18 octobre, 2010

Le porte-avions Charles de Gaulle a-t-il le mauvais oeil ?

Le porte-avions Charles de Gaulle a-t-il le mauvais oeil ?

Le porte-avions Charles de Gaulle a accumulé les déboires depuis sa mise à l'eau il y a 16 ans © Sipa

Et si le porte-avions Charles de Gaulle était victime du mauvais oeil ? Tous les navires de guerre - concentrés de la technologie de leur époque - ont le droit de connaître des déboires. Mais là, c'est trop ! Non seulement la nouvelle panne du navire-amiral de la marine française lui interdit de partir pour une nouvelle mission de quatre mois dans l'océan Indien - ce qui constitue en soi une exécrable nouvelle pour le chef des armées qui avait décidé de l'y envoyer ! -, mais de surcroît, cette avarie survient alors que le salon Euronaval doit s'ouvrir le 25 octobre prochain au Bourget (Seine-Saint-Denis), non loin de Paris. Une importante visite de délégations étrangères est prévue à Toulon dès le dimanche 24 octobre, où quelques fleurons de la flotte française doivent leur être présentés. Le porte-avions aurait dû être l'absent de marque, mais pour la bonne cause. On entendait déjà le discours : "Il est en opérations, parti à la guerre." Roulez tambours, sonnez trompettes ! Mais caramba ! encore raté...

Des avaries en pagaille

Dans une rare conjonction de déboires, notre fier vaisseau a accumulé les pépins depuis sa mise à l'eau, voici seize ans. Les fantaisistes s'en donnent déjà à coeur joie, comme Nicolas Canteloup ce lundi matin, et la marine en prend pour son grade. C'est très injuste, mais c'est comme ça : on retient l'hélice cassée, les protections radiologiques ajoutant 4 000 tonnes à ce monstre, la première sortie de la rade de Brest interrompue par une vulgaire tempête. Notre porte-avions national a également connu les condenseurs cacochymes, la peinture trop corrosive, le pont d'envol trop court, les vitres de la passerelle opaques, les électropompes en surchauffe, les safrans pas assez inclinés. Jusqu'à l'éthylène glycol des presses de frein des catapultes à vapeur défectueux ! Sans compter les avaries d'une pièce proche de l'arbre d'hélice, qui furent les plus longues à réparer.
Alors commandant du navire, le capitaine de vaisseau Édouard Guillaud (aujourd'hui chef d'état-major des armées) expliquait au Point dans son numéro du 23 février 2001 :" Sur ce bateau, durant sa construction, nous avons rencontré un problème par jour et trouvé une solution par jour. Un jour, alors que je commandais en second, je me suis énervé, car on avait beau chercher, on ne trouvait pas l'interrupteur pour éteindre une coursive ! "

La faute à qui ? Certainement pas à la marine, qui fait avec les outils que lui donne le gouvernement. Ce n'est pas davantage la faute du concepteur/constructeur du navire, l'entreprise DCNS, qui a fabriqué avec le Charles de Gaulle le " navire le plus sophistiqué jamais construit en Europe ". Alors qui ? Le mauvais oeil, bien sûr...


Les dieux de la mer hostiles au porte-avions

À en croire les marins, qui sont les êtres les plus superstitieux au monde, des dizaines d'éléments sont à proscrire pour les bateaux. Les lapins - qui dévorent les cordages - et les avocats - semant la zizanie dans l'équipage - en font partie, mais il y en a bien d'autres, que l'on retrouvera ici. Parmi tous les interdits, il en est un synonyme d'absolue garantie de déconvenues : le changement de nom... Or, lors de sa mise en chantier voici un quart de siècle, le nouveau porte-avions français portait le nom de Richelieu, proposé par les marins et entériné par le gouvernement de Laurent Fabius. En 1987, alors que la cohabitation entre le président François Mitterrand et le Premier ministre Jacques Chirac bat son plein, les marins finauds, mais oublieux de la tradition, proposent de changer le nom du navire. Ils veulent garantir la conduite du chantier à son terme. Et quelle meilleure caution que le nom du fondateur de la Ve République ? Le président Mitterrand n'y voit rien à redire quand Jacques Chirac pousse à la roue, et le 18 mai 1987, c'est chose faite : à l'île Longue, le Premier ministre annonce le nouveau nom de baptême du porte-avions nucléaire. Les ennuis suivront...
Nous ne sommes pas des adeptes de la pensée magique et des superstitions, mais les avocats du diable retiendront que les changements de nom sont vraiment néfastes : le fameux Dauphin-Royal, 118 canons, fut renommé Sans-Culotte en septembre 1792, puis Orient en 1795. C'est lui qui amena Napoléon Bonaparte en Égypte, avant d'exploser sous les coups de la Royal Navy durant la bataille d'Aboukir. Le 21 octobre 1805, le magnifique Redoutable est coulé à Trafalgar. Rien d'étonnant puisqu'il portait auparavant le nom de Suffren ! On retiendra aussi que l'Impétueux, lancé en 1757, fut rebaptisé Ville de Paris cinq ans plus tard, pour honorer les donateurs de la capitale française qui avaient permis de le maintenir à flot. Pris par les Anglais lors de la bataille de Saintes en avril 1782, le navire coula dans une tempête cinq mois plus tard. Depuis, on considère comme impossible de donner le nom d'une ville à un bateau de guerre. Une municipalité qui souhaite s'attacher à un navire doit se contenter d'en devenir la " ville-marraine ". Qui est celle du porte-avions Charles de Gaulle ? Paris...


Loi de Murphy

Les mauvais augures n'ont pas oublié des drames récents : en 1993, le sous-marin nucléaire d'attaque Rubis (initialement baptisé Provence) entre en collision avec le pétrolier Lyria, sans faire de blessé. Son commandant est relevé. En 2000, le sous-marin nucléaire d'attaque Saphir (initialement baptisé Bretagne) a été mis six mois à l'arrêt, après la découverte d'un niveau de radioactivité anormal dans le circuit primaire de son réacteur nucléaire.


Mais les superstitieux en sont pour leurs frais : en 1994, lors d'une tragédie, dix sous-mariniers trouvent la mort à la suite d'une explosion à bord du sous-marin nucléaire d'attaque français Émeraude, qui n'a jamais eu d'autre nom que celui-là. Et nous avons croisé, l'autre jour, en rade de Toulon, la fière frégate Aconit, ex-Jauréguiberry, qui avait l'air de se porter comme un charme ! Si le mauvais sort semble s'acharner sur le Charles de Gaulle, il ne faut pas en chercher les causes ailleurs que dans des déboires techniques dus à des causes classiques : une accumulation de petits défauts, dont les conséquences surviennent aux pires moments. Ce qu'en d'autres termes on appelle la loi de Murphy, aussi connue sous le nom de "loi de l'emmerdement maximum".

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