09 septembre, 2010

Hausse de la mendicité en Tunisie durant le Ramadan


Le mois sacré est synonyme de générosité et de compassion, mais aussi d'une population de mendiants toujours plus importante.
Nous les voyons tous les jours, devant les mosquées et dans les lieux publics : femmes, hommes, personnes âgées et handicapées, tous demandent une aumône. En Tunisie, le nombre de mendiants augmente en proportion égale du sentiment de charité et religieux.

M. Hammadi est assis dans son fauteuil roulant à un angle de rue proche de la station de métro Habib Thameur. Cet homme handicapé s'est retrouvé orphelin il y a quelques années, sans maison ni biens. La rue a été sa seule option, explique-t-il.

Son revenu journalier augmente les vendredis et durant les fêtes religieuses.

Bien qu'il n'existe aucun chiffre précis du nombre de mendiants, il apparaît clairement que, durant le mois du Ramadan, le phénomène s'amplifie dans la société tunisienne. Un nouveau mendiant vient presque chaque jour s'ajouter à la liste.

"Les gens ont trouvé de nouvelles manières de mendier", explique Mahdi ben Mabrouk, professeur de sociologie à la Faculté des arts et des lettres de Tunis.

Non loin d'Hammadi, Taib Hamdi est assis à l'entrée de la bouche de métro, la tête penchée et la main tendue vers les passants. De temps en temps, il en appelle à leur générosité.

Bien que lui et sa femme souffrent de handicaps physiques qui les empêchent de travailler, il n'a pu bénéficier de l'assistance ou des dons que l'Etat accorde aux personnes ayant des besoins spéciaux. Il explique n'avoir reçu aucune réponse à ses demandes d'aide de la part du gouvernement pour lui permettre de subvenir aux besoins de sa famille et permettre à ses enfants de poursuivre leurs études.

Plus loin, devant la mosquée al-Fateh, dans la rue Horreya, des mendiants sont postés à chacune des trois entrées du bâtiment. Ils attendent la sortie des fidèles après les prières de la mi-journée. Ils racontent des histoires de malheur et de misère aux fidèles, tout en leur souhaitant bonne chance. Certains passants s'arrêtent et offrent quelques pièces, d'autres les ignorent.

Il est devenu très difficile de savoir la vérité sur les personnes qui pratiquent la mendicité. On ne peut en effet savoir avec certitude si un mendiant est pauvre et a effectivement besoin d'aide, ou s'il s'agit seulement d'un paresseux, avide de gagner de l'argent facile.

"Ils ne sont pas pauvres. Ils font semblant", explique Kamel al-Ayeb à Magharebia, en s'empressant de passer sans les regarder.

"La mendicité est devenue une professon pour eux", ajoute-t-il.

De nombreux Tunisiens sont également assez dubitatifs.

Karim Farchichi estime que la plupart des mendiants sont de pseudo-artistes qui fabriquent des mensonges de toutes pièces pour susciter la compassion, la sympathie et obtenir de l'argent de leurs concitoyens.

Karim nous a raconté une fois où il se trouvait dans le métro, et où un mendiant est entré, affirmant qu'il était aveugle et en très mauvaise santé. De nombreux passagers ont eu pitié, et lui ont donné de l'argent.

A la station suivante, il est sorti de la rame du métro, a ouvert les yeux et a commencé à compter les dinars qu'il avait gagnés.

"Nous en avons assez d'entendre ces suppliques et tout ce vocabulaire de bons voeux", explique Fathia Mahri. "Nous connaissons leurs trucs, il faut trouver une solution qui nous débarrasse de ces opportunistes que l'on voit tous les jours, où que l'on aille."

"Tout mendiant dont il est prouvé qu'il a exploité les membres de la société pour gagner de l'argent doit être puni", poursuit Fathia. Mais pour Abd Aziz Akrout, ceux qui s'abaissent à mendier ne le font que parce qu'ils n'ont pas d'autres choix.

"Bien sûr qu'il y a des gens qui vivent dans la pauvreté et le besoin", reconnaît Senda Jerbi. "C'est notre devoir moral et religieux de les aider autant que nous pouvons le faire à avoir une vie meilleure."

Pour Ayman Mbarki, la mendicité est une maladie dont souffre certains Tunisiens. "Ils ont besoin d'un traitement qui les soulage de cette affliction", explique ce jeune homme à Magharebia.

"Le fait qu'il y ait encore des gens qui mendient est bien le signe qu'il y a un problème qui doit être réglé", ajoute-t-il.

Le professeur de sociologie Sami Nasser est l'auteur de plusieurs enquêtes sur la mendicité. Il est arrivé à la conclusion que si l'une des raisons principales à ce phénomène est la pauvreté, une autre est la migration des familles quittant les campagnes.

Dans les régions rurales, les pauvres trouvent des personnes qui les aident à subvenir à leurs besoins sans même poser de questions, explique-t-il.

"Ils viennent en ville, où existe un manque de communication et une absence quasi totale de compassion et de pitié ; cela incite les personnes nécessiteuses à mendier pour gagner leur pain quotidien", poursuit-il.

Selon les derniers chiffres officiels publiés en 2007, le taux de pauvreté en Tunisie s'établit à 3,8 pour cent. Le pays tente de mettre en place une politique qui garantisse des conditions de vie décentes à toutes les couches sociales.

Dans ce but, le Président Zine El Abidine Ben Ali a présidé le 21 juillet un conseil des ministres consacré à l'examen des conditions sociales. Il a été décidé d'intensifier l'aide aux familles dans le besoin et aux revenus limités. Le gouvernement s'est également engagé à travailler pour réduire le taux de pauvreté en accordant des dons à toutes les familles dans le besoin qui s'inscriront sur un fichier national avant 2014.

Une partie du Fonds de solidarité nationale a déjà été alloué à l'amélioration des conditions de vie dans les quartiers pauves de la capitale. De plus, l'Etat permet aux familles indigentes de bénéficier d'une aide pour les fêtes et d'autres occasions spéciales, et assure des possibilités d'emploi pour un ou plusieurs membres de ces familles.

La Tunisie aide également ses citoyens âgés ne bénéficiant d'aucun soutien familial en les plaçant dans des familles d'accueil. Cette initiative de soins à domicile vient compléter le travail des centres et des associations qui se consacrent à apporter aux seniors tunisiens un toit et des soins. Mais ces programmes ne couvrent pas encore toutes les familles dans le besoin. Arabia Abidi, âgée de la cinquantaine, est l'une de ces personnes qui est passée malgré elle à travers les mailles du filet.

Originaire d'une région rurale au nord-ouest du pays, elle est venue à Tunis il y a plus de deux ans pour aider sa famille : un mari malade et deux fils encore scolarisés. Elle explique avoir commencé à mendier après avoir frappé à de nombreuses portes en quête d'un travail, mais son âge et son illetrisme l'ont empêchée d'être embauchée.

Arabia Abidi a choisi la place Bab Saadoune comme son lieu de mendicité principal. Parfois, elle se rend vers les mosquées et les quartiers résidentiels pour y gagner son pain quotidien. Pour inciter les passants à lui donner quelques pièces, elle leur adresse des voeux de bonne fortune.

"Que Dieu vous aide ! Aidez-moi, et Dieu vous aidera ! Je suis dans le besoin, que Dieu vous comble ! Si Dieu le veut, où que vous alliez, vous gagnerez ! Puisse Dieu vous éclairer !", scande Arabia à l'adresse des passants alors que nous la quittons.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire