07 mai, 2012

Présidentielle : pourquoi l'Afrique est toujours attachée à la politique française

André-Marie Pouya a suivi la campagne et l'élection présidentielle depuis Ouagadougou, au Burkina Faso, où il vit et travaille. Il nous explique pourquoi la campagne électorale française a passionné aussi bien les chefs d'Etats que certains citoyens africains, pour lesquels les liens réciproques avec la France sont toujours bien d'actualité.

François Hollande lors du débat d'entre-deux tour. (T.Camus/SIPA)
François Hollande lors du débat d'entre-deux tour. (T.CAMUS/SIPA)

Dans les ex-colonies françaises, il est aisé de démontrer que l’intérêt pour la vie politique française grandit, au moment des élections : plus grande écoute de Radio France International (RFI), suivi plus intensif d’émissions des chaînes de télévisions de France, achat plus important de journaux de l’Hexagone etc.

Les raisons en sont nombreuses. "Les batailles les plus décisives sont celles de l’esprit", comme l'écrivait Robert Escarpit dans son romain "Le Littératron". Une part importante de "l’élite" a été formée en France, que ce soit au cours de longues études, par le biais de stages ou autres. Ces séjours, brefs ou longs, laissent des traces. Ces anciens étudiants et stagiaires ont pris goût aux débats à la française. Les autres dirigeants n’y ayant pas étudié auraient tort de ne pas suivre l’actualité politique française. Leur carrière en dépend, en partie.

L’influence de l’ex-puissance coloniale est telle qu’il se murmure que les ambassadeurs français auraient leur mot à dire lors des remaniements ministériels, sans compter les autres nominations au sommet. La France elle-même joue le jeu en envoyant diverses décorations à certaines personnalités, renforçant leur stature d’homme d’Etat sur place, car connues et appréciées à Paris.

Nos chefs d’Etat enfoncent le clou en effectuant leurs premières visites officielles, hors du continent, à l’Elysée. L’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade avait vendu la mèche, pendant la campagne de 2000 : "Concernant la France, quel que soit le président élu, celui-ci fera sa première visite en France". Le tout nouveau président sénégalais, Macky Sall, a volé vers les bords de la Seine, bien que la France soit alors à la veille du premier tour des élections présidentielles. Ce n’est pas pour rien, non plus, si les partisans de Laurent Gbagbo restent persuadés qu’une défaite du président Nicolas Sarkozy sonnerait le glas de soutiens internationaux inconditionnels du président de Côte-d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara.

Cette réalité "néocoloniale" n’explique pas, dans son intégralité, cet intérêt des Africains francophones pour les élections françaises. Un Allemand de l’Ouest que j'ai connu à Bordeaux, dans les années 1980, en vacances en France, avait déclaré, au bout d’une semaine : "La principale occupation des Français est la politique. En Allemagne, nous travaillons !" La France est le pays où la vie politique est la plus théâtralisée au monde. La réalisation d’un constat et d’une prédiction de Karl Marx selon laquelle elle serait le pays où le "procès de signifiance" serait le plus élevé au monde.

Tous les jours, femmes et hommes politiques doivent se prononcer sur des sujets divers. S’ils veulent être élus ou réélus, ils savent qu’ils doivent se soumettre à cet exercice politique et intellectuel éprouvant. Sous d’autres cieux, le débat d’idées est mis sous le boisseau entre deux scrutins. Les chansonniers français (feu Jean Amadou, Guy Bedos, feu Pierre Desproges, Jacques Maillot…), par leurs spectacles, parfois très courus, perpétuent cette tradition, faite d’amour mais aussi de dérision de la politique, entretenant cette flamme du théâtre politique français.

Dans leurs propres pays respectifs, de nombreux intellectuels africains francophones s’ennuient de l’indigence du débat, de l’exigüité de l’espace politique, de la pauvreté du niveau de langage des dirigeants, de la faible animation de la vie culturelle de la cité… Autant de frustrations qu’ils étanchent en s’extrayant de la réalité nationale, en se tournant ou se retournant vers la France, plus palpitante en la matière.

Naturellement, cette attitude d’extraversion politique n’est point sans danger. Régulièrement, au soir des élections françaises, des observateurs avisés rappellent à ces Africains avides de la vie politique française ceci : "Cela se passe en France !" Une invitation à retomber sur terre… Autrement dit, sur le terrain où se joue leur vie matérielle, au quotidien.

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