’ont rien en commun avec celles du Sud », fait remarquer M’Bokolo.

En RD Congo, il suffit d’observer la fracture électorale Est-Ouest lors de l’élection présidentielle de 2006 pour évaluer l’importance de ces clivages. Et puis il y a l’histoire. Dans le Kasaï, on se souvient d’Albert Kalonji, qui, en 1960, s’est proclamé empereur des Lubas et chef d’État du Sud-Kasaï. Dans le Katanga, les appels pressants au fédéralisme, l’hymne, le drapeau… démontrent que la nostalgie de l’éphémère sécession de 1960 est vivace. Dans la province du Bas-Congo, le mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo donne du fil à retordre au pouvoir central.

Pressions communautaires

« Les identités nationales ont été proclamées, mais sont rarement vécues au quotidien. L’homogénéisation du territoire ne s’est pas encore faite, car cela demande du temps, d’autant plus que les pouvoirs – lieu d’accaparement et de redistribution des richesses – ont accentué les pressions communautaires », analyse M’Bokolo, qui en appelle à la décentralisation et à une « démocratie participative à l’échelle des hommes ». La feuille de route suggérée : inventer des modèles moins englobants et assumer les identités locales pour cimenter une cohésion nationale et préserver l’intégrité territoriale.

« Les velléités séparatistes sont résiduelles », tient toutefois à relativiser Pierre Boilley, professeur d’histoire à l’université Paris-I et directeur du Centre d’études des mondes africains (Cemaf), qui ne croit pas à une balkanisation du continent. Il est vrai aussi que certains schématismes sont trompeurs. À y regarder de plus près, les revendications touarègues sont plus intégrationnistes que sécessionnistes : plus d’écoles, de routes, d’hôpitaux… En Côte d’Ivoire, les nordistes qui ont pris les armes en 2002 réclamaient avant tout une citoyenneté pleine et entière. « La gestion de l’espace, l’autorité de l’État et la redistribution économique posent problème, mais pas les frontières », conclut Boilley. Depuis les indépendances, un quart seulement des conflits africains ont été frontaliers. Tous les autres relevaient surtout d’une lutte pour le pouvoir.

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