21 octobre, 2014

Burkina Faso :Le seul survivant de assassinant du Président Thomas SANKAR parle enfin !


Il aurait pu se retrouver, le 15 octobre 1987, dans une tombe, au cimetière de Dagnoën, à l’est de Ouagadougou. Aux côtés du Président Thomas Sankara et de 12 de ses compagnons assassinés. Alouna Traoré, l’un des hommes clés du Président, a échappé de justesse à la mort. Lorsque les armes ont commencé à crépiter, il a fait le mort, baignant dans le sang des autres.

Alouna Traoré


Devenant ainsi le seul survivant de ceux qui étaient avec Sankara ce jour-là. Mais après, il était porté disparu, laissant ainsi la rumeur décider de son sort: selon certains, il avait complètement disjoncté et avait définitivement quitté le Burkina; selon d’autres, il a été traqué jusqu’à son dernier retranchement puis tué. Pendant plusieurs mois, nous l’avons recherché. Et nous l’avons retrouvé, le 12 novembre dernier, dans la capitale burkinabè.
Minute après minute, Alouna Traoré a tourné les pages de la Révolution d’Août. Mais il n’a pas voulu remuer le couteau dans la plaie béante du 15-Octobre. «La dose émotionnelle, dit-il, n’est pas humainement supportable». Ses convictions ne se sont pas pour autant ébranlées. Et il est formel:«Si la Révolution était à refaire, je serais candidat».

Le Reporter: Que s’est-il concrètement passé le 15 octobre 1987 à 16 h, au Conseil de l’Entente ?

Alouna Traoré: J’ai pour coutume de ne pas parler du 15-Octobre parce que la dose émotionnelle n’est pas humainement supportable. Je ne peux parler que des événements qui ont eu lieu avant le 15-Octobre: ce qui nous a unis, ce que nous avons fait avec nos dix doigts et notre petit esprit pour éveiller la conscience des Burkinabè et, au-delà, susciter des espoirs sur le continent africain, et même au-delà du continent africain. Nous avons fait ce que nous pouvions avec nos moyens de l’époque. Je ne peux parler que de cela.

Vous êtes tout de même le seul survivant de ce coup d’Etat. C’est un miracle, non ?

Miracle ou pas, je suis formel: ne parlons pas de ce qui nous divise. Ce ne serait pas bon. Chez nous, un proverbe dit ceci: «Quand la pluie bat les poussins, qu’ils ne perdent pas le temps à se picorer». Donc, ne nous picorons pas. Ce n’est pas la peine de parler du 15-Octobre.

A l’époque, le climat politique était, dit-on, assez «pourri». Avez-vous, personnellement, senti venir le coup d’Etat ?

Il serait mieux de passer à autre chose… Nul n’est fakir ou prophète pour sentir venir des événements mais il pourrait avoir des prémisses. Bref, une fois de plus, je voudrais que nous fermions la parenthèse du 15-Octobre et que nous parlions d’autre chose. Cet événement divise au lieu d’unir. Si l’on doit parler du 15-Octobre, nous risquons de mettre fin à cette interview.

Vous étiez très proche du Président Sankara. Que faisiez-vous au juste?

J’ai été d’abord délégué CDR (Comité de défense de la Révolution, NDLR) de la Présidence. J’ai ensuite géré les organisations de masse. J’étais donc en contact permanent avec le Secrétariat général national des CDR et toutes les organisations de masse qui gravitaient autour de la Révolution.

On dit aussi que vous étiez l’un des éléments clés du Président…

Elément clé, c’est trop dire. Il y avait les chefs de départements. Mais j’assistais à pratiquement toutes les rencontres.

Quel souvenir gardez-vous aujourd’hui de Thomas Sankara ?

Je garde beaucoup de souvenirs de lui. Ma conscience l’emportera jusqu’au dernier jour. Je ne me souviens pas de Sankara, je le vis. Beaucoup de choses de positif ! Plus qu’un camarade, c’était notre leader, notre leader bien aimé, l’initiateur, celui qui soutenait nos élans révolutionnaires. Chaque fois qu’on le rencontrait, on repartait avec de nouvelles énergies. On ne sentait pas cette précarité qui animait les autres. Il vous encourage, il vous aide à arriver. Son management est vraiment sollicité et même conseillé.

Il était aussi perçu comme quelqu’un qui dérange…

Le Président Sankara était pertinent. Il est d’ailleurs la pertinence faite en personne. Les autres ont su le dire: «il dérange». Effectivement, il dérange. Face à lui, vous êtes face à la glace. Il vous renvoie votre propre image. Sa compagnie est gaie mais ne vous pardonne pas certaines erreurs. Il vous dit ce qu’on n’ose pas vous dire, tout comme la glace vous révèle ce que vous êtes en réalité.

Vous a-t-il dit des choses que vous auriez aimé ne pas entendre ?

A l’époque, comme beaucoup de mon âge, je picolais, je buvais, je fumais. Mais avec lui, je suis arrivé à arrêter de fumer et longtemps après, j’avais arrêté de boire. De plus, avec lui, j’ai appris à faire le sport de masse. Les autres faisaient le sport de masse pour s’amuser mais moi, j’avais fini l’étape de l’amusement. J’avais intégré le sport de masse dans ma vie. Chaque matin, je prenais ma dose de sport de masse. Ça me rendait efficace au travail. Vraiment, c’est la jeunesse en permanence! Je ne souffrais de rien; grâce aux vertus du sport, je n’avais pas besoin d’excitant. Que ceux qui ne veulent jamais vieillir pratiquent le sport en permanence. Tous les jours de leur vie! Comme dit l’adage, il faut «un corps sain dans un esprit sain».

On dit que vous aviez le courage de vos opinions et que vous n’hésitiez pas à dire certaines vérités au Président. Que lui disiez-vous souvent ?

J’aime dire à mes camarades que je suis en territoire miné et que si l’on ne marche pas sur la mine, elle n’explose pas. D’emblée, je m’accommode à tout. Mais je sors souvent de mes réserves. Peut-être que cela est lié à mes origines. Je suis du nord du Burkina, précisément du Yatenga. Si vous nous respectez, vous pouvez nous mettre comme un boa dans un sac et nous emporter. Mais si vous nous méprisez, nous nous révélons. Nous aimons être vrais et clairs dans ce que nous faisons. En réalité, je n’étais pas tellement différent des autres camarades mais moi, j’avais cette mauvaise habitude de dire ce que je voyais. J’aimais faire les comptes rendus des «choses» sans les censurer. Quand on m’envoyait à Abidjan, j’avais le désavantage de faire un compte rendu net et précis. A la limite de la fidélité, je dis tout ce que j’ai vu, comme une caméra. Tout ce que j’aurais enregistré, bon comme mauvais, je le servais à la table. Que cela plaise ou pas, je rendais compte.

Et comment réagissait le Président ?

Il avait la faiblesse d’aimer cette façon de faire.

Ah, bon?

Il était guidé par le souci de la transparence. La Présidence est un milieu de décisions. Quand l’information est vraie, sincère et honnête, ça transparaît dans les décisions. Ainsi, un compte rendu fidèle de certaines situations permet de bien orienter la décision. C’est comme quand vous êtes face à un médecin: si vous ne décrivez pas bien votre mal, vous pouvez l’induire en erreur. Ou quand il fait ses analyses médicales, quand les machines sont très bonnes et performantes, elles te font une bonne analyse et le docteur a tout le loisir de faire une bonne interprétation. Telle était notre façon de travailler. Le PF (président du Faso, NDLR) aimait bien cela. Nous ne pouvons pas dire que nous plaisions à tout le monde parce que nous nous attaquions à des intérêts et des habitudes qui se sont installés depuis plusieurs années. A ce niveau, il y a certaines décisions qui ne plaisaient pas. Mais puisqu’il fallait avancer, au dernier anniversaire de l’avènement de la Révolution, le PF a reconnu les erreurs que nous aurions commises. Nous devions donc repartir sur de nouvelles bases. Il n’était donc pas fermé à la critique.

Il a dû certainement être au courant des prémisses du coup d’Etat. Pourquoi, selon vous, il n’a pas su gérer cette crise?

Comme on dit en Côte d’Ivoire, «c’est une question complexe et difficile». C’est un officier, de surcroît, un commando. Il voit ce que nous, nous ne voyons pas. Des gens l’accusent à tort de n’avoir pas vu venir le coup d’Etat. C’est leur opinion. Mais ça m’étonnerait qu’il ne l’ait pas vu venir. Bref, aujourd’hui qu’il n’est plus là, en quoi ça nous avance de savoir s’il a vu venir ou pas ?
La Révolution, c’était aussi prévoir les crises et les gérer à temps avant qu’elles n’explosent…
Il y avait des contradictions au sommet. Mais il serait mieux que nous parlions de choses plus positives. Ne nous focalisons pas trop sur le crash. Si nous pouvions parler de l’avion avant le crash, ce serait bien.

Parlons de l’avion avant le crash…

Nous avons fait un bon décollage, sauf que certains peut-être ont dû être parachutés après. Sinon, le décollage était réellement bon. On sentait partout l’éveil des populations. Nous avons dénoncé certaines liaisons du Burkina de par le passé. Nous avons changé le nom du pays et engagé plusieurs luttes. C’était un champ de réalisations et d’ambitions dans tous les secteurs de la vie nationale. On sentait que ça grouillait et que ça travaillait au Burkina! Il y avait de l’inédit dans notre pays. Quand vous assistiez aux meetings du PF, vous aviez la chair de poule, vous trembliez. Simplement parce qu’en Afrique occidentale française, on n’avait jamais vu cela. Nous avons dénoncé ce qu’il fallait dénoncer. Et ça, même le président François Mitterrand l’a reconnu: nous sommes pertinents, nous dérangeons. Et le PF dérange! Nous avons mis le pied dans les habitudes des gens et la petite bourgeoisie, très consciente de ses intérêts, n’a jamais voulu en perdre. Bref, le décollage de l’avion et tout ce qui s’en est suivi étaient bons. Vous n’allez pas demander à un occupant de l’avion de mal parler de l’envol !

Mais l’avion a dû, par moments, traverser des zones de turbulences. La Révolution avait aussi des aspects négatifs…

Certains parlent effectivement de points négatifs. Je ne peux pas dédouaner la Révolution aussi facilement. Comme tout mouvement de masse, comme tout moteur, il y a certains déchets que nous avons laissés. Nous avons commis des erreurs. Il y a des décisions qui n’ont pas été mûries. Mais c’est après coup que l’on peut dire cela. Cependant, il y avait la critique et l’autocritique. Il y a certaines choses que nous aurions dû ne pas faire mais qui ont été faites. Mais qu’on vienne nous parler des droits de l’homme, de l’Etat d’exception, de sorte à trop insister, nous répliquons que chez nous, quand vous discutez au rabais du prix de la marchandise, ça éveille la conscience du marchand. Ceux qui nous ont appris les droits de l’homme sont trop mal placés pour nous parler des droits de l’homme.

Les droits humains sont pourtant fondamentaux. Vous n’êtes pas de cet avis ?

J’en conviens. C’est capital, c’est fondamental. Mais avouons que 50 ans, c’est trop vite arrivé. On tuait du Burkinabè sur la place du marché ici comme des pigeons et des bêtes! C’est triste, ce n’est pas bon. Quand ce sont nos compatriotes, on ne s’éveille pas à la conscience universelle. En 1948, le fait de professer la Déclaration universelle des droits de l’homme n’a pas empêché Antoine, c'est-à-dire l’Occident, de nous faire la chasse au lièvre ici. Ils ont chassé du nègre comme des lièvres. Et 45 ou 50 ans après, le même Antoine est adulé ici même s’il défèque sur la place du marché. Chez lui, on ne parle pas de droits de l’homme.
Que signifie être nègre à Paris aujourd’hui?
 C’est être un clandestin, un sous-homme.

 Mais que dit la France ?

Si un Noir meurt, ça ne dit absolument rien. Malheureusement, le Noir aussi ne dit rien. Il faut qu’on meure par centaine en Afrique pour qu’on commence à parler de droits de l’homme. Donc, épargnez-moi de cette histoire de droits de l’homme. Que la Révolution ait broyé des vies humaines, j’en conviens. La Révolution a mangé beaucoup de ses enfants. Cela n’est pas bon mais n’oublions pas ce que nous avons fait de bon. Je ne dirais pas que tout a été bon. Ce serait trop messianique. Dieu lui-même n’a pas été bon sur toute la ligne. Nous avons fait humainement ce qui était possible selon nos convictions et qui pouvait apporter du bonheur au peuple burkinabè. Mais que les critiques disent que les droits de l’homme étaient méprisés, que nous avons affamé des gens, nous répondons que c’était une lutte contre un ancien ordre, une ancienne façon de penser et de gérer. Cela ne pouvait pas être la même chose sous la Révolution. Nous avons dit Révolution, donc, nous apportons des transformations. C’est un tourbillon qui est venu et qui a apporté ce qu’il a eu de positif.

Justement, en quatre ans, quelles sont les transformations majeures que vous avez effectuées ?

Il y a eu l’émancipation, l’éveil des consciences et la fierté d’être Burkinabè. Nous avons engagé plusieurs luttes: les trois luttes, par exemple, la transparence, la rigueur dans la gestion de l’économie nationale. Tous les mercredis, le Conseil des ministres était suivi parce que beaucoup de choses positives étaient faites sous la Révolution. Certaines vertus sont conservées jusqu’à présent; malheureusement, elles commencent à s’effriter.

Quoi par exemple?

L’ardeur au travail. Les gens venaient régulièrement au travail. Ils mouillaient le maillot de peur de se retrouver un jour devant les Tribunaux populaires de la révolution. Ces TPR ont enseigné beaucoup de choses sur les gestions antérieures. Elles ont été de grandes écoles qui ont appris aux citoyens qu’il ne devrait plus avoir de gabegie. Elles ont tracé des voies pour une meilleure gestion du bien public. Nous avons procédé, de façon sélecte, à la réduction du train de vie de l’Etat, notamment ceux des ministres et d’autres acteurs, en un strict minimum pour pouvoir bien travailler. Nous avons posé beaucoup d’actes positifs qu’il serait fastidieux d’énumérer ici.
Il y avait aussi la déclaration publique des biens. 

Mais aujourd’hui la liste des biens du Président est mise sous scellés par le Conseil constitutionnel. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

A l’époque, il y avait effectivement la déclaration publique des biens. Mais maintenant, il paraît qu’il y a une autre pratique. Je constate que les ministres d’aujourd’hui sont mieux que ceux qui étaient en fonction sous la Révolution.

Sous la Révolution, un ministre, ça donnait quoi au juste ?

Un ministre sous la Révolution avait un véhicule 405 ou 505. C’est un «monsieur tout le monde». Il va partout; il intègre les masses. Il y a une ligne de conduite dans la Révolution qu’il fallait observer. Vraiment, il faut aller au charbon. Il faut mobiliser les masses.

La France, semble-t-il, est à l’origine de la chute de Sankara. Parlez-nous-en.

Nous avons dénoncé un système, une pratique qui se faisait. Nous avons dénoncé l’attitude de la France. Tout ce qui s’est fait ici avant la Révolution, l’a été sous la bénédiction de la France. Elle nous a conseillés en tout; elle était donc responsable de tout ce qui nous arrivait. Avec la Révolution, nous devions nous prendre en charge, nous assumer. Cela ne pouvait évidemment pas plaire au tuteur. Tout ce qu’il fallait faire, il fallait s’en référer à la France avant de le faire alors que sous la Révolution, on le faisait sans recourir à la France. Avouons que ce n’était pas pour plaire.

Vous voulez dire que la Révolution n’avait pas du tout besoin de la France ?

Nous coopérions avec la France au même titre que les autres Etats. Mais nous avons refusé que ce soit comme de par le passé: être en costume-cravate, montrer ce qu’on devait faire à la France pour qu’elle censure éventuellement certaines choses, etc. La Révolution s’était défaite de toutes ces scories. Nous réfléchissions avec notre tête, pas avec celle d’Antoine, c'est-à-dire la France. Evidemment, cela ne pouvait pas plaire à Antoine.

Pourtant, il semble que pour rester longtemps au pouvoir, il faut avoir la bénédiction de la France…

Antoine peut être au courant ou à la base de nos déboires, mais peut-être que nous avons aussi prêté le flanc. 

Le crash a-t-il eu lieu du fait de la France ?
 
 C’est une question compliquée. Il y a des voix plus autorisées que la mienne pour parler de l’état des rapports entre le Burkina et la France. Pour cela, il faut se référer aux rapports entre notre pays et la France avant, pendant et après la Révolution. Mais je ne saurais me prononcer sur les bons rapports qu’il faut entretenir avec la France pour garantir le paradis ou la sécurité à 100%. Il paraît cependant que ça fait du bien.

Selon certains observateurs, la chute de la Révolution serait due au fait qu’elle avait à sa tête trop de leaders. C’est vrai ou pas ?

Dire qu’il y avait trop de leaders, c’est un peu exagéré. Il y avait le leader, le n°1 donc. Il y avait aussi les numéros 2,3 et 4. C’est comme dans un match de football. Tout le monde ne joue pas au même poste. Il y a un capitaine, un marqueur, des défenseurs, des ailiers et un gardien de but. Dire donc que la Révolution avait plusieurs têtes, c’est une contre-vérité. Il n’y avait pas plusieurs centres de décision. Il y avait un capitaine dans le bateau. C’était le PF. A ce sujet, il ne faut pas chercher des poux sur une tête rasée.

Parlez-nous de vous après les événements du 15-Octobre.

Encore une fois, souffrez que je ne vous dise rien sur l’après 15-Octobre. Mais acceptez que l’on revienne sur certains temps forts de la lutte. La Révolution a appris aux gens à s’aimer tels qu’ils étaient, à ne pas avoir de complexe vis-à-vis d’eux-mêmes. Un Burkinabè bien fait, bon teint, c’est celui qui est habillé en Faso dan fani. C’est ce que nous savions faire de notre coton avec nos dix doigts. Dire aux gens de porter du Faso dan fani n’a jamais été une malédiction. Le costume-cravate est plus cher mais aujourd’hui, les gens le portent au lieu de se vêtir de Faso dan Fani. Quand vous voyiez le professeur Joseph Ki-Zerbo (paix à son âme!) toujours dans son Faso dan fani, il est respectable. L’image qu’il vous renvoie du Burkina, c’est le fait que nous produisons du coton et nous savons faire quelque chose avec notre coton. De grâce, que les Burkinabè, chacun dans sa garde-robe, ait du Faso dan fani et en portent.

Il faut, pour cela, des unités de transformation. Pourtant, l’usine Faso Fani est morte de sa belle mort…

Avant Faso Fani, nos vieilles mamans faisaient du tissage. Elles n’ont pas encore disparu de notre environnement. Nous devons produire, consommer burkinabè et vendre l’image du Burkina à l’extérieur.

Si la Révolution était à refaire, seriez-vous partant ?

Si c’était à refaire, je serais candidat.
Simplement parce qu’elle est bonne. Cette forme de Révolution, il faut l’avoir fait au moins une fois dans sa vie.

Qu’auriez-vous alors principalement corrigé ?

Sous la Révolution, il y avait un principe selon lequel il fallait mobiliser les gens en fonction de leurs intérêts. Ce principe est toujours d’actualité. Nous n’aurions pas trop mis à ce sujet, le pied sur l’accélérateur. Il faut démarcher les gens comme les religions révélées démarchent leurs fidèles. Il fallait, comme le PF l’a dit, ne pas arriver seul sur la colline mais y arriver avec tout le monde. Il faut donc prendre le temps de démarcher les gens, les convaincre de la pertinence et de la justesse de notre cause, du défi que nous lançons à nous mêmes et au monde, et surtout oser inventer l’avenir. Si vous dormez, quelqu’un d’autre vous préparera votre avenir. A ce sujet, j’ai une crainte: on dirait que les Burkinabè ont refusé d’oser inventer l’avenir.

On parle pourtant aujourd’hui, au sommet de l’Etat, de «développement solidaire»…

Je dis et j’insiste: il faut que les Burkinabè apprennent à inventer leur avenir. Pour paraphraser le PF, je dirais que «tout ce qui sort de l’imagination de l’homme est réalisable par l’homme». Toutes les inventions qui sont faites sont le fruit de l’imaginaire, de l’invention et de la recherche des humains. Tout ce que nous avons, c’est sorti de ces bobinettes! Ça a été imaginé, pensé, concrétisé. Imaginons et réalisons nous-mêmes ce qu’il nous faut. Notre confort ne doit pas être dicté par l’extérieur.

Il y a beaucoup d’acteurs de la Révolution qui dirigent aujourd’hui le Burkina. Avez-vous le sentiment que le pays est sur une bonne voie ?

J’évite, autant que possible, de porter des jugements de valeur sur des gens alors que nous ne vivons pas les mêmes réalités. Ils agissent en fonction des réalités du moment. Nous voulons tous le bien du pays mais il y a peut-être plusieurs façons de le faire. Mais j’évite d’aborder des sujets à polémiques. Nous devons faire des propositions afin que les choses avancent. Certains disent que les Burkinabè ne travaillent pas. Il faut qu’ils travaillent. Il faut qu’on nous filme les peuples au travail afin que nous puissions nous en inspirer.

A quels peuples pensez-vous ?

Aux peuples de Chine, d’Inde, de Corée du Sud, etc. Notre situation n’est pas si lamentable; c’est une question d’organisation. Organisons-nous et croyons en nous-mêmes. La pauvreté n’est pas une malédiction. Mais si nous sommes des pauvres qui nous comportons comme des riches, nous serons éternellement assistés. Il faut que nous ayons l’intelligence de notre pauvreté. La malédiction qui peut nous arriver, c’est de ne pas avoir cette intelligence. Dans une telle situation, vous devenez un pauvre éternel. Mais celui qui a l’intelligence de sa pauvreté finira par vaincre cette pauvreté.
Vous avez des idées pertinentes.
 Qu’auriez-vous aimé dire au Président actuel, Blaise Compaoré ?

C’est une question compliquée. Ecoutez, il est sur plusieurs chantiers. Avant, c’était le numéro 2, maintenant, c’est le numéro 1.

Que voulez-vous que je lui dise ?

 C’est une question vraiment compliquée… Peut-être lui souhaiter du courage. Qu’il rassemble davantage les Burkinabè! L’un de ses amis, le Malien Modibo Diarra, est un génie de la NASA qui vient souvent au Burkina. Peut-être que dans ses formules, il a quelque chose qui puisse venir à bout de notre pauvreté. Nous voulons des Modibo Diarra pour finir avec la pauvreté au Burkina.

Des Sankara aussi ?

Le passage du Président Sankara sur le Burkina ne peut pas se faire au passé. C’est toujours au présent. Quoi que vous fassiez, cet homme a marqué la vie de ce pays. Il n’a pas construit sur la terre des hommes mais dans la tête des gens. Ces maisons-là ne s’effritent jamais. Ce sont des citadelles. Aucune brique ne tombe. Le camarade président a construit dans l’esprit des gens. C’est pourquoi des années passeront et tout le monde se souviendra de Thomas Sankara. On continuera de se poser des questions sur lui.

Y a-t-il autre chose qui vous tient à cœur et que vous souhaitez aborder ?

Je remercie votre journal d’avoir pensé à un oublié. C’est à votre honneur.
Un célèbre oublié !
Non. L’oubli, c’est l’oubli. Il n’y a pas de célébrité dans l’oubli.

Pensez-vous vraiment avoir été oublié ?

Chaque fois qu’on parle du 15-Octobre, on se souvient du survivant…
Nous sommes tous à l’article de la survie. Les Burkinabè conjuguent la survie au quotidien du fait de la pauvreté. Nous sommes donc tous des survivants.

Mais vous, vous êtes un survivant spécial…

Je remercie donc une fois de plus votre journal d’avoir pensé à moi. J’aurais pu, dans cette interview, parler mal, de façon inconvenante, du politiquement correct ou du politiquement incorrect. Je ne parle pas pour plaire. Je ne veux pas plaire. Je dis simplement ce que je pense. Tout le monde n’est pas obligé de croire à ce que je dis mais c’est ma modeste contribution pour avoir travaillé avec Thomas Sankara. Que les générations à venir sachent le courage, les vertus, les valeurs morales que cet homme a incarnés à un moment donné dans notre pays!

Si Blaise Compaoré vous faisait appel aujourd’hui pour apporter votre contribution au développement de ce pays, accepteriez-vous ?

Je ne suis pas malheureusement un homme fermé. Si je peux faire avancer les choses, je suis disposé à le faire, surtout qu’il s’agit du Burkina. Le Président français, Nicolas Sarkozy, disait que tant qu’il s’agit de la cause de la France, toutes les intelligences peuvent être mises à contribution. Donc, s’il s’agit du Burkina, il faut qu’on sache taire nos divergences et penser réellement aux préoccupations de nos populations.

Et vous le feriez sans gêne ?

Je dis et je répète: je ne suis pas sur un boulevard. La vie n’a jamais été un boulevard. Il y a des anciens camarades qui travaillent avec le Président Blaise Compaoré. Il n’y a pas de raison que d’autres n’apportent pas leur pierre à la construction de la nation. Je ne suis pas mieux que ces camarades. Loin s’en faut. A chacun sa chance. Je suis fonctionnaire de la république; je reçois mon salaire, je donne en retour ce que je peux. Si mes intelligences me permettent d’assumer des responsabilités, je n’hésiterais pas. Je suis au ministère de l’Administration du territoire. Si du jour au lendemain, on me dit de venir occuper des responsabilités quelque part, vous croyez, cher ami, que ça se refuse, ça ?

Voulez-vous dire que depuis le 15-Octobre, Blaise Compaoré ne vous a pas contacté ?

Non, il ne m’a pas contacté. Entre-temps, j’ai été déclaré fou par des gens qui m’aiment bien. J’ai fait plusieurs dépressions. Les gens gèrent ma folie à ma place: Alouna Traoré, c’est l’anormal, c’est le dépressif. Peut-être que tout cela contribue à faire de moi un paria.
Je vous trouve plutôt lucide !
C’est vous qui le dites ! Je vous le dis franchement, j’ai fait, à un moment donné, des dépressions. Mais c’est le parcours de la vie. C’était une expérience nécessaire.

Des dépressions dues certainement aux événements du 15-Octobre. Vous souvenez-vous de ce qui s’est passé ce jour-là ?

Je vous ai dit qu’on ne parlerait pas de ça !

Afrique Biiga

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