31 août, 2010

AU BURKINA FASO BEN YOUSSOUF MINOUNGOU (un des initiateurs de la pétition) : "Nous ne sommes pas des Zorro"


Ben Youssouf Minoungou, journaliste à "l’Indépendant", est un des quatre personnalités de la société civile qui sont à l’initiative de la pétition contre la modification de l’article 37 de la Constitution. L’objectif de la pétition est de verrouiller l’article en question en le portant au rang des articles intouchables de notre loi fondamentale. Avec lui, nous avons fait le point sur cette initiative et le faire réagir sur les projets de modifications constitutionnelles du CDP, le parti majoritaire.

Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette initiative qu’est la pétition contre la modification de l’article 37 ?

Quand vous prenez les trois autres initiateurs de la pétition (Pr Augustin Loada, Siaka Coulibaly et Me Hervé Kam), ce sont des personnalités que j’ai côtoyées lors de séminaires ou dans l’exercice de ma profession de journaliste. L’idée de la pétition est venue du fait que nous avons travaillé ensemble dans le cadre d’un « débat démocratique » (NDLR : rencontre d’échanges et de débats initiée par le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD)) sur la situation au Niger. C’était le 11 juin 2009, à l’initiative du CGD qui avait invité les acteurs sociopolitiques du Burkina à venir discuter du cas nigérien. Après l’analyse de la situation au Niger, un pays voisin, nous avons aussi regardé ce qui se passait chez nous. Le débat sur la modification de l’article 37 commençait à se préciser. Il nous revenait de tirer la sonnette d’alarme chez nous afin d’éviter la contagion. Après ce débat sur le Niger, on a constaté dès l’interview de Salif Diallo en juillet 2009, une menace de révision.

A la lecture des réformes qu’il proposait, on a bien vu que l’article 37 allait être noyé dans ses propositions. Le régime parlementaire qu’il proposait était de faire du président du Faso une reine d’Angleterre. Après lui, ses camarades du parti ont commencé à dire que tous les articles de la Constitution étaient révisables sauf quelques uns, ceux portant sur l’intégrité du territoire, le multipartisme et le caractère républicain de l’Etat. On avait taxé ceux qui donnaient l’alerte de faire des procès d’intention. Aujourd’hui, la situation est plus claire sur les intentions des uns et des autres.

Ceux qui sont pour la non-limitation disent qu’il faut permettre au peuple de décider s’il veut maintenir un président, s’il le veut aussi longtemps que possible. C’est un argument ?

La limitation des mandats n’a pas commencé avec le Burkina. C’est un principe qui existe ailleurs. Au Mali, il y a la limitation du nombre de mandats et il y a eu l’alternance à la tête du pays. Est-ce pour autant que le pays s’est arrêté ? Bien au contraire. Prenons l’exemple du Benin et du Ghana. Pourquoi chez nous, chaque fois qu’on tend vers la fin d’un mandat présidentiel, le débat revient en surface parce qu’on pense que si le président Compaoré n’est pas là, le pays va s’arrêter. C’est très grave parce que si c’est vrai, le jour où il ne sera pas là, alors on est tous foutu ?

Vous n’avez pas peur que l’on dise que vous êtes contre Blaise Compaoré ?

Justement, c’est l’erreur à ne pas commettre. Les gens ont tout fait pour personnaliser le débat. Puisque l’article 37 règlemente la profession de Président du Faso. Et quand vous abordez le sujet, c’est comme si vous visiez directement le Président. Non. Pour nous, c’est une question de principe. La loi, lorsqu’on la votait, ne visait pas nommément une personne. Donc, c’est un faux débat. Que ce soit lui au pouvoir ou quelqu’un d’autre, nous nous battrons toujours pour la limitation des mandats. Cela permet le changement à la tête de l’Etat. Tout le monde sait que si quelqu’un s’installe dans la durée, c’est la routine qui va avec. Nous pensons qu’il faut permettre à d’autres personnes de proposer leur vision de notre société. Le plus important, c’est de permettre au peuple de se tromper. Si un jour, le président part et après coup, le peuple se rend compte que celui qui lui a succédé ne fait pas mieux, on ira le chercher. Démocratiquement, il reviendra au pouvoir. Mais dire qu’il est le seul à pouvoir diriger ce pays, toute chose qu’il fait d’ailleurs depuis 23 ans, c’est dangereux pour notre démocratie.

Où en est-on avec la pétition lancée le 12 avril 2010 ?

50 jours après son lancement, la pétition a pu recueillir les 30 mille signatures nécessaires à son dépôt devant l’Assemblée nationale pour être examinée. Le 31 mai 2010, lors d’une conférence de presse, nous avons fait le point de la collecte et donné les étapes qui restaient à accomplir avant le dépôt à savoir faire contrôler la liste des pétitionnaires par la CENI et la déposer par la suite. Mais nous avons aussi voulu éviter les obstacles. C’est ainsi que nous avons décidé de faire saisir la liste à partir des manuscrits, ceci afin d’éviter les doublons éventuels. L’objectif est d’avoir une liste incontestable. Vous le savez peut-être, la loi dit de faire authentifier la liste par la structure en charge de l’organisation des élections, donc la CENI. En juillet, nous avons écrit à la CENI lui demandant si elle était compétente pour authentifier la liste de nos signataires. Elle nous a répondu que si elle devait le faire, ce serait au mois de septembre à cause de son agenda à respecter. Le mois de septembre correspond à l’ouverture de la session de l’Assemblée nationale. Si nous attendons cette période, on sera hors délais pour le dépôt. La loi dit de déposer un mois avant la session. Nous avons donc saisi un notaire qui va authentifier la liste en attendant de la déposer à la CENI.

Il y a un problème, puisque la CENI n’a pas encore de liste officielle pour l’élection. Sur quoi va -t-elle se baser pour travailler ?

A ce niveau, tout réside dans le flou de la loi qui dit que le signataire doit être majeur ou disposer d’une carte électorale. Ce que nous avons fait, nous avons fait des listes différentes. Une fiche pour les détenteurs de la nouvelle carte nationale d’identité et une autre pour les détenteurs de l’ancienne carte. Ce sont des précautions que nous avons prises pour éviter tout blocage que l’on va nous présenter. Il est vrai que pour le moment, il n’y a pas de liste électorale. Mais, tout laisse croire que ce sont les données de l’ONI qui vont être prises en compte. On avisera.

Pour le moment, on constate que la loi sur la pétition n’est pas claire. Et quand un ancien président de l’Assemblée vient vous dire que les pétitionnaires ont deux ans pour faire authentifier leurs signatures et que dans deux ans, eux seraient passés à une vitesse supérieure, c’est dire l’esprit dans lequel la loi a été votée. C’est donc une loi qui a été votée pour qu’elle ne soit pas applicable ! Nous dénonçons cela.

Apparemment, des moyens existent pour faire échouer la pétition !

Bien sûr ! Ils ont mis des pièges dans la loi. La loi ne dit pas si obligatoirement, il faut être inscrit sur une liste électorale ou s’il faut simplement avoir 18 ans, c’est-à-dire disposer d’une pièce d’identité qui le prouve. C’est laisser à l’appréciation de l’initiateur.

A vous entendre, cela semble perdu d’avance ?

Non, pas du tout. C’est perdu d’avance pour ceux qui ont conçu la loi afin qu’elle ne soit jamais appliquée. Nous sommes des citoyens qui respectons la loi. C’est un acte légal que de protester contre la modification de l’article 37 de la façon dont nous le faisons. Nous avons une opportunité que nous donne la loi. Nous l’avons saisie. Une fois que nous allons faire parvenir la pétition à l’Assemblée, on aura fait notre travail de citoyen. Ce sera le tour des députés de décider du sort de la pétition en leur âme et conscience. Je pense qu’eux aussi sont soucieux de l’avenir de ce pays et qu’ils comptent rentrer dans l’histoire de ce pays par la bonne porte. N’oublions pas que c’est pratiquement les mêmes députés (la majorité) qui ont modifié la constitution en 1997, puis en 2001. Il faut qu’on arrête de malmener la Constitution.

Avez-vous bénéficié de soutiens au sein des forces vives de la nation ?

Il faut tout de suite que je précise quelque chose. Nous n’avons pas initié cette pétition parce que nous sommes des Zorro, ni des mousquetaires comme votre confrère l’Observateur Paalga aime à nous appeler. Loin de nous l’idée que nous sommes les seuls à nous soucier de l’avenir de ce pays. Nous sommes tout simplement des citoyens qui ont trouvé qu’à un certain moment de la vie de ce pays, il faut faire quelque chose. C’est ainsi qu’est née la pétition. S’il y a autre chose à faire, il faut le faire. Nous soutiendrons toute initiative citoyenne qui va dans le sens du renforcement de la position que nous défendons. La pétition à elle seule ne sera peut-être pas suffisante pour faire reculer les partisans de la modification. Quant à ceux qui nous ont soutenus, ils sont nombreux à travers des déclarations à avoir invité les populations à signer. Il y en a aussi qui ont peut-être donné des consignes contraires.

Il se dit que vous avez littéralement court-circuité les partis politiques avec votre pétition. Est-ce vrai ?

Nous n’avons court-circuité personne. La pétition n’est pas la seule voie pour s’opposer à la modification de l’article 37. Les partis politiques ont choisi la voie des déclarations d’abord. Peut-être que c’est une étape. La pétition a mobilisé 30 mille personnes. Que chacun fasse quelque chose pour apporter sa pierre. Il est vrai que cela met du temps. Le CDP, lui, n’attend pas.

Mais de toutes les façons, vous aurez à courtiser les partis politiques à l’Assemblée quand le dossier va y atterrir ?

Quand nous lancions cette initiative, en tant que citoyens, nous avons rencontré le député Mahama Sawadogo, président du groupe parlementaire CDP, le président du groupe CFR. La moitié du groupe parlementaire ADJ nous a reçus. Ils sont au courant depuis le début. A moins que l’on nous dise que ce sont uniquement les partis politiques qui ont le monopole du débat public.

Lors de l’investiture du candidat Blaise Compaoré, celui-ci est revenu sur l’idée des réformes politiques et institutionnelles mais il a aussi parlé de réformes consensuelles. Vous vous opposez à la modification de l’article 37, êtes-vous prêt à concéder lors d’un débat consensuel ?

Le terme dialogue et consensus est un terme à la mode dans notre pays depuis plus d’une décennie. Dans la réalité, il n’y a pas de dialogue, ni de consensus parce que ce qui fait consensus aujourd’hui, c’est l’article 37 en son état. S’il n’y avait pas consensus, en 2001, on n’aurait pas rétabli la clause limitative. Il y a des gens qui trouvent que cet article ne fait plus leur affaire. En quoi le consensus peut primer ici ? On trompe les gens. Ce pouvoir en place ne veut pas de vraies réformes. On les aurait faites, il y a 10 ans. Il nous a habitués à des réformes de circonstances, des réformettes. La question de la saisine du Conseil constitutionnel aurait pu être réglée depuis longtemps. On n‘en a pas voulue à cette époque là. Regardez très bien la liste des réformes que propose le CDP. Ils ont mis l’article 37 en queue de liste. Alors que tout le monde sait que tout tourne autour de celui-ci. C’est le cœur des réformes. Il veut contrebalancer cela en créant un Sénat pour des politiciens en perte de vitesse. Si c’est pour caser d’anciens amis, ce n’est pas la peine. Il y a déjà eu un précédent avec la deuxième chambre. Pourquoi a-t-elle disparu ?

Mais, il y a quand même une différence de fond puisque cette fois, le Sénat sera un second filtre des lois selon le projet de réforme ?

Je me réfère à un expert, notamment le Pr Luc Ibriga, qui dit que si on doit filtrer la loi, cela veut dire que ceux qui la conçoivent ne le font pas très bien. Cela veut-il dire que les députés écrivent de mauvaises lois ? Ils vont créer le Sénat pour contenter ceux qui l’ont demandé et dans le même temps faire avaler la pilule de l’article 37. On va encore se retrouver dans quelques années pour dire que le Sénat est budgétivore. Ça, on le savait déjà. C’est vrai, on dit que la démocratie n’a pas de prix, mais il faut qu’on arrête de gaspiller de l’argent aussi pour des choses qui n’avancent pas. En 19 ans de pratique démocratique, toutes nos réformes tournent autour de l’article 37. Reconnaissez avec moi qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Il faut que les politiciens nous respectent. Il faut qu’ils arrêtent leurs pratiques politiciennes.

Si on doit modifier l’article 37 malgré tout, quelle voie préférez- vous ? Le parlement ou le référendum ?

Laissons ceux qui veulent modifier de choisir leur instrument. Cela ne nous regarde pas. Notre combat, c’est qu’on ne touche pas à l’article 37. Il ne faut pas faire le jeu des gens. Au Niger, par exemple, les opposants à la modification de la constitution ont dit niet qu’ils n’iront ni à un référendum, ni à quoi que ce soit. Ce qui nous intéresse, c’est que l’on ne touche même pas à l’article 37. Et si on devait le toucher, qu’il rejoigne les clauses intangibles de la Constitution. En ce moment, le débat sera clos une fois pour toutes. Qu’il fasse leur modification par référendum ou par l’Assemblée nationale, ce n’est pas notre problème. Notre problème est celui là : qu’on ne touche pas à l’article 37. On est en train de mettre dans la tête des gens que même notre loi fondamentale, on n’est pas capable de la respecter. Pire, les modifications qu’on introduit souvent sont faites sur la base de calculs politiciens.

Sinon, les propositions pour améliorer la démocratie existent. Il y a par exemple la saisine du juge constitutionnel. Une chose est de permettre au citoyen de le saisir, mais il faut qu’il puisse dire le droit de façon impartiale. Vous pensez que leur indépendance est vraiment garantie dans notre pays, quand la majorité d’entre eux est nommée par le pouvoir ? Si on modifie la saisine et qu’on ne modifie pas le mode de nomination des juges, rien ne va changer dans le fond. Il faut que ceux qu’on nomme prennent également leurs responsabilités. On n’a pas de devoir vis-à-vis d’un individu quand on est juge à ce niveau là. On a plutôt des devoirs envers son pays, son peuple et la justice. On a l’impression que quand on nomme les gens, leur premier reflexe, c’est la reconnaissance. Mais, quand on nomme un juge, c’est pour servir le pays, pas un individu.

Avez-vous un message à l’endroit de tous ceux qui ont signé la pétition ?

A tous ces Burkinabè qui ont usé de leur droit pour accompagner cette initiative, je leur dit que l’objectif est atteint. Quand la pétition sera entre les mains des députés, c’est à eux de jouer leur partition. Nous avons accompli notre mission. Nous avons usé d’une voie légale qui existe pour faire entendre la voix d’une partie du peuple. Nous avons sensibilisé des gens autour de l’article 37 et vous ne pouvez plus passer une journée sans entendre parler de la pétition. C’est ce débat là qu’il faut entretenir. Maintenant, il revient à d’autres forces de prendre le relais en trouvant d’autres moyens pour faire respecter la Constitution afin que l’on respecte la parole donnée. Pour moi, c’est fantastique qu’en cinquante jours, nous ayons atteint les 30 mille signatures necessaires pour déposer la pétition. Il y a des députés qui sont à l’Assemblée qui n’ont pas été élus avec 30 mille voix. La mobilisation reste permanente et les autres forces de la société font leur travail en mobilisant 30, 40 ou 60 mille signatures. On atteindra un jour une masse critique qui va dire non en cas de modification. Il faut rompre avec ces histoires de déclarations parce que dans ce pays, les progrès qui ont été obtenus l’ont été à travers la lutte. Ce pouvoir n’a jamais offert quelque chose. Tout ce qu’on nous accorde chaque matin au réveil, ce sont des augmentations de prix de denrées, d’hydrocarbures ou des pénuries de gaz.

Propos recueillis par Abdoulaye TAO

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